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3 juillet 2025 4 03 /07 /juillet /2025 17:35

             

               Annie Ckzarneki  vient de nous quitter.

              J’ai connu Annie lors  mon enfance à Alger. J’avais dix ans et je fréquentais avec mon père les galeries d’art, dont la galerie qui se trouvait dans le sous-sol de la librairie Rivages dirigée par Edmond Charlot.  Un soir de printemps 1953, mon père me présenta parmi les peintres visitant une exposition une toute jeune fille qui répondait au prénom d’Annie et qui manifesta le désir de faire mon portrait.

       Annie était la fille de Jan Ckzarneki, professeur de philosophie et de Thérèse Milhaud, professeur, mais aussi écrivain. Elle avait publié un livre dans la collection Espoir dirigée par Albert Camus un livre intitulé Le même bateau

        Annie faisait partie d’un groupe de jeunes peintres algérois qui  comprenaient André Cardona, René Sintés, Mohamed Bouzid, Freddy Tiffou ou Choukri Mesli et qui, encouragé par Sauveur Galliero exposaient ensemble.

       Elle vint chez moi dans l’appartement de Bab el Oued  où je vivais avec mes parents, et j’ai eu l’occasion de poser.  J’ai alors sympathisé avec cette jeune peintre. Elle m’invita chez ces parents et elle m’initia au regard de la peinture et notamment à Van Gogh.  Nous partagions une passion pour ce peintre au destin tragique. J’avais été imprégné par une reproduction de  l’Homme à l’oreille coupée, qui ornait l’appartement de l’architecte Louis Miquel.

          Après nos rencontres du printemps 1953, Annie partit à Paris pour faire des études à l’école des Beaux-Arts et je l’ai perdue de vue. Nous continuons à rencontrer ses parents. Je croisais son père au lycée d’Alger, puis en 1955, les Ckzarneki, qui  militaient pour une Algérie libre et fraternelle, furent obligés de quitter Alger pour s’installer à Paris

 

Mes parents avaient eu cependant des nouvelles de Jan Ckzarneki qui écrivait des articles dans un journal protestant, dirigé par Paul Ricœur : Cité Nouvelle. Un des articles parlait de la situation difficile à Alger des intellectuels comme Maisonseul, qui venait d’être arrêté  ou Mandouze, qui avait été expulsé.

 

Entre temps, Annie s’était mariée à Paris avec Maurice Adrey, jeune architecte , neveu du peintre oranais Maurice Adrey1, ami de mon père et de Camus, qui désespéré avait mis fin à ses jours en 1950

 

Nous avions revu les parents Ckzarneki, qui passaient leurs vacances au Chambon sur Lignon. Si Thérèse Milhaud (Madame Ckzarneki) était d’origine juive provençale comme son homonyme Darius Milhaud et faisait partie de ce que l’on appelait les juifs du pape, Jan Ckzarneki était un protestant d’origine polonaise. Ils étaient tous deux  peu pratiquants mais très attachés à leurs religions d’origine.

J’appréciais beaucoup les discussions avec eux, en raison de leur grande culture littéraire, philosophique et politique. Ils nous ont présenté leurs amis Crespin, dont les enfants devinrent rapidement mes amis. Les Ckzarneki nous entraînèrent à une conférence du Pasteur Crespy, professeur de théologie à Montpellier, sur le Père Teilhard de Chardin. Je ne connaissais pas encore le nom de ce philosophe, dont j’ai par la suite admiré sa pensée. À vrai dire, j’ai essayé d’écouter le conférencier, mais j’ai eu beaucoup de mal à suivre. Annie et ses parents étaient aussi à la conférence. Ce village du Chambon était vraiment étrange, il est rare qu’il y ait des lieux de vacances qui programment des conférences sur Teilhard de Chardin pendant le mois d’août. Quelques mois après, quand notre professeur de lettres évoqua ce philosophe, il fut étonné que j’en eus entendu parler.

          Lorsqu’en 1961, j’ai quitté momentanément l’Algérie pour Paris, j’ai retrouvé Thérèse Milhaud, qui était séparée de son mari. Elle me donna des nouvelles d’Annie qui avait alors deux filles et habitait  Marseille.

Ce n’est qu’en 1974, que mes parents, installés à Aix en Provence, reprirent contact avec Thérèse Milhaud qui , retraitée , habitait sa maison familiale  aux Angles près d’Avignon. J’ai retrouvé Annie qui exposait à Avignon2.

Quelques années après, Annie s’est séparée de Maurice Adrey. Je la rencontrais quelquefois lorsqu’elle exposait à Avignon ou à Marseille, ou lorsque mon père a exposé à Toulon3 en octobre 1993.

La dernière fois que je l’ai vue, c’était en mai 2015 à Pézénas à l’exposition des peintres amis d’Edmond Charlot. Elle était l’un des rares peintres encore vivants ayant participé aux expositions organisées à Alger par le célèbre éditeur.

 

 

                                                           Jean-Pierre Bénisti

 

Voir :

 

https://www.aurelia-myrtho.com/article-exposition-annie-czatnecki-a-marseille-123484509.html

https://www.czarnecki.fr/index.htm

 

 

 

 

 

  1. Maurice Adrey.(1899-1950) peintre ami de Albert Camus, de  Jean-Paul de Dadelsen et de Jean Daniel. 

« Suicide d'A. Bouleversé parce que je l'aimais beaucoup, bien sûr, mais aussi parce que j'ai soudainement compris que j'avais envie de faire comme lui. »   Albert Camus  Carnet 2  Éditions Gallimard p 322.

  1. Avignon Galerie Latapie. Juillet 1974
  2. Exposition Louis Bénisti Espace Interrogation Toulon Octobre 1993

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Portrait de Jean-Pierre Bénisti (1953) par Annie Ckzarneki Dessin au fusain.

Portrait de Jean-Pierre Bénisti (1953) par Annie Ckzarneki Dessin au fusain.

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