1er Mai 1995, à Evian, Louis Bénisti passait sur l’autre rive….
Le 1er mai 1995, à Evian, Louis Bénisti nous quittait dans le grand âge. Malade depuis quelques mois, il m’avait demandé de le conduire à Evian, lieu qu’il affectionnait car il avait retrouvé dans la vision du lac Léman au nord avec au loin la rive helvète, un paysage analogue à celui qu’il voyait à Alger avec la mer au nord et au loin la côte du cap Matifou. De plus, il avait retrouvé près d’Evian, son ami architecte Pierre-André Emery, qui originaire du canton de Vaud, avait longtemps vécu à Alger et avait aussi remarqué la parenté des paysages.
Né à El Biar, près d’Alger, le 15 mai 1903, avant la guerre 14. Le vingtième siècle n’avait pas encore commencé et lorsqu’il partit toujours en ce mois de mai, ce mois si riche en événements, le siècle était bien fini.
Louis, aimait se promener sur les hauteurs pour admirer le paysage et se reposer sur un banc de la plage d’Amphion, à l’ombre des pommiers d’où il voyait les estivants se livrer aux plaisirs de la baignade. Il était souvent accompagné de Solange, son épouse qui devait partir en octobre 1990 et qui appréciait aussi la région. De ce banc, il faisait souvent des croquis lui permettant ensuite de réaliser des peintures dans son atelier. Et les baigneuses du Léman ont rejoint les petites filles jouant à la marelle dans les ruelles d’Aix-en-Provence, les bateaux du port d’Alger et les femmes assises sur les canapés des bordels de la Casbah. .
Evian lui avait rendu un hommage en organisant en été 1990, une exposition de ses dernières œuvres. Jean de Maisonseul avait préfacé cette exposition et avait terminé sa préface par ce verset de Saint John Perse :
« Grand âge, vous mentiez : route de braise et non de cendre…la face ardente à l’âme haute,, à quelle outrance courons-nous là ? Le Temps que l’on mesure n’est point mesure de nos jours. »
Jean-Pierre Bénisti
Croquis de Plage 1
(La fille aux cheveux couleur d'herbe fauve.)
À l’approche d'une fille
Aux cheveux couleur d'herbe fauve,
Jamais lassé de voir sur elle
Mon regard lié.
Je laisse à mon désir le choix de désirer
La petite fièvre aux creux de ses épaules
Affolé du bonheur aigre-doux
De ses triangles sombres
Et salés aux aisselles
Accordant au Silence du Monde
Tout un monde de dires
Et de langages sans mots
Calme, le galet murmure
Sous la caresse de l'eau claire
Louis Bénisti
Août 85
Tout enfant, déjà. Je connaissais les plaines de pierres et de sel, où la chaleur du jour brûlait tout...
Et déjà j'écoutais les murmures qui couraient sur les vagues d'un désert de sables de sel et de pierres... vers les horizons sans fin.
Une voix très fine venue sans écho d'un lointain moment où des scarabées et des sauriens pressés de vivre avant les feux de la journée, à peine griffaient le matin pour trouve
leur pitance, puis chichement refaits retrouvaient l'effacement et l'oubli dans le creux des terres tièdes.
Mais, à l'approche du sol, l'oreille, peu soucieuse du froissement de l'air et du grésillement des granits, saisissait, à juste perçue, la souterraine houle d'une eau qui coulait sous les sables vers quelque mystérieux océan.
Et je fus longtemps à cette écoute, pareille à celle du marin aux aguets sur les calmes plats des mers sans rides.
Alors revenait en moi un des chants d'amour que Sauveur récitait, lui qui rassurait ses quarts et ses astreintes de mer par des proverbes ancestraux prévoyant les nuées t les quatre vents.
- Un rouf de plancher d'étable ! ...pas un seul fouet d'élingue claquant la nature.
- Mais sur la mer en sommeil, brusquement le rapide plongeon d'un poisson cueillant une bulle, ébrouant des nageoires dans une envolée d'air sec et d'éclair argenté.
- Mais l'oreille près de la coque épiait les frôlements des dorades et des girelles recherchant les patelles, les méduses et les anatifs... Fins murmures et secrets bouillonnements du monde des eaux.
- Alors, dans l'ivresse de soleil et l'envoûtement des bonnasses... surgissaient les Sirènes ! ...Et les Sirènes devenaient brises... Elles s'arrimaient et poussaient le bateau vers la bénédiction des petits frais et la fortune des vents.
Ainsi racontait la voix de Sauveur, mon ami, le peintre maudit, le marin de l'imaginaire, homme de mer et de vent, d'évasion retenue, virant au plus près des contournements de la baie sur des rêves de risques et d'îles lointaines, lié d'amitié à celui qui écoutait les pierres, les sables et le sel.
Je les aimais ces silences où tous les possibles m'arrivaient à fleur de peau et me pénétraient les pareilles musiques des mondes sidéraux.
Louis Bénisti Les Silences des Voirons 1985