Il y avait des imbéciles qui venaient vous parler de volonté de puissance et de lutte pour la vie. Il n’avaient donc jamais regarder une bête ni un arbre ? Ce platane, avec ses plaques de pelade, ce chêne à moitié pourri, on aurait voulu me les faire prendre pour des jeunes forces âpres qui jaillissent vers le ciel. Et cette racine ? Il aurait sans doute fallu que je me la représente, comme une griffe vorace, déchirant la terre, lui arrachant sa nourriture.
Impossible de voir les choses de cette façon-là. Des mollesses, des faiblesses, oui. Les arbres flottaient. Un jaillissement vers le ciel ? Un affalement plutôt ; à chaque instant, je m’attendais à voir les troncs se rider comme des verges lasses, se recroqueviller et choir sur le sol en un tas noir et mou avec des plis. Ils n’avaient pas envied’exister. Seulement ils ne pouvaient pas s’en empêcher ; voilà.
Jean-Paul Sartre : La nausée. Gallimard –Folio p.187-188