Europe
Arbre mutilé, maintenant sois libre
Ils avaient empoigné des branches
Pour les cingler et les briser ensemble
Par le calcul et la rigueur de leurs plaies ;
Ils les maintenaient en branle éperdu,
Ils les tourmentaient de durs élans captifs
Ils se disputaient tes fruits et tes feuilles
Et jusqu’à tes nids
Ils ont fait de toi pendant vingt saisons
Un arbre d’hiver et quel hiver !
Le sol est jonché de tes frondaisons
Ton écorce perd en lumières blêmes
Poisseuses partout de la même sêve.
Mais maintenant, veuille revivre et libre !
Mais maintenant, oh ! veuille te garder !
Ton faîte est brisé, mais le tronc est fort,
Mais l’espoir est fort, mais la terre est riche ;
Et vois tes bourreaux, leur œuvre n’a pu
Que précipiter leur décrépitude
Arbre, écartelé par leurs convoitises,
Tes bras déchirés, tes bras ennemis,
Fais-les, se nouer, se croiser, s’étreindre
Se quitter, se tordre et se prendre encore
De telle façon que tu ne sois plus
Un déploiement de forces divergentes,
Mais un seul destin, un amour, un arbre ;
Charles Vildrac. Chant du désespéré (1914-1920)