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2 avril 2012 1 02 /04 /avril /2012 18:42

 

VIII

 

 

            Chirac avait mené à bien son deuxième mandat. Il avait été élu au second tour par défaut avec un score à la soviétique et de ce fait, il devenait un président faible sans grande marge de manœuvre, laissant l’autorité au Premier ministre issu de la majorité parlementaire. Les élections présidentielles de 2002 avaient été un piège à cons, mais les cons qui avaient été pris au piège n’étaient pas ceux que l’on croyait. En dehors du Musée des arts premiers du Quai Branly, il est difficile de  voir actuellement les réalisations du Président Chirac. Il a tout de même su résister à l’Amérique et il s’opposa à cette absurde guerre d’Irak. Il avait aussi lors du premier septennat fait un excellent discours sur la responsabilité de l'Etat Français dans la déportation des juifs, il a renouvelé ce geste en allant au Chambon sur Lignon, ce village huguenot qui eut un comportement héroïque pendant la guerre et dont les électeurs favorables au Front national se comptaient sur les doigts d’une main lors des élections de 2002  Le président étant peu actif, le bouillant ministre de l’Intérieur qui’était un certain Nicolas Sarkosy pouvait s’en donner à cœur joie et préparer déjà sa candidature à la présidence. Chirac ne semblait avoir beaucoup d’affection pour ce  monsieur qui avait soutenu Balladur, mais vu l’état de son  parti, il était obligé de travailler avec lui. Le RPR , parti gaulliste et chiraquien avait fusionné avec la plus grande partie des centristes de l’UDF  Républicains indépendants d’Alain Madelin et  Démocrates sociaux de Méhaignerie et Jacques Barrot. L’UMP (Union pour une majorité présidentielle  devenue l’union pour un mouvement populaire) était née.Phillipe Séguin, un des leader important et respecté du RPR avait pris ses distances avec la politique et était devenu Président de la Cour des comptes. Juppé avait dû faire les frais des affaires anciennes de la Mairie de Paris et avait été déclaré temporairement inéligible. Cela privait Juppé de ses mandats électifs et cela privait aussi les citoyens français du talent d’un homme politique. L’indépendance du pouvoir judiciaire par rapport au pouvoir politique a ses limites. Villepin, homme compétent et cultivé,   n’était pas suffisamment rodé pour être présidentiable. Sarkozy était heureux comme un poisson dans l’eau et n’avait pas de concurrent. Il pouvait prétendre à la succession de Chirac.Chirac a tenté de modérer ses ambitions, mais n’a pas réussi avec Sarkozy,   ce que Mitterrand avait réussi avec Rocard. Sarkozy, brillant avocat savait gommer son échec en matière de politique de sécurité en faisant de grands discours sur une politique plus répressive que préventive. Il avait dû faire face à une rébellion dans les banlieues des grandes villes, mouvement de contestation très grave, qui  n’avait aucun support idéologique et qui s’est calmé de lui-même sans avoir été tout à fait éteint.

            Chirac avait essuyé un autre échec avec un non au référendum sur la Constitution européenne

           

            La gauche, vexée de ne pas avoir pu être présente aux présidentielles de 2002, souffrait de ne pas avoir un leadership, comme elle en avait à l’époque de Mitterrand. Elle s’était refaite une santé en réussissant à gagner la presque totalité des présidences de région et une grande partie des présidences des conseils généraux. Ségolène Royal avait réussi à  déboulonner le président de la région Poitou Charente qui était le Premier ministre Jean-pierre Raffarin. Elle fut surnommée la Zapatera, par analogie à Zapatero, vainqueur inattendu des élections espagnols qui avait battu le successeur de Jose Maria Aznar.  Zapatero signifie en espagnol savetier. Lorca a écrit une très belle pièce appelée Zapatera prodigiosa. Ce succès de Zapatero était dû à des déclarations trop rapides de Aznar après l’horrible attentat de la gare Atiocha de Madrid en mars 2004.

Ségolène se trouvait bien placée pour être candidate. Son compagnon d’alors François Hollande était occupé à gérer le parti socialiste et n’avait pas suffisamment de charisme. Jospin était hors-jeu et il ne restait donc que trois présidentiable au PS : Fabius, Dominique Strauss-kahn, et Ségolène. Il y eut une primaire interne au PS et Ségolène l’emporta.

 

            Les notables du PS et les spécialistes de l’économie eurent préféré DSK ou Fabius, mais la population générale était satisfaite de pouvoir avoir peut-être une présidente. Les vieux auraient rêvé d’avoir Ségolène comme fille, les enfants l’auraient eu volontiers comme maman et les hommes mûrs comme maîtresse ; Elle  correspondait donc à ce que les Français attendaient de l’image d’une présidente.

            Ségolène est une dame plaisante avec une certaine élégance, vestimentaire  acquise dans les écoles catholiques fréquentées par les jeunes-filles bourgeoises et bien élevées. Un de mes amis me dit à son propos : « Cette dame est redoutable ! Regarde-la bien ! Elle n’a pas une ride et n’a pas dû souvent sourire. » Il est vrai que les rides, comme le disait Simone Signoret, sont les cicatrices des sourires.

            Elle n’avait pas laissé de ses différents ministères, de souvenirs marquants. Elle avait à l’époque où elle était conseillère de Mitterrand écrit un livre sur les grand-mères. Les grands-parents ont vis-à-vis des petits-enfants un rôle non négligeable dans les transmissions des cultures orales et le drame des enfants dont les parents sont immigrés, c’est l’absence de grands-parents dans leur entourage immédiate.

            La gauche ne semblait pas disposée à gagner les élections présidentielles. Les responsables politiques locaux étaient heureux d’avoir les pouvoirs au niveau des régions ou des départements et laissaient volontiers le pouvoir national aux hommes politiques de droite.

            Ségolène commença sa campagne avec son équipe personnelle sans être aidée par les notables du Parti socialiste.  Elle ne s’en sortait pas si mal que ça.

            Sarkosy débuta sa campagne par un discours-programme assez intéressant où tous les électeurs pouvaient trouver leurs comptes, il essayait de synthétiser les valeurs de droite et les valeurs de gauche.Un ami italien m’envoya un courriel pour me dire qu’il s’étonnait des réticences des intellectuels français pour le cher Nicolas et  me dit qu'il avait apprécié son discours où Camus était cité.

            Sarko accordait beaucoup d’interviews. Il avait quelques intellectuels qui le soutenaient : André Glucsman ou l’avocat Arno Klarsfeld. Il accorda un entretien au philosophe Michel Onfray (1) dans lequel il disait qu’il pensait que la pédophilie avait une origine génétique. Il n’était vraiment pas compétent pour avoir une idée sur les comportements humains et semblait plus proche d’Alexis Carrel que de François Jacob ou Axel Khan, biologistes qui nous ont très bien expliqué la genèse des comportements humains.

            En dehors de ce discours programme,   il y avait des discours accéssoirs où Sarko et ses conseillers essayaient de pêcher dans les eaux troubles de l’extrême droite.Ségolène avait tendance à répondre à Sarkozy en le contredisant ou en reprenant ses idées, mais avait un programme plutôt léger. Encadrement militaire des jeunes délinquants…L’hymne de la campagne n’était pas l’Internationale ni la Marseillaise, mais Bella Ciaio, cette très belle chanson italienne  des travailleuses des rizières de Lombardie, devenues le chant des Partisans communistes italiens (Partigianni) Elle comprit qu’une élection présidentielle française ne devait pas se faire au son d’un chant italien. Aussi, il y eut dans les meetings des distributions de petits drapeaux bleus, blancs, rouges.

            Je remarquais que pour la première fois, j’irais voter pour un candidat plus jeune que moi. On me dit que ces élections étaient différentes des autres car pour la première nous aurons comme président ou une femme, ou un homme dont les parents étaient issus de l’immigration

            Entre Sarko et Ségolène, il y avait d’autres candidats : l’éternelle Arlette répétait depuis 1974 le même discours sur le même ton. En l’écoutant, j’avais l’impression de ne pas avoir vieilli. Besancenot, le petit facteur, paraissait plus convaincant qu’Arlette. Marie-Georges Buffet essayait de rassembler ses troupes en déroute Les écologistes Dominique Voynet et José Bové manquaient de souffle. Le Pen racontait aussi les mêmes histoires d’insécurité et d’immigration. Enfin, Bayrou, le centriste, avait des idées intéressantes. Il aurait été un président acceptable et sa présence au second tour aurait pu être fatal pour la droite. Mais, je n’ai jamais cru au centre dans une élection au scrutin majoritaire. Dans un tel système : ou bien le centriste choisit entre la droite ou la gauche, ou bien assis entre deux chaises, il finit par se retrouver le cul par terre.

            Au premier tour, Ségolène répara l’humiliation que nous avions subie lors du premier tour de 2002 et elle  obtint un score tout à fait honorable, mais sans réserve de voix. Il était difficile pour Bayrou qui rassemblait dans ses troupes les électeurs de droite  qui n’aimaient pas Sarko et les électeurs de gauche qui n’aimaient pas Ségo, de se désister en faveur de Ségolène.

            J’ai été au meeting de Ségolène à Lyon, entre les deux tours. Nous savions que les jeux étaient faits et nous essayons de garder le sourire. Le débat de l’entre deux tours ne fut pas très intéressant et n’apporta rien de nouveau. Au soir du second tour, nous anticipions notre déprime. C’était un dimanche très triste. À la radio Miguel Benasayag, psychanalyste argentin dit : « Borges disait que le tango était une pensée triste qui se danse. Le Sarko, c’est triste, mais ça ne se danse pas. » 

            Le second tour nous donna les résultats que l’on sait. Ségolène tout en étant pas élue, avait totalisé un nombre de voix supérieures aux autres candidats de gauche : Mitterrand ou Jospin. Sarkozy avait siphonné un certain nombre de voix lepénistes.

            Plus tard, on s’aperçut que l’énergie des deux candidats avait été provoquée par leurs ennuis familiaux : Sarko se séparait de Cécilia et Ségolène se séparait de Hollande, que l’on imaginait mal  dans la fonction de prince consort.

            Nous n’avions plus qu’à nous farcir cinq ans de Sarkozy et éviter d’attraper une sarkosite, ce syndrome dépressif qui sévissait pendant le quinquennat de Sarko Ier.

 

                                                                                    Jean-Pierre Bénisti

 

 

Notes :

1.http://www.philomag.com/article,dialogue,nicolas-sarkozy-et-michel-onfray-confidences-entre-ennemis,288.php

 

 

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