Je me souviens de Michel Piccoli
Hier 17 mai 2020, un journal signalait que le poète Jules Supervielle nous avait quitté il y a soixante ans. Si le soixantième anniversaire de la mort de Camus en janvier 1960 a été célébré, celui du grand poète semble bien ignoré. Il est victime d’une « oublieuse mémoire » selon ses propres termes.
J’ai un disque 33 tours où Michel Bouquet dit des poèmes de Supervielle. N’ayant de lecteurs de disque vinyle, j’ai essayé de retrouver Michel Bouquet sur Internet, comme j’avais réussi à trouver Laurent Terzief disant René Char ou Olivier Hussenot lisant Robert Desnos. Je n’ai pu retrouver ce disque mais en me promenant sur la toile, je remarquais que Michel Bouquet est l’un des derniers grands acteurs encore vivants de théâtre ayant joué chez Camus et chez Vilar. Je pense alors qu’il y a encore un autre acteur présent il s’agit de Michel Piccoli.
Je ne suis donc pas étonné d’apprendre la disparition de cet artiste qui nous a tellement accompagné au théâtre ou au cinéma que nous pouvons le considérer comme une personne de notre famille.
Je me suis aperçu que je connais ce monsieur depuis fort longtemps. Lorsque j’étais enfant, mes parents avaient des amis polonais et communistes dont une fille Clara venait d’épouser Louis Daquin, un cinéaste aujourd’hui oublié. Ces amis fiers de leur gendre, nous avaient invité à une séance de cinéma organisée par le Parti Communiste où l’on avait projeté un magnifique film consacré à la condition des mineurs du Nord. : Il s’agissait du Point du jour. Le premier rôle de cinéma de Piccoli est dans ce film. Il est bien évident que je ne l’avais pas remarqué.
Je savais l’existence de cet acteur sans pour autant l’avoir remarqué. Ce n’est que en 1966, au cours du festival d’Avignon, je feuilletais un ouvrage sur le poète André de Richaud qui était orné d’une photo du poète en compagnie de Piccoli. Je l’avais déjà vu dans le Mépris de Godard, mais j’avoue que si le film m’a intéressé, le rôle de Piccoli avec son éternel chapeau ne m’a pas impressionné. Je l’ai par contre apprécié dans Belle de Jour, ce chef d’œuvre de Buñuel avec Catherine Deneuve, puis il est devenu Monsieur Dame dans les Demoiselles de Rochefort et depuis il ne nous a plus quitté. Je pense aux films de Sautet comme Vincent, François, Paul et les autres ou de Demy comme une Chambre en Ville. J’ai une certaine affection pour le Saut dans le vide de Mario Bellochio avec Anouk Aimée, autre grande actrice, Milou en mai et surtout la Belle Noiseuse, avec la magnifique Emmanuelle Béart, film qui traite du dialogue difficile entre peintre et modèle. Il est doublé par le peintre Bernard Dufour, ou peut-être c’est lui-même qui double le peintre, dont on ne perçoit que la main d’une texture différente de celle de l’acteur ;
J’ai eu aussi l’occasion de le voir au théâtre, à Grenoble dans le Misanthrope, mise en scène par Bluwal et une merveilleuse Cerisaie mise en scène par Peter Brook dans le vieux théâtre des Bouffes du Nord, le Conte d’hiver de Shakespeare, mise en scène par Luc Bondy au TNP de Villeurbanne. Dans ce même théâtre, que je fréquente depuis longtemps, j’ai assisté d’une part à la représentation de John Gabriel Borkman de Ibsen et plus récemment en 2009 de Minetti de Thomas Bernard. Dans ces deux dernières pièces, Piccoli excelle dans de longs dialogues silencieux, comme d’ailleurs dans son rôle de peintre dans la Belle Noiseuse.
Alain Delon ressasse souvent une idée déjà exprimée par Louis Jouvet sur la différence entre l’acteur qui habite un personnage et le comédien qui est habité par le personnage. Si Delon est acteur, Belmondo comédien. Piccoli me semble être les deux à la fois.
Commencé à Capri avec le mépris, sa carrière cinématographique s'achève toujours en Italie avec Habemus papam.
Salut l’artiste !
Jean-Pierre Bénisti