En 1981 ? Je n’avais pas de télévision. J’avais su que Mitterrand avait affirmé à Alain Duhamel et à Jean-Pierre El Kabbach, qu’il s’engageait à supprimer la peine de mort. Je remarquais le courage de Mitterrand qui s’engageait sur un sujet très controversé alors que Giscard, n’osait pas s’engager par manque de courage politique.
Fin mars, je me rendais au grand meeting de Mitterrand au Palais des sports de Lyon. La salle était pleine à craquer. Je remarquais que Mitterrand semblait bien plus rassuré qu’à Grenoble en 1974, où j’avais assisté à son dernier meeting de campagne, . Il semblait croire à la victoire. Ce meeting nous remontait le moral et chacun pensait que la victoire de la Gauche était tout à fait possible. J’ai donc envoyé un chèque au Comité de soutien à Mitterrand.
Le premier tour des présidentielles était encourageant. Il fallait tirer deux semaines. J’avais vu débat Giscard Mitterrand chez ma collègue assistante sociale Simone J. Je remarquais l’assurance de Mitterrand face à Giscard, cela contrastait avec le duel de 74.
Le 10 mai 1981, j’allais voter à Aix et je rentrais à Lyon le soir. J’étais chez moi vers vingt heures dix, j’ai pris la radio et j’ai entendu une déclaration de Jospin, faisant état de la victoire de Mitterrand. J’ai pris ma voiture et je me suis rendu chez les J, amis qui possédaient un poste de télévision, pour voir les commentaires. Nous étions tous joyeux et prêts à faire la fête et nous regrettions que le bal de la Bastille ait été mouillé. Les journalistes de télévision, notamment Cavada et El Kabbach, semblaient embarrassés. Lorsque El Kabbach a eu Marchais au téléphone, ce dernier lui a dit : « Ah ! C’est El Kabbach ! » entraînant les éclats de rire de tous les invités de l’émission présents sur le plateau
Le lendemain, tous mes collègues étaient joyeux. Au centre où je travaillais, les assistantes sociales fleurirent leurs bureaux de roses et me félicitèrent car elles avaient su que j’avais signé un appel à voter Mitterrand et cet appel était affiché sur les panneaux électoraux.
J’avais écouté peu de temps avant le second tour un entretien avec Jacques de Fontbrune sur les quatrains de Nostradamus. Jacques de Fontbrune1 s’appelait en réalité Jacques Pigeard de Gurbert et était le premier mari de Marie S, notre voisine, avait fait une nouvelle traduction des quatrains, il avait refusé de parler des prédictions de Nostradamus sur l’élection présidentielle en raison de la discrétion qui s’imposait mais avait évoqué un possible assassinat du pape à Lyon.
Le mercredi 13 mai, mon père me téléphona, je lui demandai des nouvelles, il me dit : « Moi, je vais bien, c’est le pape qui va mal. Il vient d’avoir été poignardé à Rome. » Je pensais à cette prédiction de Nostradamus qui n’était pas exacte mais troublante. Quelques années après le drame, le Pape Jean-Paul II a été de rendre visite à son meurtrier dans sa cellule. C’est peut-être le plus beau geste qu’il ait fait. Cela rappelle une scène célèbre des Justes2 de Camus.
La presse ne manqua pas de faire allusion aux prophéties de Nostradamus, revues par Jacques de Fontbrune. Il y aurait dans un des quatrains : « Dès que la rose éclorera, le sang coulera. » L’élection de Mitterrand, tout comme l’attentat contre le pape aurait été prédit.
Cette fin de septennat de Giscard avant la prise de fonction de Mitterrand paraissait interminable. Giscard mit en scène son départ en laissant l’image d’un homme tournant le dos à ses téléspectateurs et une chaise vide. Mitterrand rentrait enfin dans l’Élysée et Giscard quitta le château sous les huées de quelques imbéciles qui semblaient ignorer que dans un combat politique le perdant d’une élection doit être respecté.
Mitterrand avait soigné la mise en scène de son entrée en fonction : Arc de triomphe, Hôtel de Ville, Panthéon. Tout cela était fort émouvant et nous avions l’impression qu’une partie du peuple français éloignée longtemps des responsabilités reprenait ses droits. La Constitution élaborée par De Gaulle, avait fonctionné et n’était donc pas aussi mauvaise qu’on avait pu le penser auparavant.
Jean-Pierre Bénisti