Hommages de deux hommes remarquables décédés le même jour le 2 juillet 2016
Les 9 et 10 novembre 1990, s'est déroulé à Strasbourg le colloque "Albert Camus et l'Europe". Après l'ouverture du colloque par Catherine Trautman, Maire de Strasbourg, André Abbou, organisateur du colloque, lit un message de sympathie de Michel Rocard, Premier ministre, dont voici le texte:
Mesdames, Messieurs,
Lorsque j'ai reçu l'invitation des organisateurs de ce colloque international sur Albert Camus et l'Europe, j'ai regretté que mon emploi du temps ne me permette pas d'être présent à la séance d'ouverture. J'ai toujours, en effet, pensé qu'Albert Camus n'avait pas la considération qu'il mérite, bien qu'il soit l'un des auteurs français les plus lus. Le choix du thème de votre colloque me paraît judicieux. Car Camus est, parmi les intellectuels de ce temps, un de ceux qui ont porté le plus loin le regard sur l'Europe du milieu du siècle, secouée par des crises de toute nature et tourmentée par les idéologies autoritaires. Albert Camus, parmi d'autres engagements, a refusé d'être uniquement un artiste et a participé au combat contre l'injustice. Il a défendu l'Allemand contre le nazisme, il a signé un double appel en faveur des communistes grecs condamnés à mort en 1949 et 1950, il a démissionné de l'UNESCO lorsque l'Espagne franquiste y fut admise, il a protesté après l'écrasement de l'insurrection hongroise de 1956. Il a donc ainsi anticipé sur les mouvements de solidarité que l'on connaît aujourd'hui en Europe. Albert Camus fut un éminent représentant de l'esprit européen, fait d'un questionnement permanent. La condition humaine est pour lui essentiellement révolte, c'est-‡- dire réaction à l'absurdité qui se révèle dans la confrontation de l'homme au monde, refus de toutes les injustices engendrées par la société et l'histoire. Cependant, cette tragédie fondamentale doit se doubler d'une révolte positive qui affirme les droits de l'homme, de la vie, de la nature comme valeurs suprêmes. La révolte sauve donc la dignité de l'homme, laquelle s'inscrit dans cette tension entre la révolte contre et la révolte pour. C'est ce que n'ont pas vu les idéologies totalitaires qui ont finalement conduit à justifier le crime et la négation de l'homme. Il faut relire L'homme révolté et comprendre la force qu'il donne à un combat, inscrit dans la mesure, pour un âge adulte de la pensée moderne. L'avenir de nos nations aujourd'hui n'est-il pas lui aussi inscrit dans la tension entre la révolte et la mesure, dans le refus de toute logique unilatérale du désespoir. L'Europe de Camus, que nous découvrons en creux de ses ouvrages, est une préfiguration de celle que nous avons à vivre aujourd'hui. Je suis sûr que votre colloque contribuera à la connaissance et à la diffusion d'une pensée qui nous a tant apporté et qui nous apportera encore beaucoup.
Michel Rocard.
Bulletin de la Société des études camusiennes n°22, avril 1991
Elie Wiesel rends hommage à Albert Camus dans le numéro 846 de la revue Europe, octobre 1999, (numéro spécial Camus publié sous la direction de Jacqueline Levi-Valensi.