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11 novembre 2014 2 11 /11 /novembre /2014 20:15

 

Solange Sarfati naquit à Alger le 12 novembre 1914, rue des Écoles dans le quartier de Bab el Oued, rue qui prit peu après le nom de Jean-Jaurès. Sa naissance au sein d’un couple qui avait déjà quatre enfants a permis à son père d’être démobilisé et de ne pas partir aux Dardenelles, lieux où les soldats de son régiment qui y sont allés, n’y sont pas revenus..

Elle entreprit des études de Médecine à la faculté d’Alger et devint médecin en 1944, métier qu’elle désirait pratiquer depuis son plus jeune âge.

En avril 1942, elle épousa Louis Bénisti, sculpteur et peintre. Les jeunes mariés ne pouvant se rendre à Venise du fait de la guerre, passèrent leur lune de miel, à Oran  répondant à l’invitation d’Albert Camus, qui était très lié à Louis. Camus avait d’ailleurs eu l’occasion de donner à Solange des leçons de philosophie, lorsqu’elle préparait  son baccalauréat.

  Elle exerça son métier de médecin dans le quartier de Bab el Oued de 1944 à 1972, traversant des époques de guerre et de paix,  et toujours dévouée à sa clientèle.

Elle finit sa carrière à Aix-en-Provence et prit sa retraite en 1979.

Elle mourut dans cette ville le 17 octobre 1990.

 

 

 

Jean-Pierre Bénisti

 

 

 

 

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Maternité (Solange) encre de Louis Bénisti

 

 

 

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Solange, Louis et Jean-Pierre à Alger vers 1947

Photo Louis Bernasconi

 

 

 

 

 

Solange-90923.jpg

 

 

 

 

Solange en été 1987 à Évian

 

 

 

 

 

Passer son baccalauréat avec Albert Camus.

 

C’est en 1934 que me trouvant chez ma sœur, j'ai vu arriver un beau jeune homme, qui n'était autre qu' Albert Camus.

Et lorsqu’en 1935, en dépit de mes bons résultats au lycée, j'ai échoué à la session de juin du baccalauréat, ma sœur demanda à Albert Camus (qui était le meilleur ami de Louis Bénisti, le frère de son mari Lucien) de me donner des leçons de soutien en philosophie. Camus étant alors jeune marié, il  avait besoin d'argent. Et pour être rentables, ces cours devaient être collectifs. C’est ainsi que je recrutais six autres élèves, Ginette Degueurce, Paulette Mamin, Josette Chiche (1), Lucile Elbaz et  Mademoiselle Weiss. Nous étions donc sept lycéennes qui tous les jeudis nous rendions à  la maison de Camus à Hydra, sur les hauteurs d'Alger..

Les cours de Camus se révélèrent complètement différents de ceux que nous avions suivis au lycée avec nos professeurs dont Monsieur Escaffre. Camus lui, donnait chaque semaine un exposé à une élève. Après l'exposé, il  provoquait la discussion avec les autres élèves, tout en prenant le thé et fumant des cigarettes. Ces après-midi étaient  si passionnantes  que nous attendions le jeudi  avec impatience,  et  ne regrettions plus d'avoir échoué, en dépit de  tout le travail que cela nous avait donné pendant cet été.

Nous étions toutes en admiration devant ce beau jeune homme qui, non seulement nous apprenait d'une manière fort agréable la philosophie, mais encore nous faisait rire.

Je tiens à raconter une petite anecdote qui se passait au cours d'une leçon un jeudi après-midi. Alors que l’une des lycéennes  commençait son exposé, nous avons entendu la voix de sa femme qui criait " Albert, vous avez laissé vos chaussures dans la salle à manger. " Camus nous dit alors : "Ne vous mariez pas, mesdemoiselles, ne vous mariez pas."

Au cours du mois de septembre 1935, comme nous avions beaucoup de travail pour les révisions et que nous perdions vraiment du  temps pour  aller jusqu'au parc d'Hydra, les leçons se déroulèrent chez une de nos camarades, Ginette Degueurce, au 12 bis du Boulevard du Telemly, une villa qui se trouvait en face de l'Eglise Sainte Martienne.

      Chaque fois que nous entendions les cloches sonner pour un mariage, Camus nous disait toujours avec un sourire ironique: " Ces malheureux, ils ne savent pas ce qu'ils font; ne vous mariez pas mesdemoiselles, ne vous mariez pas ! »  Inutile de vous dire que nous lui avons toutes désobéi.

La session d'octobre arriva, nous avons été reçues toutes les sept.  Il nous restait un peu plus d'un mois pour profiter des  vacances jusqu’à  l'entrée aux Facultés.

Ce mois a été merveilleux car chacune de nous organisait  une réception à tour de rôle, et ce fut un véritable plaisir d'avoir la présence de  notre jeune professeur parmi nous, si plein de charme et d’humour. C'est ainsi qu'il nous faisait rire en parlant "cagayous" et en nous lisant des passages du livre de "Musette" : "Le mariage de Cagayous", livre qu'il aimait particulièrement.

C'était le mois où il fallait décider du choix des études. Mon désir était évidemment de faire médecine, depuis  l'âge de huit ans, je rêvais de devenir doctoresse;, mais je fis part à Albert Camus des conseils de mes frères qui auraient préféré que je choisisse la pharmacie, "C'est moins long et cela laisse plus de liberté, " me disaient-ils. Albert Camus intervint : "Ne les écoutez pas, Solange, faites ce que vous désirez, vous êtes faite pour être un bon médecin." Ce furent de précieux encouragements.

 

 

Solange Bénisti

 

 

Texte  ècrit à Aix en Provence en 1984

 

(1) Une lettre d’Albert Camus à Josette Chiche est parue dans le  Cahier de  l’Herne consacrée à Camus paru en été 2013.

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