Henri Chouvet (1906-1987), sculpteur et graveur originaire de La Ciotat ayant travaillé en Algérie ne s'est jamais pris tout à fait au sérieux. Il avait toujours l'habitude d'organiser les soirées de réveillon et savait faire partager sa bonne humeur et avait créé au moment où les évènements étaient particulièrement tristes, le club (virtuel) des çavassarrangistes . Tous les membres du club devaient dire en se levant le matin : "Ça va s'arranger!" Au moment du passage d'une année à l'autre il nous faisait chanter a capela un petit cantique :
Le jour de l'an approche,
C'est le jour le plus beau,
On cherche dans sa poche,
Pour faire un petit cadeau,
Moi qui n'ai rien au monde
Pas même un petit écu,
Ma pièce la plus ronde,
C'est le trou de mon cul.
Peu de temps avant son décès, il m'avait envoyé un collage avec comme légende
Trêve !avons nous pensé des micro-horizons
Faisons jaillir les culs de leurs belles prisons
Et passant le flambeau sur vos fesses charnues
Rechargeons les accus.
Il finit sa vie à Paris et avec son ami le peintre et graveur Jean Signovert, il fit surtout des gravures. Il mourut en septembre 1987.
Jean-Pierre Bénisti
La Belle époque (Gravure 1980)
Henri Chouvet dans son atelier de Montmartre en avril 1977 (Photo JPB)
Les mots de Saint-Pierre et de Miquelon ont toujours été pour moi mystérieux. J’ai entendu ces deux mots dans ma plus tendre enfance, en découvrant dans une boite de souliers une carte postale qu’un ami, probablement en mission, avait envoyé à mes parents.
Je ne savais pas exactement où se trouvaient ces deux îles lointaines et je les confondais avec les Antilles, la Nouvelle-Calédonie, ou Tahiti.
Dans les cartons à dessin de mon père, au milieu d’innombrables croquis, une maquette pour la couverture d’un livre d’Émile de Curton : Les îles Saint-Pierre et Miquelon. Je demandais des explications sur ce livre. Mon père me dit qu’il s’agissait d’un projet de couverture d’un livre que l’éditeur Edmond Charlot lui avait probablement demandé, et que le projet n’avait pas abouti.
Bien plus tard, j’ai entendu de nouveau parler de ces îles. Dans les années 60, chez des amis de mes parents, j’ai rencontré un monsieur qui me dit qu’il partait en mission à Saint-Pierre et Miquelon. Il m’a parlé un peu de ces territoires lointains demeurés français, après la décolonisation. J’ai su que ce monsieur était Jean Cédille, qui avait eu un rôle important en Indochine.
Une autre fois, un étudiant me dit qu’il partait enseigner dans ces îles pendant le temps de son service militaire. Je songeais à partir dans ces îles pour travailler à l’hôpital, mais j’ai vite écarté cette idée en raison de mon attachement au vieux continent.
Par le miracle d’Internet, j’ai fini par trouver le livre qui n’a pas eu une couverture dessinée par Bénisti, mais qui est paru sans nom d’éditeur à Alger, imprimé le 28 septembre 1944 sous les presses de l’Imprimerie Nord-Africaine.
Le Président de la République a eu l’heureuse initiative de se rendre dans ces îles, dont les habitants ont eu une attitude courageuse pendant la seconde guerre mondiale. Le 24 décembre 1941 les Forces françaises, libres sous la conduite de l’Amiral Muselier (1882-1966), débarquent dans l’Archipel et les deux îles rejoignent la France libre. Alain Savary (1918-1988) , qui participait au débarquement devint gouverneur de ces territoires. Il est important de rendre hommage à cet homme politique socialiste, né à Alger, qui a su démissionner en 1956 lorsqu’il s’est trouvé en désaccord avec la politique algérienne d’un gouvernement qui se disait socialiste.
Jean-Pierre Bénisti
Voir :
Émile de CURTON :Les îles Saint-Pierre et Miquelon. Imprimerie Nord-Africaine, Alger 1941
http://www.grandcolombier.pm/wp-content/uploads/pdf/EMILE%20DE%20CURTON.pdf
Le ralliement de Saint-Pierre et Miquelon à la France Libre
André-Louis SANGUIN Saint-Pierre et Miquelon, département français d’Amérique du Nord. Norois, Poitiers, 1883
Maquettes de Louis Bénisti (vers 1944)
Si la photographie a été vulgarisée comme moyen d’information et de documentation, elle n’en est pas restée à la fidèle empreinte de l’objet intéressé. Elle peut exprimer des visions qui nous sont propres. L’appareil photo n’est pas une machine automatique, c’est l’aide-mémoire de notre œil. L’appareil saisit ce que notre œil a saisi de la réalité dans des conditions bien déterminées dans l’espace et dans le temps. Cette réalité n’est pas la réalité habituelle, elle est réfractée par le regard du photographe : « Nous avons braqué sur la durée, un œil qui l’a rendu durante. » disait Paul Claudel (1).
La nature, nous livre une série de plaisirs esthétiques : Arbres, paysages, etc.…Elles dessinent aussi des signes non-figuratifs : les tiges des plantes s’entrecroisant, l’empreinte des vagues sur le sable, les pierres rongées par l’érosion…Il appartient à l’homme de surprendre ces objets, qui ne sont pas des œuvres d’art, qui pourraient êtres vus comme tel et c’est au photographe de communiquer son regard sur l’objet.
Autrement dit, l’intérêt de la photographie ne réside pas dans l’objet photographié lui-même, mais dans l’interprétation de cet objet. L’œil du photographe capte l’image d’un seul instant vu par un seul regard. Le photographe établit une corrélation entre l’esprit, le cœur et l’œil, comme la main de l’écrivain est en corrélation avec le cœur et l’esprit
.Le spectateur d’une exposition de photo établit un regard nouveau sur le regard du photographe, avec lequel il se solidarise.
Comme dit Éluard : « Le poète, c’est le lecteur. »
Jean-Pierre Bénisti
Le musée Picasso a fini par rouvrir après de multiples péripéties et des polémiques sans rapport avec l’art.
Dans son discours d’inauguration, le président de la République a rendu hommage à Roland Simounet (1927-1996) l’architecte qui a conçu la structure intérieure du musée, installé dans l’hôtel Sallé.
À la différence de certains architectes de renom qui essaient de faire parler d'eux, cet architecte a tellement bien réussi son travail, que lors de la visite au musée, on ne voit que le contenu du musée. Le contenant n’est visible que dans les couloirs ou les escaliers. L’architecte a atteint son but : se faire oublier. D’autres architectes modernes n’ont pas eu ce même souci et ont cherché à ce que leur architecture soit encore plus visible que ce qu’elle est censée montrer.
Il est regrettable que la direction du musée n’est pas eu l’idée de faire visiter le musée avec les murs nus avant l’accrochage des œuvres de façon à montrer l’architecture de Simounet dans toute sa splendeur.
L’architecte chargé du réaménagement du musée a respecté en gros l’architecture antérieure, mais il a supprimé la cour des sculptures au profit d’un espace consacré aux caisses.
Jean-Pierre Bénisti
Musée Picasso 1985 Photo JPB
La cour des sculptures 1985 Photo JPB
La Cour des sculptures 1985 Photo JPB
Escalier novembre 2014 Photo JPB
Escalier Novembre 2014 Photo JPB
j'ai horreur de l'expression vous n'êtes pas savoir, ou vous n'êtes pas sans ignorer.
"La partie moderne d'Alger ressemble beaucoup à n'importe quelle ville de France. Mise à part la foule d'autochtones habillés de leurs costumes traditionnels, on pourrait se croire dans une cité espagnole ou française de la côte méditerranéenne. Le quartier arabe d'Alger est lui, plus pittoresque"…
Ce texte est de Charlie Chaplin. Il est extrait de Mon tour du monde, traduit de l'anglais par Moea Durieux éditions du sonneur, Paris 2014
Photo extraite de Maurice Robert Bataille et Claude Veillot, Caméras sous le soleil, Heintz, Alger, 1956
La référence psychanalytique est évidente
Renoir
Jeune fille endormie
exposée à l'exposition Durand-Ruel au Musée du Luxelborg
Balthus Le lever
Solange Sarfati naquit à Alger le 12 novembre 1914, rue des Écoles dans le quartier de Bab el Oued, rue qui prit peu après le nom de Jean-Jaurès. Sa naissance au sein d’un couple qui avait déjà quatre enfants a permis à son père d’être démobilisé et de ne pas partir aux Dardenelles, lieux où les soldats de son régiment qui y sont allés, n’y sont pas revenus..
Elle entreprit des études de Médecine à la faculté d’Alger et devint médecin en 1944, métier qu’elle désirait pratiquer depuis son plus jeune âge.
En avril 1942, elle épousa Louis Bénisti, sculpteur et peintre. Les jeunes mariés ne pouvant se rendre à Venise du fait de la guerre, passèrent leur lune de miel, à Oran répondant à l’invitation d’Albert Camus, qui était très lié à Louis. Camus avait d’ailleurs eu l’occasion de donner à Solange des leçons de philosophie, lorsqu’elle préparait son baccalauréat.
Elle exerça son métier de médecin dans le quartier de Bab el Oued de 1944 à 1972, traversant des époques de guerre et de paix, et toujours dévouée à sa clientèle.
Elle finit sa carrière à Aix-en-Provence et prit sa retraite en 1979.
Elle mourut dans cette ville le 17 octobre 1990.
Jean-Pierre Bénisti
J
Maternité (Solange) encre de Louis Bénisti
Solange, Louis et Jean-Pierre à Alger vers 1947
Photo Louis Bernasconi
Solange en été 1987 à Évian
Passer son baccalauréat avec Albert Camus.
C’est en 1934 que me trouvant chez ma sœur, j'ai vu arriver un beau jeune homme, qui n'était autre qu' Albert Camus.
Et lorsqu’en 1935, en dépit de mes bons résultats au lycée, j'ai échoué à la session de juin du baccalauréat, ma sœur demanda à Albert Camus (qui était le meilleur ami de Louis Bénisti, le frère de son mari Lucien) de me donner des leçons de soutien en philosophie. Camus étant alors jeune marié, il avait besoin d'argent. Et pour être rentables, ces cours devaient être collectifs. C’est ainsi que je recrutais six autres élèves, Ginette Degueurce, Paulette Mamin, Josette Chiche (1), Lucile Elbaz et Mademoiselle Weiss. Nous étions donc sept lycéennes qui tous les jeudis nous rendions à la maison de Camus à Hydra, sur les hauteurs d'Alger..
Les cours de Camus se révélèrent complètement différents de ceux que nous avions suivis au lycée avec nos professeurs dont Monsieur Escaffre. Camus lui, donnait chaque semaine un exposé à une élève. Après l'exposé, il provoquait la discussion avec les autres élèves, tout en prenant le thé et fumant des cigarettes. Ces après-midi étaient si passionnantes que nous attendions le jeudi avec impatience, et ne regrettions plus d'avoir échoué, en dépit de tout le travail que cela nous avait donné pendant cet été.
Nous étions toutes en admiration devant ce beau jeune homme qui, non seulement nous apprenait d'une manière fort agréable la philosophie, mais encore nous faisait rire.
Je tiens à raconter une petite anecdote qui se passait au cours d'une leçon un jeudi après-midi. Alors que l’une des lycéennes commençait son exposé, nous avons entendu la voix de sa femme qui criait " Albert, vous avez laissé vos chaussures dans la salle à manger. " Camus nous dit alors : "Ne vous mariez pas, mesdemoiselles, ne vous mariez pas."
Au cours du mois de septembre 1935, comme nous avions beaucoup de travail pour les révisions et que nous perdions vraiment du temps pour aller jusqu'au parc d'Hydra, les leçons se déroulèrent chez une de nos camarades, Ginette Degueurce, au 12 bis du Boulevard du Telemly, une villa qui se trouvait en face de l'Eglise Sainte Martienne.
Chaque fois que nous entendions les cloches sonner pour un mariage, Camus nous disait toujours avec un sourire ironique: " Ces malheureux, ils ne savent pas ce qu'ils font; ne vous mariez pas mesdemoiselles, ne vous mariez pas ! » Inutile de vous dire que nous lui avons toutes désobéi.
La session d'octobre arriva, nous avons été reçues toutes les sept. Il nous restait un peu plus d'un mois pour profiter des vacances jusqu’à l'entrée aux Facultés.
Ce mois a été merveilleux car chacune de nous organisait une réception à tour de rôle, et ce fut un véritable plaisir d'avoir la présence de notre jeune professeur parmi nous, si plein de charme et d’humour. C'est ainsi qu'il nous faisait rire en parlant "cagayous" et en nous lisant des passages du livre de "Musette" : "Le mariage de Cagayous", livre qu'il aimait particulièrement.
C'était le mois où il fallait décider du choix des études. Mon désir était évidemment de faire médecine, depuis l'âge de huit ans, je rêvais de devenir doctoresse;, mais je fis part à Albert Camus des conseils de mes frères qui auraient préféré que je choisisse la pharmacie, "C'est moins long et cela laisse plus de liberté, " me disaient-ils. Albert Camus intervint : "Ne les écoutez pas, Solange, faites ce que vous désirez, vous êtes faite pour être un bon médecin." Ce furent de précieux encouragements.
Solange Bénisti
Texte ècrit à Aix en Provence en 1984
(1) Une lettre d’Albert Camus à Josette Chiche est parue dans le Cahier de l’Herne consacrée à Camus paru en été 2013.