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10 avril 2018 2 10 /04 /avril /2018 07:25

 

 

       Après un mois passé à Alger, je repartais en France avec mes parents vers le 10 juillet. Nous avons atterri à Marseille et nous avons filé sur Grenoble où j’ai pris contact avec mes camarades pour savoir comment aller se dérouler les examens. Je retrouvais Boubaker, qui avait trouvé un emploi d’infirmier à l’hôpital et qui me dit que la grève était terminée et que les examens étaient fixés au 2 septembre. Je rencontrais des étudiants qui venaient de faire un voyage en Tchécoslovaquie, pays saisi par la fièvre de 68. Le printemps de Prague laissait présager un communisme à visage humain.

     Après Grenoble, nous allions à Paris. J’ai pu voir mes cousins et cousines qui étaient sur le point de partir en Espagne. J’ai été étonné de voir mes cousines, dont les parents n’étaient pas de gauche, soutenir à fond la contestation étudiante.

        La révolution de Mai était terminée. Les lendemains avaient un goût amer. Couve de Murville remplaçait Pompidou à Matignon. Cet homme froid avait été un excellent ministre des affaires étrangères, il deviendra un premier ministre un peu pâle. Edgar Faure à l’éducation nationale aura une politique ouverte. Il commença par réformer les études médicales en supprimant le concours de l’externat pour permettre à tous les apprentis médecins d’avoir une formation hospitalière. Sur les murs de la Sorbonne, il y avait encore des affiches au pochoir, déjà vieilles,  et même des affiches assimilant de Gaulle à Hitler qui traduisaient une  malhonnêteté intellectuelle. Les slogans exprimés sont souvent de mauvaise foi : CRS SS  par exemple. Ces affiches sont devenues rares et sont vendues très chers par les antiquaires. J’ai photographié quelques murs. Dans les librairies, comme la Joie de lirede Maspero, que je connaissais bien, il y avait des rayons entiers de livres consacrés au mouvement de mai.

       Nous pouvions être satisfaits de voir qu’après un mois de manifestations sans relâche au quartier latin, les forces de l’ordre avaient gardé leur sang-froid et qu’il y eut très peu de morts. (Un ou deux et de façon accidentelle) Nous l’avions échappé belle. Si Maurice Papon avait été à la tête de la préfecture de police, il y aurait eu une hécatombe. Heureusement que le préfet de police était Maurice Grimaud. Il a eu une attitude responsable.

    À Paris, nous avons retrouvé nos amis : Ploquin, Miquel  et aussi Chouvet, que l’on n’avait pas revu depuis son départ d’Alger. Chouvet était directeur de caisses d’assurance sociale et faisait de la sculpture pendant ses loisirs. Sa sculpture assez humoristique tournait autour de la sexualité ou de la religion. Il ne s’était jamais pris au sérieux et était toujours de bonne humeur. Il chantait souvent la chanson de Guy Béart qui avait permis aux écoliers de bien connaître le nom des anciens comptoirs de l’Inde. Chouvet l’a chanté souvent de façon suggestive  en transformant plus ou moins les paroles : 

Elle avait, elle avait le Pondichéry facile,

           Elle avait, elle avait le Pondichéry rodé.

Il chantait aussi en la transformant une chanson de Brassens la mauvaise herbe :

            Et je me demande pourquoi Bon Dieu,

           Ça vous dérange que jebaiseun peu 

Chouvet avait gardé son humour. Son attitude anarchiste penchait plutôt à droite et il ironisait sur les insurgés de 68.

   Miquel, l'ami architecte qui était responsable de la fondation Le Corbusier nous a fait visiter les réalisations de Corbu dans Paris et ses environs. C’est ainsi que nous avons visité la Villa Savoy, villa en forme de bateau, la villa du Docteur Laroche et le dernier atelier de Corbu. J’y ai fait quelques photographies. 

        Nous avons invité les Ploquin et les Miquel à déjeuner dans un restaurant près du Canal Saint-Martin. Nous étions tous émerveillés par le charme de ce canal. Mon père l’a peint et j’y ai fait des photographies. Ploquin nous fit part de sa consternation sur les projets d’aménagement de la ville de Paris qui prévoyaient la suppression du canal et le passage d’une autoroute sur son trajet. Heureusement que ce projet ne fut pas réalisé.

J’ai été voir les sculptures de Maillol1exposées de façon permanente aux Tuileries. Parmi les statues, on reconnaissait l’hommage à Cézanne, dont l’original était prévu pour Aix et les Aixois, qui n’étaient pas de brillants amateurs d’art, non content de n’avoir pas su reconnaître le talent de Cézanne refusèrent  la statue de Maillol. Les municipalités récentes n’ont pas réparé l’affront et se contentent d’organiser des expositions Cézanne pour favoriser l’industrie touristique. Si les Aixois se sont mal conduits avec l’œuvre de Cézanne, les Arlésiens avec Van Gogh et les Bretons avec Gauguin ont eu des attitudes semblables. 

          Parmi les statues de Maillol exposées dans les jardins des Tuileries, il y en a qui représente Dina Vierny. Dina Vierny a été un modèle intelligent. Elle a posé pour les plus grands artistes : Matisse, Dérain, Maillol…Elle constitua une collection et ouvrit une galerie rue Jacob, exposant souvent des peintres naïfs comme Beauchant. Je la voyais souvent assise dans sa petite galerie, fumant un à un des petits cigarillos. Elle n’était pas aussi belle qu’à l’époque où elle posait pour Maillol,mais était très aimable avec les visiteurs. Mon père discutait souvent avec elle. 

       Après Paris, nous sommes partis pour Saint Mars la Jaille. Cette bourgade de Loire-Atlantique se trouve aux confins de l’Anjou et de la Bretagne. Lucien s’était installé et semblait vivre une vie paisible loin de l’agitation de la Cote d’Azur. 

Le paysage de cette région est assez caractéristique. La nature est verdoyante et ne semble pas souffrir comme dans les pays méditerranéens et c’est pour cela que Du Bellay, enfant du pays parlait de douceur angevine. 

        Au cours de ce séjour nous avons eu l’occasion d’aller à Angers, voir le château avec les Tapisseries de l’Apocalypse. Camus avait dans son temps organisé un festival de théâtre dans ce château. Nous avons été aussi à Nantes, mais nous n’y sommes pas restés suffisamment pour goûter le charme de cette ville portuaire.

 

                                                          Jean-Pierre Bénisti

 

 

1.  Maillol. Louis Bénisti a rendu visite à ce sculpteur en 1939

Les murs de la Sorbonne  Hommage à Cézanne de Maillol Canal Saint MartinPhotos JPB
Les murs de la Sorbonne  Hommage à Cézanne de Maillol Canal Saint MartinPhotos JPB
Les murs de la Sorbonne  Hommage à Cézanne de Maillol Canal Saint MartinPhotos JPB
Les murs de la Sorbonne  Hommage à Cézanne de Maillol Canal Saint MartinPhotos JPB

Les murs de la Sorbonne Hommage à Cézanne de Maillol Canal Saint MartinPhotos JPB

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