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11 avril 2018 3 11 /04 /avril /2018 07:13

 

 

        Après ce séjour près d’Angers, nous avons filé sur Vichy en prenant des routes suivant le cours de la Loire. Le trajet était long car il n’y avait pas encore d’autoroutes transversales. J’appris par la presse que le festival d’Avignon se déroulait dans le désordre et qu’il y avait de la contestation. Je décidais de partir quelques jours à Avignon et je me suis bien gardé de faire lire les journaux à mes parents. Étant un fidèle du festival, je ne voulais pas rater ce moment important  

        Arrivé à Vichy, je partais le lendemain pour Avignon et je pris une chambre dans mon petit hôtel de la Cigale, rue de la Bancasse, et j’allais prendre mes repas au Centre de séjour CEMEA Persil, où j’avais logé les années précédentes. 

Arrivé à Avignon, je ne tardais pas à connaître l’historique de la crise. Les troupes théâtrales françaises invitées ne pouvaient se produire, car les grèves avaient empêché la préparation des spectacles. Seul se produisaient les troupes étrangères c'est-à-dire le Living Théâtre1américain et le Ballet du XXème  siècle de Béjart qui était basé à Bruxelles. 

           D’autre part les acteurs du Living logeaient dans un lycée désaffecté Ils vivaient de façon décontractée et jetaient les détritus dans les rues, hébergeaient des clochards et des hippies crasseux et puants qui rodaient dans les rues d’Avignon. Les avignonnais s’étaient plaint auprès de la direction du festival, du manque de tenue de certains acteurs. Les avignonnais s’étaient servis du festival comme enjeu électoral. Le candidat UDR, Jean-Pierre Roux, qui venait de l’Isle sur Sorgue, avait pris la défense des avignonnais en colère contre un festival de crasseux, qui ne rapporterait pas un sous aux commerçants de la ville. Jean-Pierre Roux gagnera la bataille législative contre le député sortant, Henri Duffaut, maire d’Avignon, et ami de Vilar.

       En dehors du festival officiel, il commençait à avoir des troupes locales qui se produisaient à Avignon. Le théâtre du Chêne noir d’Avignon montait une pièce intitulée la paillasse aux seins nus. La pièce fut interdite par la préfecture, peut-être en raison de son titre promettant un spectacle érotique. En fait, ce n’était pas cela : la salle de spectacle n’était pas aux normes. Des manifestations de protestation, aidées par le Living, qui se disait solidaire du Chêne noir, ont troublés le festival.

        LeLiving2présenta son spectacle Paradise now, et après un certain temps sur la scène du Cloître des Carmes, quittait le lieu prévu et continuait le spectacle dans la rue. Les riverains protestèrent. Face aux débordements, la police est intervenue. Vilar fut obligé de rappeler à l’ordre Julian Beck, le directeur du Living. Il lui signifia que l’argument de la pièce qui lui avait été transmis ne mentionnait pas que le spectacle se déroule dans la rue... 

      J’ai vu l’année suivante une représentation de Paradise now, au campus universitaire de Saint Martin d’Hère.  J’avoue ne pas avoir été emballé par ce spectacle peu abouti qui essayait de provoquer un happening, selon des techniques inspirées par celles qu’Artaud a exprimées dans le Théâtre et son double. Les acteurs et les actrices jouent nus et ne mettent des cache-sexes et des soutiens-gorge que par obligation et l’on est en présence d’un amas de corps usés. Ces corps ont cependant une histoire : les cicatrices de césarienne ou d’autres interventions chirurgicales sont apparentes. Si le spectacle évoluait sans garde-fous, il se terminerait en partouze et en fumerie de haschisch. Il est difficile d’interdire d’interdire totalement et beaucoup de personnes qui avaient sympathisé avec le mouvement de mai disait : Nous voulons la liberté, mais pas la licence.

       Le premier jour où je me suis trouvé dans cette ville en ébullition, je me suis rendu au Verger d’Urbain V où avait lieu un débat permanent. Ce soir, il y avait un débat sur la politique culturelle de la ville avec Jack Ralite2, adjoint à la culture à la mairie d’Aubervilliers. Ralite avait été un des artisans de la décentralisation théâtrale et avait fait construire le théâtre de la Commune à Aubervilliers avec René Allio comme architecte. Au cours de ce débat des jeunes prenaient la parole et tentaient de la garder, pour éviter que d’autres prennent la parole à leur tour. C’était souvent des discours pseudo marxistes qui n’en finissaient plus. Ralite s’est fait traiter de con. Il leur répondit qu’on avait le droit de le traiter de con, mais que cela ne constituait pas un programme culturel. Des jeunes intervenaient, prenaient la parole et la gardaient, comme pour empêcher les autres de parler. Nous attendions tous une déclaration de Julian Beck, le directeur du Living. Il arriva dans la soirée, en compagnie de sa femme Judith Malina et de l’ensemble de sa troupe. Il annonça son retrait du festival en prétendant qu’il n’admettait pas de jouer uniquement pour les personnes pouvant payer leurs places et qu’il désirait que tout le monde ait le droit aux spectacles même à ceux qui ne peuvent pas payer leurs places. Cela était contradictoire, la troupe ne jouait pas gratuitement et même si les spectacles sont gratuits, le nombre des places est, de toutes les façons, limité.

      Je remarquais l’accoutrement des acteurs du Living. Julian Beck avait un crâne chauve et des cheveux longs, une coiffure à la Léo Ferré, avant la lettre. Ses comédiens, qui étaient vêtus de guenilles et dans des haillons gardaient une certaine élégance.

Au risque de paraître réactionnaire, j’étais, comme beaucoup de festivaliers, irrité de cette fracture au sein du monde de théâtre et navré de voir Vilar essayer de résoudre la crise, tout en restant fidèle à son idéal. 

      Je quittais le Verger, je passais dans la ruelle étroite coupant le rocher des Doms et où je suis toujours ému de me sentir si petit aux  pieds des tours du Palais. Place de l’Horloge, je rencontrais André et Barbara Acquart3, qui m’ont avoué leur admiration pour la troupe du Living et qui étaient navrés de cette incompréhension entre le Living et la direction du Festival.

      La place était noire de monde. Aguigui Mouna4faisait ses discours habituels sur la société Caca pipi capitaliste, toujours avec son humour d’instituteur. Il monta sur la statue de la République et cria : « Il faut foutre le bordel ! Il faut foutre la merde ! » Vaste programme, comme dirait l’autre. Aguigui Mouna, qui s’appelait en réalité Dupont avait l’habitude de se présenter aux élections dans le cinquième arrondissement de Paris contre Jean Tibéri. Dans les réunions, il lui criait : « Tibéri ! T’es bourré !»

      Le soir devant le Palais des papes, des manifestants se massaient devant l’entrée pour tenter d’empêcher la tenue des Ballets de Béjart et se mirent à crier le slogan: Vilar, Béjart, Salazar ! En dehors des assonances, assimiler Vilar et Béjart au vieux dictateur portugais, était ridicule. Béjart vint parler aux manifestants en disant que dans cette période grave, le courage était de jouer et qu’il jouera en dédiant sa représentation au Living.

       J’ai été voir ce soir-là le spectacle de Béjart intitulé : À la recherche de Don Juan, avec un texte de Saint Jean de la Croix dit par Maria Casarès qui était une habituée d’Avignon. Béjart jouait lui-même avec Maria Casarès. Il y avait aussi Ni fleurs, ni couronnes,sur une chorégraphie de Marius Petitpas, que j’avais vue à Grenoble et Bhakti, ballet sur une musique indienne.

     Le lendemain, j’ai tenté de comprendre ce qui se passait à Avignon. Je me suis rendu au Lycée Mistral. J’ai vu les acteurs du Living mêlés aux hippies crasseux profitant de la générosité du Living qui acceptait de les héberger. Des enfants culs nus jouaient dans la poussière et au milieu de ce foutoir, des acteurs acceptaient de répondre aux questions des journalistes

      Le surlendemain, je me rendis au lycée des Ortolans, où Vilar répondait aux questions des jeunes hébergés dans les Centre de séjour des CEMEAL’assistance qui aurait dû être limité aux jeunes résidents de ces centres était truffée d’auditeurs qui s’étaient infiltrés dans le but de polémiquer. Vilar semblait fatigué, il regrettait ne pas avoir pu s’entendre avec le Living, mais refusait d’être responsable d’incidents graves et d’être obligé de faire appel à la police. Il comprenait les interrogations d’un certain public, sur la culture à consommer comme des denrées alimentaires. Ne cachant pas son agacement devant l’agressivité de ses contradicteurs, il se demandait pourquoi, le festival d’Avignon, qui se voulait populaire était contesté alors que ceux d’Orange ou d’Aix qui étaient considérés comme des festivals bourgeois ne l’étaient pas. Nous sentions un homme épuisé qui semblait lutter contre des moulins à vent. Après ce festival mouvementé, Vilar sera victime d’un infarctus et reprendra ses activités en étant très affaibli.

      Au sortir de la conférence, je prenais la rue de la République et je fis une rencontre tout à fait inattendue. Je tombais sur Mireille et Paul, ma tante et son mari, qui avaient décidé de faire un tour à Avignon et d’essayer de voir un spectacle de danse. Je n’étais pas très satisfait de cette rencontre. Je leur ai donné, tout de même, rendez-vous après le spectacle, car je préférais dîner au Centre de séjour  pour pouvoir discuter avec mes camarades.  

       Le PSU était le parti qui avait le mieux compris le mouvement de Mai et qui véhiculait des idées proches de celles exprimées par les étudiants : autogestion, protection de l’environnement, etc. Un meeting à Villeneuve les Avignon était organisé par le PSU avec Michel Rocard et Marc Heurgon.  Je ne connaissais pas Marc Heurgon6, mais je savais qu’il était un professeur d’histoire, fils du Professeur Jacques Heurgon6, que mon père connaissait bien. Je regrette ne pas avoir pu aller à ce meeting, mais je préférais revoir le spectacle de Béjart avec Maria Casarès dans de meilleures conditions que le soir des manifestations.

        Malgré les déconvenues du festival contesté, je n’étais pas déçu d’avoir fait ce court séjour à Avignon. Je tenais à être présent à ce festival à un moment de crise.

 

                                                          Jean-Pierre Bénisti

 

 

 

1. Voir : Pierre Biner : Le Lliving théâtre, histoire sans légende.L’Âge d’homme. La Cité. Lausanne. 1968,

2. Jack Ralite (1928-2017), maire d’Aubervilliers, Député communiste, futur ministre de la santé. Il s’est illustré dans la politique culturelle.

3. André Acquart (1922-2016)  décorateur de théâtre, ayant commencé sa carrière à Alger. Ami de Louis Bénisti

4. Aguigui Mouna (1911-1999) célèbre militant anarchiste faisant la tournée à vélo de tous les festivals.

5. CEMEA : Centre d’entraînement aux méthodes d’éducation active.

6.Marc Heurgon (1927-2001) historien, membre du PSU fils de  Jacques Heurgon (1903-1985), professeur à Alger, ami de Camus et spécialiste des étrusques.

 

 

Je me souviens de Mai 68 : Grenoble-Alger : Aller-retour; 7. Avignon : Le festival contesté.
Avignon 1968 Photos JPB

Avignon 1968 Photos JPB

Je me souviens de Mai 68 : Grenoble-Alger : Aller-retour; 7. Avignon : Le festival contesté.
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