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12 septembre 2013 4 12 /09 /septembre /2013 18:03

C’était à la fin du mois d’août 1973. Je séjournais avec mes parents à Tourettes sur Loup. Nous nous réunissions souvent avec des amis et nous discutions comme toujours des sujets d’actualité. Le journal, le Monde publiait une interview d’Andrei Sakharov, savant soviétique qui critiquait la politique de l’URSS et une autre d’Alexandre Soljenitsyne qui avait fait un réquisitoire sans appel du système soviétique. Charles P. qui était un ancien communiste que l’on pouvait qualifier de repenti nous faisait  une analyse de la situation et il se trouvait renforcé dans sa position actuelle, ouvertement anticommuniste. Nous voyons que non seulement l’Union soviétique n’était pas du tout le paradis, mais qu’elle était proche de l’enfer, et le bilan des années de communisme n’était pas, comme dirait l’autre, globalement positif. Cependant Charles pensait qu’il devait avoir un relâchement du système soviétique, car sous Staline, Sakharov et Soljenitsyne n’auraient pas pu faire de telles interviews et que sous Brejnev, les intellectuels risquaient de perdre leurs libertés mais pas de perdre leurs vies comme sous Staline. Je me suis précipité sur une journée d’Ivan Denissovitch  et je l’ai lu d’une traite. Nous nous interrogions sur le bien fondé du Programme commun de la gauche, car nous rejetions tous, le système communiste. Beaucoup d’entre nous ne cachaient pas que l’union de la Gauche était une union à visée exclusivement électorale et que nous manquions d’honnêteté intellectuelle. Nous verrons qu’aux prochaines élections présidentielles de 1974, Valéry Giscard d’Estaing a eu son élection grâce à Soljenitsyne, car il y a bien deux cent mille personnes qui, effrayées par le témoignage de l’écrivain, ont voté Giscard par peur du communisme.

Un fait divers attira notre attention. Un traminot marseillais venait d’être tué d’un coup de couteau par une personne d’origine nord-africaine. Des réactions racistes suivirent ce meurtre et les relations algéro-françaises traversèrent une période de turbulence. En fait, après enquête médico-légale, on a su que le meurtrier présentait des signes d’épilepsie. Les épileptiques peuvent commettre des actes incontrôlés.

Par ailleurs, des rumeurs concernant la santé du président Pompidou circulaient. Des indiscrétions, émanant de médecins hospitaliers qui laissaient de côté leurs devoirs de réserves, nous apprenaient que le président souffrait d’un myélome, c'est-à-dire une affection cancéreuse de la moelle osseuse. Il subissait un traitement intensif à la cortisone. Son état physique en était transformé.

L’été n’en finissait plus. Mon père était assez excité et discutait vivement avec les copains. Au cours d’une soirée nous nous sommes amusés à dire chacun son tour et de façons différentes, le vers de Victor Hugo :

- Va les chercher, dit-il ;

-Tiens, dit-elle en écartant les rideaux, les voilà.

Nous sommes rentrés à Aix fin août et nous avons repris nos activités.

Un matin, j’achetai  le Monde et je fus surpris d’apprendre la mort de Jean Sénac13 et j’en informai mes parents. Nous n’arrivions pas à dissimuler nos larmes. Mon père se résigna à accomplir la lourde tâche de téléphoner à Jean de Maisonseul pour lui annoncer la terrible nouvelle. Il n’avait pas encore lu le journal et apprit la nouvelle par ce coup de téléphone. Il finissait son séjour en Provence et regagnait Alger le lendemain.

Nous nous interrogions sur les mobiles de cet assassinat, qui rappelait celui qui avait eu lieu à Grenade en 1936 contre Federico Garcia Lorca. Je recherchais dans les journaux les hommages à Sénac. Le Monde et le Nouvel Observateur rendirent compte de l’évènement. L’extrême discrétion du journal El Moudjahid qui accorda à la mort du plus grand poète algérien un article d’un trente-deuxième de page nous déçut. Il est vrai que la presse d’Alger  était submergée par le sommet des non-alignés qui se tenait dans la capitale algérienne.

Jean de Maisonseul  nous informa des conditions dans lesquelles se sont déroulées les obsèques de Sénac. Les officiels algériens brillaient par leur absence. Cela nous a interpellé Pourquoi les officiels algériens s’évertuaient à tuer une seconde fois l’un de leurs plus grands poètes ? Aucun journaliste ne leur ont  posé la question. Ahmed Taleb-Ibrahimi, qui avait été ami de. Sénac et qui était ministre, n’a fait aucune déclaration. Mostefa Lacheraf, qui avait préfacé Sénac, n’a pas été à son enterrement. À Aix, mes parents reçurent la visite de Nathalie Garrigue-Jossé  qui leur raconta les derniers jours de la vie de notre ami à tous. Sénac  était-il la dernière victime de la guerre d’Algérie ou la première du fanatisme islamique. Peut-être ni l’une ni l’autre, mais la question est toujours posée.

Le 11 septembre, nous apprenions qu’à Santiago du Chili un coup d’état avait renversé le gouvernement d’unité populaire de Salvador Allende. Le Général Pinochet avait pris le pouvoir et Salvador Allende s’était suicidé. Nous étions tous bouleversés et nous pensions à la similitude entre le coup d’état de Pinochet et le pronunciamiento du Général Franco en 1936. Comme les nazis au Vel d ‘hiv  avaient parqué les juifs en 1942, Papon les Algériens en 1961, Pinochet parqua ses opposants dans les stades de Santiago.

Quelques jours après le coup d’état, le poète Pablo Neruda devait périr. En cette année 1973. Il ne fallait pas s’appeler Pablo, les deux autres grands Pablo : Picasso et Casals sont morts cette même année 73.  La guerre d’Espagne était présente dans nos esprits. Pablo Neruda14 avait écrit au sujet de cette guerre :

¡ Venid a ver la sangre por las calles !

(Venez voir le sang dans la rue !)

Mon ami Antoine Blanca, que j’avais perdu de vue, fut chargé par l’Internationale socialiste de faire une enquête sur la situation. Dans son rapport, il compara la situation à Santiago à celle de la Casbah pendant la bataille d’Alger. Il sera par la suite ambassadeur de France en Amérique du Sud et il publiera  par la suite un livre sur ce coup d’état intitulé : Salvador Allende, l’autre 11 septembre, en référence à ce qui s’est passé à New York le 11 septembre 2001.

Un autre évènement important avait lieu à Alger quelques jours avant ce coup d’état :c’était le sommet des pays non-alignés. Salvador Allende n’avait pu y participer et avait envoyé un message écrit.  On pouvait s’interroger sur le non-alignement de Fidel Castro ou d’autres, mais ce mouvement aurait pu être intéressant si les pays présents à cette conférence étaient réellement non-alignés. Je suivais les informations à la radio et je reconnus la voix de Ralph Pinto, un ancien camarade de l’école de la rue Franklin de Bab el Oued, qui était devenu journaliste de politique étrangère à France-inter et qui couvrait le sommet d’Alger.

Un mois plus tard, la guerre reprenait au Proche-Orient et l’année 1974 fut aussi riche en évènements.

Jean-Pierre Bénisti

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