Il existe des jours porteurs de plusieurs anniversaires d'évènements personnels ou historiques. Le 11 septembre s'est illustré du coup d'état au Chili en 1973 et de l'attentat de New York en 2001. Pour moi, le 17 octobre a une importance particulière.
17 Octobre 1957
Le 17 octobre 1957, le journal d’Alger annonçait le possible prix Nobel de littérature à Camus avec un point d’interrogation. Le soir, ma mère apprit la nouvelle en allant faire une visite chez une cliente qui avait la télévision. En rentrant, mes parents étaient réjouis et téléphonèrent aux amis pour se féliciter mutuellement d’avoir un si illustre ami. Mon père eut Roblès au téléphone et n’arrêtait pas de plaisanter. J’ai eu récemment sous les yeux la lettre que Roblès écrivit à Camus, où il fait allusion à cette conversation téléphonique.
La semaine suivante, à la sortie du lycée, je surveillais les journaux. Je rapportais à la maison le journal Demain. Il y avait une interview de Camus où il faisait l’éloge de ses amis d’Algérie comme Dib, Feraoun ou Mammeri, qui ont pris place parmi les écrivains européens. Il disait aussi : « L’Europe a vécu de ses contradictions, s’est enrichie de ses différences et, par le dépassement continuel qu’elle en a fait, elle a créé une civilisation dont le monde entier dépend, même quand il la rejette. » Les dirigeants politiques d’Europe et d’ailleurs feraient bien de relire cet entretien qui n’a pas pris une ride. Il y avait aussi un numéro spécial du Figaro littéraire avec des textes de René Char, de Jean Grenier et deux prix Nobel français qui avaient précédé Camus : Roger Martin du Gard et François Mauriac. Le journal Arts publiait un portrait charge photographique de Camus déguisé en homme révolté. L’Express laissait entendre que Camus succédait à Sully Prud’homme, qui avait été en son temps préféré à Verlaine l’Académie suédoise ayant préféré Camus à Malraux.
Jean-Pierre Bénisti
Voir : https://www.aurelia-myrtho.com/article-albert-camus-au-lycee-d-alger-70645529.html
17 octobre 1961
Le 17 octobre 1961, j’étais à Paris chez une tante Suzanne, qui m’avait accueilli après mon départ d’Alger. J’étais élève en classe terminale au lycée Jacques Decour, près de Montmartre. Alors que j’étais en train de finir mon travail scolaire, vers onze heures du soir, Suzanne, qui était en train d’écouter la radio, vint m’informer que les Algériens en masse manifestaient sur les boulevards. Je n’étais pas étonné, car j’avais su que le préfet de police Maurice Papon venait d’instaurer un couvre-feu, frappant les Algériens, en raison de fréquents attentats visant les policiers. Ce couvre-feu était tout à fait illégal, car il visait les seuls musulmans qui n’étaient reconnaissables que par leurs caractéristiques physiques. Les Algériens vivant en région parisienne avaient mal ressenti cette mesure discriminatoire et avait fait part de leurs mécontentements. Le lendemain, lorsque je lus les journaux, j’appris qu’il y eut une terrible répression. Les services d’urgence des hôpitaux avaient reçu de nombreux blessés. La Seine charriait des cadavres de manifestants noyés. Enfin les militants des droits de l’homme s’indignaient que le préfet Papon ait donné l’ordre de parquer les manifestants au Palais des sports, de la même façon , la Gestapo parqua les juifs au Vel d ’Hiv. Triste retour des choses. On pourrait presque parler de retour du refoulé. Dans les années 80, on apprendra que Papon avait été un fonctionnaire du gouvernement pétainiste à Bordeaux et qu’il avait signé des ordres de déportation de juifs. Sinistre Papon ! Il devait encore s’illustrer en février 1962, lors de la manifestation qui devait aboutir aux morts du métro Charonne. Heureusement qu’il ne fut pas en service en mai 68, car il y aurait eu des victimes et il faut être reconnaissant envers le préfet Maurice Grimaud, qui devait succéder à Papon. Il faudrait un jour étudier l’utilisation des stades pour parquer les prisonniers. Au Chili, Pinochet parqua ses opposants au stade de Santiago.
Jean-Pierre Bénisti
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17 octobre 1990
Le 17 octobre 1990, c’est le jour de la mort de ma mère. En guise de faire-part, mon père et moi avons rédigé un court texte que nous avons envoyé aux amis :
Solange nous a quitté le Mercredi 17 octobre 1990 au petit matin. Elle a été inhumée le Vendredi 19 octobre à 15 heures au cimetière d’Aix-les-Milles. Elle appartient maintenant à l’éternité de l’univers et ce repos vient atténuer la douleur que nous avons ressentie lors de son trépas.
Elle était entrée en médecine comme on entre dans une carrière dont on a la vocation dès son enfance. Elle eut la joie d’accomplir jusqu’au bout sa profession dans la dignité, l’honnêteté et la charité.
Avec vous, nous nous recueillons dans le souvenir d’un être dont l’apparence quotidienne cachait une grande noblesse de cœur et d’esprit.
Nous vous remercions de vous recueillir dans le souvenir de :
Solange Bénisti-Sarfati
Docteur en médecine
Alger : 12 novembre 1914-Aix en Provence : 17 octobre 1990
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17 octobre 2019
Le 17 octobre 2019 paraissait le livre de la Correspondance d’Albert Camus avec la famille Bénisti
Édition dirigée par Jean-Pierre Bénisti et Martine Mathieu-Job et présentée par Virginie Lupo et Guy basset Voici une cinquantaine de lettres d’Albert Camus à des proches d’Alger rencontrés quand il avait vingt ans : le sculpteur et peintre Louis Bénisti (1903- 1995), son frère Lucien et leurs épouses respectives. Aux lettres et fac-similés sont associées, comme autant de traces d’un univers sensible et partagé, des reproductions d’oeuvres de Louis Bénisti, de photographies et d’autres documents.
À la faveur de ce dialogue amical, intellectuel et artistique, Camus exprime son idée et sa pédagogie de la philosophie ou ses exigences et scrupules d’éditeur. Surtout, il se livre en toute confiance et simplicité. Confronté à la maladie et aux difficultés de sa vie affective, il aborde la carrière littéraire à la fois inquiet et empli d’espoir, jusqu’à l’arrivée du tourbillon de la célébrité.
Exceptionnelle par la précocité et la longévité des amitiés qui la fondent, cette correspondance inédite affine notre vision de l’écrivain. Elle éclaire aussi l’effervescence créatrice d’une jeune génération dans l’Algérie des années 1930.
ÉDITIONS BLEU AUTOUR 38 avenue Pasteur 03500 Saint-Pourçain-sur-Sioule