Les années suivantes, j’ai été davantage intéressé par ce qui se passait en dehors de la Cour d’honneur. Il y avait l’excellente initiative de Lucien Attoun à Théâtre ouvert. J’avais vu un spectacle où les acteurs réunis pour un repas autour d’une table disent chacun à leur tour un texte extrait des Cloches de bal d’Avignon. Le texte était digéré comme un repas. De jeunes acteurs et actrices faisaient dans ce spectacle leurs débuts : il y avait Nada Strancar, Ludmilla Mickaël, Valérie Dreville etc. Le matin, Attoun avait ouvert dans la Chapelle des Cordeliers, un Gueuloir, où les auteurs de pièce théâtrale était invité à lire leurs textes.
Le festival off s’installait. Beaucoup de spectacles. Ils n’étaient pas tous bons. C’était souvent des spectacles qui s’adressaient surtout aux professionnels du spectacle, comme les metteurs en scène de passage ou les fonctionnaires du ministère de la Culture, qui, intéressés par les spectacles pouvaient les inviter à se produire dans des théâtres subventionnés. Souvent les spectacles présentés étaient des one man show. Les critiques des journaux ignorent toujours le off et ne font toujours pas leur travail. Il est vrai qu’il est difficile de couvrir autant de spectacles. Comme toujours, les critiques se contentent quand ils le peuvent d’essayer de dénigrer les spectacles des troupes déjà reconnues. On aurait mieux aimé qu’il nous conseille de voir les spectacles réussis des auteurs et des scénographes encore inconnus. Il est vrai que les critiques de théâtre sont souvent des dramaturges ratés.
En 1979, Ariane Mnouchkine avait monté pour le festival d’Avignon Méphisto de Klaus Mann, histoire du milieu théâtral en Allemagne pendant la montée du nazisme. Ce spectacle était passionnant. Une amie comédienne jouait le rôle d’une actrice allemande noire, probablement originaire d’une ancienne colonie allemande comme le Cameroun ou le Togo. Lorsque le spectacle vint à Lyon en février 1979, j’ai eu l’occasion de revoir ce spectacle.
En 1981, un président de la République, nouvellement élu, vint enfin à Avignon pour rendre à Vilar l’hommage qu’on lui devait.
Passant rapidement à Avignon, en juillet 2002. j’ai eu à la dernière minute une place pour Richard II dans la mise en scène d’Ariane Mnouchkine. J’étais mal placé et je n’ai rien entendu. Le lendemain de cette soirée je cédais à la tentation de voir tard dans la nuit, un spectacle Brecht donné dans une cour de collège. Je luttais contre le sommeil et je n’arrêtais pas de bouger sur mon fauteuil pour me tenir éveillé. Nous n’étions que trois spectateurs. Après le spectacle, je fus interpellé par un des acteurs qui m’avoua avoir été indisposé par mon attitude de spectateur luttant contre le sommeil. Mon attitude était d’autant plus insupportable pour les acteurs qu’il n’y avait que trois spectateurs et qu’ils avaient l’impression de jouer dans le vide.
En 1987, le festival d’Avignon présentait le Soulier de Satin dans une mise en scène d’Antoine Vitez. Le spectacle s’étalait sur deux soirs avec des séances de quatre heures. Je n’ai vu que la deuxième partie. J’ai été émerveillé par cette mise en scène de Vitez qui renouait à la tradition du TNP de Vilar. Ludmilla Mickaël et Nada Strancar parlaient de Mogador, cet ancien port portugais sur la côte marocaine qui devint Essaouira et nous invitaient à partir vers des horizons lointains. Sacha Guitry aurait dit au sortir du Soulier de satin mis en scène par Barrault : « Heureusement, qu’il n’y ait pas la paire. » Très tôt le matin, je regagnais mon hôtel en traversant la rue de la République d’Avignon et je rencontrais une espèce en voie de disparition : deux curés en soutane. Je me demandais si c’était des vrais curés ou des acteurs du off déguisés en curé. J’étais trop fatigué pour poser la question à ces deux ensoutanés.. J’avais vu aussi à la Chapelle des Pénitents blancs d’Avignon, un monologue de Robert Pinget joué par David Warrilow,, acteur disparu en 1995. À l’entrée, une petite dame demandait des places réservées au nom de Adler. Je m’aperçus qu’il s’agissait de Laure Adler, une petite dame aux allures de petite fille. Le fait de l’avoir rencontré me permet de l’imaginer lorsque je l’entends sur France-Culture. Actuellement, je l’entends juste au moment où je me couche avec l’émission : Hors champs.
Jean-Pierre Bénisti.
Chapelle des Cordeliers
Dessin de Misstic sur un mur d' Avignon en 1987
Photos JPB