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29 décembre 2024 7 29 /12 /décembre /2024 09:48

 

Les mots et les phrases, pas plus qu'une note de musique sur une portée musicale, ne rendent compte des qualités ou des défauts d'un dessin, d'une gravure, d'une huile, d'une sculpture. Louis Bénisti pratiqua tous ces genres. Seul le regard du visiteur, allié à quelques connaissances en histoire de l'art, offre les clefs permettant d'ouvrir une oeuvre.

 

« Les dessins de Bénisti », écrivait Claude de Fréminville, le Claude Terrien d'Europe n° 1, « sont promesses de statue ». Souvent. L'art figuratif respectable, affirme-t-on, revient. Non pas contre mais avec et après l'art dit abstrait. Là, hors des modes et du marché, Bénisti, au cours de ses ultimes années, fut un précurseur.

Sa malvoyance partielle, joyeuse ou mélancolique avec l'Algérie au coeur, au corps et au bout du pinceau, épura son trait, décanta ses couleurs. Je ne le comparerais pas au Titien qui, somptueux, renaît dans sa vieillesse. Mais Bénisti, solitaire, chercheur qui trouve, solide, traversa une dernière «période» éclatante, lumineuse, touchante. Sincère, honnête est surtout efficace. Son ami Albert Camus voyait un Louis «biblique». L'écrivain s'inspira de Bénisti pour le personnage de Noël dans “La Mort heureuse”. Albert avait en Louis une confiance absolue. Le travail de ce peintre exprime l'innocence au sens où l'entendait William Blake comme les travaux de Jean de Maisonseul rendent l'expérience.

Bénisti demeura en Algérie jusqu'en 1972 dans la bonasse et la tempête. II fallait du courage. Voilà la raison majeure d'une négligence des critiques qui oublièrent aussi Sauveur Galliéro. Des pieds-noirs! Je sais qu'il n'aimait pas cette appellation non-contrôlable. « Algérien de souche européenne ou française » paraît trop officielle, très déshydratée. Bénisti comme Galliéro - le comble! - ne furent ni algérianistes ni exotiques. Comment leur pardonner?

Je revois Louis à Aix, en exil. Je l'entends raconter le soleil et l'ombre dans les gorges de la Chiffa, ses balades à travers la Casbah avec Max-Pol Fouchet, ses émerveillements lorsqu'il découvrit le Paris des Pitoëff. Je l'entends, imitant l'accent de Bab-el-Oued, chanter une chanson humoristique d'Edmond Brua sur l'air des Ponts de Paris:

Aousqu'il est ton père?

Encore à le café.

Força força m'enterre.

Tellement qu'il m'en a fait,

Tata Lucette, elle est au 7

Pourquoi elle fait bien la maqu'relle.

 

Louis Bénisti mériterait une rétrospective, comportant ses masques et d'abord ses bronzes superbes de Saïd, de René-Jean Clot... Sans oublier ses croquis du «Théâtre du Travail » sur lequel régnait un Camus autocrate et charmeur. Une œuvre en somme, pas édifiante mais exemplaire.

Regardez ces monotypes et ces gouaches.

 

                                               Olivier TODD

(Catalogue de l’exposition de Louis Bénisti à “La Petite galerie”, Paris, mai 2000, repris dans Louis Bénisti, peintre, sculpteur et écrivain,  numéro spécial, Algérie littérature action, dirigé par Hamid Nacer-Khodja, octobre 2003)

Louis Bénisti et Olivier Todd  à Lacoste en 1992

Louis Bénisti et Olivier Todd à Lacoste en 1992

La  maison devant le monde, gouache de Louis Bénisti, acquise par Olivier Toddr Todd

La maison devant le monde, gouache de Louis Bénisti, acquise par Olivier Toddr Todd

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