Je sais que les guerriers de Sparte
Plantaient pas leurs épées dans l'eau
Que les grognards de Bonaparte
Tiraient pas leur poudre aux moineaux
Leurs faits d'armes sont légendaires
Au garde-à-vous, je les félicite
Mais, mon colon, celle que j'préfère
C'est la guerr' de quatorz'-dix-huit
Georges Brassens.
Aujourd’hui nous célébrons le centenaire de la fin de la Grande guerre. Pourquoi pas ? Cette guerre eût une telle importance qu’elle mérite que l’on s’en souvienne.
Ces célébrations ont tourné au psychodrame et l'on pourrait en écrire une pièce de théâtre qui pourrait avoir pour titre le Pétain respectueux.
Dans mon enfance, je me souviens que les fenêtres des maisons de la ville où j’habitais étaient, ce jour-là, recouvertes de drapeaux et comme l’anniversaire de la naissance de ma mère est le 12 novembre, je pensais que s’il y avait des drapeaux, c’était en l’honneur de ma maman.
Et ceci me ramène à des histoires familiales : la naissance de Solange, ma mère en 1914 avait permis à mon grand-père, père d’un quatrième enfant d’être démobilisé et de ne pas partir aux Dardanelles, où périrent la plupart de ses camarades de régiment.
L’oncle de mon père, que l’on appelait Tonton Jules, fut blessé sur le front et sa blessure fut fêtée car elle lui permit de ne pas être tué. Ce tonton Jules, après sa démobilisation, ne cherchait pas à travailler beaucoup et vivait d’expédients. Il avait un caractère histrionique et faisait quelques poésies sentimentales ou quelques chansonnettes dans l’esprit des opérettes à la mode au début du vingtième siècle. J’ai retrouvé un de ses petits écrits sentimentaux :
En 1915
Émotion ressentie par l’auteur
Il avait fait la Marne, il avait fait l’Yser
Pataugeant dans la boue, il avait, tout l’hiver,
Vécu dans les boyaux. Les balles, les obus,
L’avaient rendu malades. Il avait combattu,
Ne se plaignant jamais, l’âme pleine de rage,
Un puissant ennemi ne rêvant que pillage
Il s’était endurci aux horreurs de la guerre,
Insensible aux grands maux, dont il était témoin,
Piétinant des cadavres maculés de terre,
Il allait, le cœur sec, ne s’émouvant de rien.
En changeant de secteur, un jour, son bataillon
Passa devant une humble et modeste maison
À moitié détruite, et dont les occupants
Étaient partis au loin, en des lieux plus cléments.
Il vit, gisant au sol, et d’un bras amputée,
La chevelure blonde, une pauvre poupée…
Devant cette maison, minuscule pourtant,
Mais qui lui fit penser qu’autrefois une enfant,
Rieuse et sans souci, avait joué par là.
Pour la première fois, notre poilu pleura.
Jules Zermati
Cette guerre dans notre famille était considérée par mon entourage comme une énorme connerie, comme l’avait dit Prévert. Une étincelle à Sarajevo avait mis le feu aux poudres et les soldats dans les tranchées ne pensaient plus beaucoup à l’Archiduc. "Archiduc ! Mon cul " aurait dit Zazie (dans le métro !). Elle eut une très grande répercussion sociale. Un jeune conscrit échappa au casse-pipe, il avait assassiné Jean Jaurès et put être protégé pendant quatre ans en prison, pour ensuite être libéré.
Robert Namia, un ami de mes parents, nous disait : « Nous, enfants nés pendant la guerre 14, nous étions tous des orphelins ou des bâtards. » Et en effet, beaucoup de mères de famille durent élever seules leurs enfants et furent obligées de travailler en dehors de leurs foyers. Vers 1960, dans un restaurant parisien , une vieille dame nous disait : « Je me considère, comme une veuve de guerre Je dis à tout le monde que je suis une veuve de guerre, vous vous rendez compte, lors de la Grande Guerre, il y eut beaucoup de garçons d’un âge proche du mien, qui sont morts et les filles se sont retrouvées en surnombre par rapport aux garçons et comme on dit beaucoup de filles n’ont pas pu trouver chaussures à leurs pieds et sont restées célibataires. Nous sommes comme des veuves de guerre, mais nous n’avons pas eu de pensions et heureusement que nous avons trouvé du travail. »
Je me souviens d’un fait divers ayant défrayé la chronique : un anarchiste parisien vint faire cuire deux œufs au plat sur la flamme du soldat inconnu. La dérision est peut-être une forme d’hommage.
Benjamin Péret rendit hommage aux anciens combattants
Si la Marne se jette dans la Seine
C’est parce que j’ai gagné la Marne
S’il y a du vin en Champagne,
C’est parce que j’y ai pissé
(…)
Je suis un ancien combattant
Regardez comme je suis beau
Le chansonnier Monthéus écrivit une chanson célèbre chantée par Yves Montand : La butte rouge :
Sur cette butte là y'avait pas d'gigolettes
Pas de marlous ni de beaux muscadins.
Ah c'était loin du Moulin d'la Galette,
Et de Paname qu'est le roi des patelins.
C'qu'elle en a bu du bon sang cette terre,
Sang d'ouvriers et sang de paysans,
Car les bandits qui sont cause des guerres
N'en meurent jamais, on n'tue qu'les innocents !
La butte rouge, c'est son nom, l'baptême s'fit un matin
Où tous ceux qui grimpaient roulaient dans le ravin.
Aujourd'hui y'a des vignes, il y pousse du raisin,
Qui boira d'ce vin là, boira l'sang des copains.
Cette chanson a été écrite pour célébrer la bataille de la Somme. On pensait qu’il s’agissait d’un hommage aux Communards de 1871. Il y avait déjà confusion de mémoire
Enfin le plus bel hommage fut rendu par Brassens dans sa célèbre chanson.
Jean-Pierre Bénisti
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