Sur France-Culture, l’émission « les Regardeurs » est consacrée cette semaine au Déjeuner sur l’herbe de Manet (1). Ce tableau est surprenant, car la femme se trouve nue, en compagnie de messieurs habillés en habit de dimanche. Au loin, une autre femme, en déshabillé, s’apprêtant à se baigner, semble se fondre dans le paysage lointain.
Pour moi, deux interprétations sont possibles :
La première : le peintre se met à la place du spectateur-regardeur. En réalité, les personnes sont habillées, la femme l’est aussi mais le regardeur, séduit par sa beauté, la voit comme étant nue. Les hommes sont réels, la femme assise est imaginaire, quant au symbolique, c’est peut-être la baigneuse du fond.
La deuxième : la femme s’est mise nue pour se baigner devant des messieurs qui ne connaissent pas ce plaisir. Elle interpelle le spectateur qui la regarde et lui dit : « Regarde-moi, comme je suis belle ! » Le spectateur se trouve alors dans la même position devant ce tableau, que celle dont il se trouve devant l’Origine du monde de Courbet : Ce n’est pas le spectateur qui est voyeur c’est le personnage du tableau qui est exhibitionniste. La femme peinte n’a pas un visage qui pourrait regarder le public. C’est son sexe qui regarde le public.
Ces peintures gardent encore une fonction sociale. Les fresques du Moyen-âge racontaient l’histoire sainte à un public non lettré. Les peintures de Goya pouvaient nous parler des désastres de la guerre. Élie Faure, voyant ces peintures narratives comme le déjeuner sur l’herbe, parlait de cinéma avant la lettre.
Auguste Renoir continua à faire quelques peintures narratives comme le Moulin de la Galette et avec ses collègues impressionnistes, il tournait le dos aux peintres académiques que l’on qualifiait de pompiers. Jean Renoir a pris le relai de son père en devenant cinéaste et il fit lui aussi son déjeuner sur l’herbe.
Jean-Pierre Bénisti