Beaucoup de Lyonnais ignorent les relations de Camus avec Lyon. Elles sont assez nombreuses et elles ne se résument pas à une enfance passée à Alger dans un appartement d’une rue appelée rue de Lyon (aujourd’hui Mohamed Belouizdad), dans le quartier de Belcourt (qui ne s’écrit pas Bellecour). On raconte aussi qu’un libraire ou plutôt un marchand de livres avait apporté à son client qui lui demandait l’Homme révolté de Camus, un livre sur la Révolte des Canuts
Si à la lecture de l’œuvre de Camus, on perçoit son attachement à une mère très pauvre, on oublie qu’une autre personne eût une grande influence sur lui : son oncle par alliance, boucher de son état, venu dans sa famille au moment où il était adolescent qui l’aida à poursuivre ses études. Cet oncle s’appelait Gustave Acault. Il avait ouvert dans le centre d’ Alger, une boucherie qui vendait une viande d’excellente qualité. Cet homme distingué était originaire de Saint Genis-Laval et était fier de son origine lyonnaise.
Lyon n’était pas une ville étrangère pour le jeune algérois. Lorsque Camus fut obligé de quitter Alger en 1939, il partit pour Paris, puis il se rendit à Clermont-Ferrand et à Lyon, où, dans la mairie du IIIème arrondissement, il épousa Francine Faure avant de s’embarquer pour Oran, dont sa femme était originaire.
En 1942, Camus après une crise de tuberculose partit pour se soigner près du Chambon sur Lignon, village qui s’est particulièrement illustré pendant la dernière guerre. Depuis le Chambon, Camus allait chaque semaine à Saint-Étienne pour y recevoir des soins et il venait de temps en temps à Lyon pour rencontrer des intellectuels résistants.
Il ne faut pas oublier que Lyon était à cette époque, une ville refuge des intellectuels résistants. C’est ainsi qu’à Décines, Marc Barbezat, un pharmacien qui fabriquait de l’eau oxygénée, dirigeait une revue l’Arbalète qui publiait les œuvres de Jean Genet. René Tavernier dirigeait la revue Confluence et hébergeait dans sa villa de Montchat le couple Aragon-Elsa Triolet et c’est dans cette villa que le poète a écrit : Il n’y a pas d’amour heureux et la Rose et le réséda.
Pendant ce temps-là, Albert Camus rencontrait sur les pentes de la Croix-Rousse, rue Vieille Monnaie, un écrivain résistant René Leynaud qui fut fusillé. René Leynaud avait hébergé Camus dans cette rue Vieille Monnaie devenue depuis rue René Leynaud.
Camus note dans ses Carnets, après une promenade à Ternay, dans les environs de Lyon : « Ternay. Petit village désert et froid qui surplombe le Rhône. Ciel gris et vent glacé comme une robe souple. Les hautes terres en friches. Quelques sillons noirs et les vols de corbeaux. Petit cimetière ouvert en plein ciel ; ils ont tous été bon époux et bon père. Ils laissent tous des regrets éternels. » (Carnet 1935-1948. Cahier III avril 1939-février 1942.)
Enfin après la guerre 39-45, un écrivain médecin Jacques Chauviré établit une correspondance avec Camus. Jacques Chauviré était l’ami d’un autre écrivain Jean Reversy, médecin-écrivain très influencé par Camus
Avec Michel Wilson et les amis de l’Association Coup de soleil, nous avons pensé qu’il serait intéressant pour célébrer le centenaire de la naissance de l’écrivain, de faire une exposition consacrée aux peintres amis d’Albert Camus.
Cette exposition serait dans le même esprit que celle qui avait été organisée à Orléansville (aujourd’hui Chlef) pour l’inauguration du Centre Culturel Albert-Camus en avril 1961 et celle organisée en juillet 1994 à Lourmarin par l’association des Rencontres Méditerranéennes Albert Camus.
Si Camus n’a pas été critique d’art, il a toujours observé avec un sens artistique aigu, les œuvres de ses amis peintres.
Dans les années 30, après l’arrogante célébration du centenaire de la conquête de l’Algérie, Alger se trouvait être une capitale artistique et cela pour différentes raisons , l’Afrique du Nord a une position insulaire en raison de sa situation géographique : coincée entre les deux déserts du sable et de la mer. De ce fait, les artistes avaient tendance à exposer sur place, car il était difficile pour eux de « monter » à Paris.
La présence à Alger de jeunes professeurs éminents dont Jean Grenier, qui commençaient leur carrière loin de la capitale, a favorisé l’émergence de cercles intellectuels et artistiques. On a même pu parler d’École d’Alger au sens où Camus définissait une école : « Quand je dis école, je ne veux pas dire un groupe d’hommes obéissant à une doctrine, des règles, je veux dire simplement un groupe d’hommes exprimant une certaine terre, une certaine manière d’aborder les hommes. … » (AC, Conférence à l’Algérienne, novembre 1958)
Camus jeune étudiant dans les années 30, avait rencontré chez son ami Max-Pol Fouchet : Jean de Maisonseul, futur peintre et architecte, Louis Miquel, futur architecte et Louis Bénisti, futur sculpteur et peintre. Il commença sa carrière de journaliste en publiant dans un journal Alger-Ètudiant, un article sur Louis Bénisti.
Plus tard, lorsqu’il créa le Théâtre du travail et le théâtre de l’Équipe, il prit pour réaliser les costumes le peintre Marie Viton et pour réaliser les décors les architectes Louis Miquel et Pierre André Émery qui étaient aidés par le sculpteur Louis Bénisti.
Lorsque Edmond Charlot ouvrit sa librairie les Vraies richesses, il invita les artistes à exposer dans sa boutique. C’est ainsi que Camus rencontra le peintre Armand Assus, dont les enfants jouaient au théâtre de l’Équipe, René-Jean Clot, Henri Caillet et plus tard Sauveur Galliéro, ainsi que les pensionnaires de la villa Abdeltif : Caujan, Clairin, Damboise et Richard Maguet.
Lorsque Camus rejoignit sa femme à Oran, il rencontra le peintre Maurice Adrey. Il fit des articles sur la plupart de ses peintres amis.
Pendant la guerre, Camus rencontra Picasso et il monta « Le désir attrapé par la queue » en compagnie de Jean-Paul Sartre et de Jacques Lacan. Une célèbre photo de Brassaï illustre ce moment très important de la vie intellectuelle et artistique du vingtième siècle.
Après la guerre, il continua à fréquenter les peintres, surtout ceux qui faisaient les décors de ces pièces : Balthus, Mayo, Léonore Fini et d’autres comme Pelayo ou Prassinos.
En 1958, il préfaça l’exposition de Jean de Maisonseul où, selon l’expression de Jean Grenier « il reconnaissait dans la construction qui était celle d’un architecte, mais toute baignée d’une lumière méditerranéenne, une vision parente de la sienne. » (Jean Grenier, Albert Camus Souvenirs.)
Pour des raisons matérielles et techniques, l’exposition que nous proposons de présenter sera centrée sur les artistes connus pendant la période algérienne de Camus c’est-à-dire : Maurice Adrey, Armand Assus, Baya, Louis Bénisti, Henri Caillet, Marcel Damboise, Jean Degueurce, Suzanne Delbays, Raoul Deschamps, Sauveur Galliéro, Richard Maguet, Jean de Maisonseul, René Sintès, Orlando Pelayo, Mohamed Racim, Sauveur Terracianno et quelques autres...
Cette exposition insisterait sur les catalyseurs de la vie artistique à Alger, c’est-à-dire : Max-Pol Fouchet, Jean de Maisonseul et Edmond Charlot.
Jean-Pierre Bénisti