Jamais un Président de la République n'a été aussi loin dans la reconnaissance des méfaits du colonialisme et des crimes commis pendant la guerre d'Algérie. Et pourtant les relations entre l'Algérie et la France n'ont pas été aussi mauvaises.
Je tiens tout de suite à dire que si je trouve que le Président est sorti de son rôle, car il n'est pas historien, en donnant son point de vue sur la naissance de la nation algérienne ou sur l'occupation ottomane, je tiens à saluer son action en faveur d'une réconciliation de mémoires qui sont forcément souvent opposées.
La raison principale de la colère d'Alger, vient du fait que la France , essayant de faire son mea-culpa, invite l'Algérie à en faire autant. On immagine mal un responsable algérien évoquer les assassinats ciblès commis par le FLN, le massacre de Melouza et les multiples enlèvements de personnes, françaises ou algériennes, durant l'été 62.
Devant l' actuelle instabilité politique algérienne, le gouvernement algérien essaie de faire diversion en se fachant avec le Maroc, d'une part et la France de l'autre.
Je me souviens de la nuit du 17 octobre 1961, j'avais quitté temporairement Alger et je logeais à Montmartre chez une tante. Je poursuivais une scolarité au lycée Jacques Decour, où j'étais en classe terminale.. Cette nuit ,alors que j’étais en train de finir mon travail, vers onze heures du soir. ma tante Suzanne, qui était en train d’écouter la radio, vint m’informer que des Algériens en masse manifestaient sur les boulevards. Je n’étais pas étonné, car j’avais su que le préfet de police Maurice Papon venait d’instaurer un couvre-feu, frappant les Algériens, en raison de fréquents attentats visant les policiers. Ce couvre-feu était tout à fait illégal, car il visait les seuls musulmans qui n’étaient reconnaissables que par leurs caractéristiques physiques. Les Algériens vivant en région parisienne avaient mal ressenti cette mesure discriminatoire et avait fait part de leurs mécontentements. Le lendemain, lorsque je lus les journaux, j’appris qu’il y eut une terrible répression. Les services d’urgence des hôpitaux avaient reçu de nombreux blessés. La Seine charriait des cadavres de manifestants noyés. Enfin les militants des droits de l’homme s’indignaient que le préfet Papon ait donné l’ordre de parquer les manifestants au Palais des sports, de la même façon que la Gestapo avait parqué les juifs au Veld ’Hiv. Triste retour des choses. On pourrait presque parler de retour du refoulé. Dans les années 80, on apprendra que Papon avait été un fonctionnaire du gouvernement de Vichy à Bordeaux et qu’il avait signé des ordres de déportation de juifs. Il faudrait un jour écrire une thèse sur l’utilisation des stades pour parquer les prisonniers. Au Chili en 1973, Pinochet parqua ses opposants au stade de Santiago.
Le 8 février 1962, une manifestation de protestation, suite à une bombe visant le ministre Malraux et blessant une peite fille qui habitait appartement voisin de celui du ministre, fut réprimée par la police de Papon : bilan neuf morts près du métro Charonne. Sinistre Papon ! Heureusement qu’il ne fut pas en service en mai 68, car il y aurait eu beaucoup de victimes. Le prefet Maurice Grimaud avait su éviter le désastre.
Mon professeur de philosophie, Pierre Gardère qui se disait fidèle au personnalisme d’Emmanuel Mounier nous fit part de son indignation devant la répression des manifestants et cita le communiqué de l’épiscopat catholique condamnant ces actes. J'ai su par la suite que des députés appartenant à la majorité parlementaire avait vivement protesté lors d'une séance à l'Assemblée. Je pense notamment à Eugène Claudius-Petit, homme politique remarquable qui par la suite a permis a Simone Veil d'avoir une majorité pour la loi sur l'interruption volontaire de grossesse.
Des questions demeurent sans réponses : comment Papon, qui avait été un fonctionnaire zélé du régime de Vichy ait pu poursuivre sa carrière comme fonctionnaire de la République. Comment la nomination de Papon comme ministre du budget de Raymond Barre ait été accepté par les français sans la moindre protestation.
Jean-Pierre Bénisti.