L’actualité m’amène à reprendre un texte que j’avais écrit il y a trois ans.
Un article du Monde (1), publié aujourd’hui, nous signale que l’épilation totale est aujourd’hui à la mode chez les femmes et que cette mode atteint aujourd’hui les hommes.
« L’esthéticien pense, l’esthéticienne épile. » C’est ainsi que s’exprime le sociologue Ivan Jablonka1 dans une étude récente sur le métier d’esthéticiennes, qui, selon lui, deviennent de véritables travailleuses sociales et même quelquefois des psychothérapeutes
Le musée du quai Branly aujourd’hui Musée Jacques Chirac, a consacré, il y a quelque temps, une exposition aux cheveux. Nombre d’ouvrages sur la barbe ou les poils paraissent. Cela témoigne de l’intérêt des humains pour un système pileux proprement humain, les autres mammifères ont un pelage permanent tout à fait différent du système pileux humain.
Les religions se sont emparées du problème : les juifs et les musulmans portent souvent la barbe. Les sikhs ne se coupent jamais les cheveux. Dans les trois religions monothéistes, les femmes traditionnellement ne doivent pas se présenter devant d’autres en cheveux. Si cette tradition s’est perdue chez les chrétiens où les femmes se couvraient encore lorsqu’elles pénétraient à l’intérieur d’une église jusqu’à une époque pas si lointaine, elle perdure chez les juifs et les musulmans. Chez les juifs, les femmes très religieuses auraient la tête rasée recouverte d’un foulard ou d’une perruque. Chez les musulmans, les femmes manifestent leur identité en se couvrant la tête d’un voile. Ce fameux voile a alimenté des polémiques sur le port de signes religieux ostensibles, sur les traditions ancestrales et sur les prescriptions religieuses.
Le port de la barbe ou de la moustache chez les hommes varie selon les modes. Il s’agit souvent de manifestation de virilité. En Afrique du Nord, il n’était pas convenable qu’un homme ne laisse pas subsister une moustache plus ou moins grosse. Je connais des barbus qui masquent une déformation de leur menton (retrognatisme) par une barbe. Brassens fait allusion dans une de ses chansons à une moustache pouvant dissimuler un bec de lièvre (la fessée). Souvent le port de la barbe traduit souvent une forte timidité ou une affirmation d’une autorité qui pourrait être défaillante. Pourquoi vouloir circonscrire son visage ? Si le barbu est con, sa connerie en sera aggravée.
Les femmes à barbe ont toujours intrigué. Un tableau du peintre espagnol Ribera intitulé la mujer barbuda montre une femme barbue allaitant son bébé. Ce tableau est exposé à l’hôpital Tavera de Tolède. Il s’agit d’une femme atteinte d’un désordre endocrinien. Lorsque, enfant, je passais mes vacances en Auvergne, j’étais effrayé de voir des vieilles paysannes avec des barbes grises. Ces visions de femme à barbe étaient pour moi surréalistes.
Dire que c’est barbant ou c’est la barbe signifie c’est ennuyeux et c’est ennuyeux de se raser, c’est la raison pour laquelle les hommes politiques méditent sur leur avenir en se rasant.
Une expression comme à poil signifiant tout nu est une expression empruntée au vocabulaire des cavaliers. Monter à cheval à poil signifie monter un cheval sans selle ou encore à cru.
Les anthropologues étudiant les différences anatomiques des différentes populations ont pu faire des classifications des individus selon leurs systèmes pileux selon la couleur des poils ou selon leur implantation. Les hommes d’origine asiatiques ont peu de poils sur les jambes et le torse. Aussi bien les hommes que les femmes asiatiques ont les aisselles et le pubis assez fournis et surtout lisses. Ce sont presque des cheveux.
Cela rejoint cette chanson enfantine que nous chantions sur un air de tango, la dénégation était évidente :
Je ne suis pas curieux,
Mais je voudrais savoir,
Pourquoi les femmes blondes
Ont les poils du cul noir
Je ne chanterais pas la suite. Il y a cependant quelques blondes qui le sont entièrement
Jusqu’au dix-neuvième siècle, les artistes ne figuraient pas dans leurs peintures les poils de leur modèle. Les femmes à poil étaient sans poils. Même Rembrandt dans sa gravure de « la Femme qui pisse » ne figure pas les poils C’est Courbet qui fut un des premiers artistes à figurer la pilosité de son modèle dans un tableau appelé l’Origine du monde qui à l’époque fit scandale. Ce qui est surprenant dans ce tableau, ce n’est pas pour ce qu’il représente mais le fait que ce n’est pas seulement l’observateur qui regarde le tableau mais c’est le sexe velu de la femme représentée sur le tableau qui regarde son public. Ce regard est accentué par l’absence de visage du modèle peint. Depuis Courbet, d’autres artistes n’ont pas censuré les poils de leur modèle, notamment Picasso, Manguin ou Marquet…
Lucien Clergue a su tirer parti de l’esthétique du système pileux dans ses admirables photos de nus en contre-jour, photos qu’il fit pour illustrer le poème d’Eluard : Corps mémorable
Baudelaire dans un poème des Fleurs du mal rend hommage à ces toisons :
« Et sous un ventre uni, doux comme du velours,
Bistré comme la peau d'un bonze,
Une riche toison qui, vraiment, est la sœur
De cette énorme chevelure,
Souple et frisée, et qui t'égale en épaisseur,
Nuit sans étoiles, Nuit obscure ! »
(Les promesses d’un visage in les Fleurs du mal)
Jules Verne n’a pas écrit que le Tour du monde en quatre-vingt jours, il a aussi écrit un poème intitulé : Lamentation d’un poil de cul de femme. (3)
Au cinéma, la première actrice qui ait montré sa pilosité dans un film d’auteur est Jane Birkin dans Blow up d’Antonioni. Dans le Dernier tango à Paris, un film qui fit scandale, Maria Schneider soulève sa robe et exhibe une gigantesque touffe qui apparaît en gros plan sur l’écran et qui regarde les spectateurs comme dans l’Origine du monde de Courbet.
Aujourd’hui les femmes se rasent comme pour se libérer des dernières contraintes et l’on a plus l’occasion de voir le moindre poil. Tout le mystère qui se cache derrière ces toisons disparaît. Il y eut aussi la mode du rasage sélectif laissant sous le maillot un simple ticket de métro. Je préfère que les poils restent apparents et je regrette aussi les aisselles non épilées. Catherine Millet, l’écrivaine célèbre pour avoir raconté en détail ses exploits sexuels, avouait ne pas avoir cédé à la mode du rasage. Peut être qu ‘en s’épilant, les femmes veulent retrouver un sexe de petite fille. Il ne faut pas oublier que l’étymologie du mot puberté signifie apparition de la pilosité pubienne et cette apparition marque souvent le commencement de la fin de l’enfance.
Jean-Pierre Bénisti
- Lorraine de Foucher : La guerre du poil est déclarée. Le Monde 13.08. 2016
- Ivan Jablonka : Le corps des autres. Coll. Raconter la vie. Seuil, Paris, 2015 ISBN 978-2-37021-034
- Voir : http://pdidion.free.fr/notules_2006/pdf/lamentations_d_un_poil_de_cul_de_femme.pdf
Voir dans Libération un article issu d’un blog intitulé les 400 culs. L’auteure de l’article s’insurgeait contre la mode de l’épilation qui sévit actuellement
http://sexes.blogs.liberation.fr/agnes_giard/2012/09/epilation-cest-une-mode-ou-une-dictature-.html
Voir aussi :
Sylvie Kerviel et Macha Séry : La tyrannie de l'épilation.Le Monde 07.03.10