Chers amis,
Permettez-moi d'attirer votre attention sur le débat qui se tiendra
Mardi 19 mai à 19h
Maison de L'Amérique Latine
(217 boulevard Saint-Germain, métro Solférino ou Rue du Bac)
avec la participation de
Georges Morin,
président de l'association Coup de Soleil
Benjamin Stora,
historien et président du Musée de l'histoire de l'immigration
Edwy Plénel,
fondateur de Médiapart
à partir d'un important témoignage inédit récemment publié chez Gallimard,
sur un texte établi, annoté et commenté par Yvette Langrand, Agnès Spiquel et Christian Phéline,
tous trois présents à ce débat :
Charles Poncet
Camus et l'impossible Trêve civile
suivi d'une correspondance avec Amar Ouzegane
Le 22 janvier 1956, à la demande de plusieurs amis musulmans et européens, Albert Camus lance à Alger un « Appel pour une trêve civile ». Alors que déjà une guerre multiplie ses victimes, il s'agit d'obtenir des forces en présence qu'elles évitent au moins de tuer des êtres innocents Tandis que l'extrême droite l'assiège aux cris de " A mort Camus!.. Mendès au poteau!.. A bas les Juifs !", la réunion reçoit le soutien de membres des Eglises comme de Ferhat Abbas. Dès le début du mois suivant, après la « Journée des tomates », Guy Mollet cède aux ultras de l'Algérie française...
Vingt ans plus tard, Charles Poncet, le plus proche des amis algérois de Camus, entreprend le récit de ce qui fut l'ultime moment de fraternisation entre représentants des deux communautés. Resté inédit, ce document remarquable, qui relate aussi une forte histoire d'amitiés, est enfin publié, éclairé par une lucide correspondance entre Poncet et Ouzegane sur les leçons de cette initiative de la dernière chance.
Après quatre autres décennies et par-delà son échec immédiat, le choix d'humanité que portait l'appel de 1956 résonne aujourd'hui avec une force intacte. Alors même qu'à la dérive meurtrière du fondamentalisme risquent de répondre le refus de l'Autre ou une escalade sécuritaire, le combat n'est-il pas de conserver possible une vie commune où tous trouvent à s'exprimer librement dans le respect de chacun ?
On a en effet trop longtemps réduit l'épisode à un ultime témoignage purement moral, condamné d'avance par son angélisme et son caractère individuel, et qu'aurait définitivement disqualifié l'hésitation ultérieure de Camus à s'engager pour l'indépendance. Aussi est-il utile pour le débat de rappeler les faits suivants
S'il allait effectivement à contre-courant de l'escalade des violences, l'appel du début 1956 a été porté collectivement, à Alger même, par ce que la minorité européenne libérale, avec Jean de Maisonseul, Louis Miquel, Pierre-André Émery, Roland Simounet, Louis Bénisti, Évelyne et René Sintès, Emmanuel Roblès, Henri Cordreaux, comportait de meilleur au plan intellectuel et artistique, et publiquement soutenue par des religieux comme le père Cuoq et le pasteur Capieu.
À travers Amar Ouzegane, Mohamed Lebjaoui, Maître Abderrezak Chentouf, Boualem Moussaoui, Mouloud Amrane et le Docteur Abdelaziz Khaldi, l'initiative et l'organisation en ont été partagées, à parité au moins, par ceux qui se voulaient le brain trust de la libération nationale à Alger et étaient déjà personnellement engagés, derrière Abane Ramdane, dans la préparation de ce qui deviendra pour le FLN la plate-forme de la Soummam (août 1956).
Si l'Appel défendait un objectif minimal de refus des victimes civiles sans demander aux deux belligérants d'abdiquer a priori leurs objectifs respectifs, il ne se limitait en rien à une pure protestation éthique. Comme le souligne Camus dans L'Express du 26 janvier 1956, en « sauvant quelques vies humaines de la répression et du terrorisme », il ne se voulait qu'un « pas en avant » propre à « faciliter le dialogue » – c'est-à-dire à créer sans plus tarder les conditions d'une négociation loyale se saisissant du fond de la question algérienne.
Loin de réduire leur soutien à une « manipulation », le fait que la plupart des membres musulmans du comité de la Trêve civile étaient déjà politiquement engagés dans la lutte de libération nationale constituait plutôt le gage d'une possible effectivité politique. Pour autant, on le sait, Camus, à la différence de ses interlocuteurs musulmans d'alors, estimait que la négociation souhaitée devait associer sans exclusive dans une « table ronde » tous les courants historiques du nationalisme algérien.
À peine quelques semaines après l'Appel du 22 janvier, tout à l'inverse de ses objectifs, le vote des « pouvoirs spéciaux » ouvre la voie à l'enchaînement de la Bataille d'Alger, des divers « contre-terrorismes » et, pour finir, de la politique OAS de la « terre brûlée » ; du côté algérien, la lutte fratricide culmine dès mai 1957 avec le massacre des villageois de Melouza restés fidèles au MNA de Messali Hadj. Ces surenchères confirment que l'alternative proposée par les tenants algériens comme européens de la Trêve civile était bien, en ce début de 1956, la seule qui aurait permis à la décolonisation et à l'indépendance d'échapper à une hyper-violence dont les séquelles politiques continuent de marquer la France comme l'Algérie.
En effet, si l'indépendance de celle-ci est acquise depuis plus de 50 ans, aucun de nos deux pays n'en a terminé ni avec le terrorisme ni avec les risques que le combat contre lui fait courir aux libertés, et la question de la paix civile reste donc entière.
Tout cela ne sera jamais trop rappelé, médité et discuté dans la situation présente. C'est ce à quoi invitent la lecture et la discussion de cet ouvrage