Si je m'endormais au cœur du Rien dans des confins rongés d'eaux grises
Si je naissais dans des berceaux taillés dans le cœur des géants
Si j'avais le soleil pour dais, la nuit pour traîne et si le cœur
Du Monde résonnait avec les oiseaux sauvages dans mon cœur
Alors peut-être au centre de tout naîtrait une rose
Non plus un cri, mais une fleur vive dans un jardin
Et toutes les rumeurs, le bruit du ressac, le train des houles
Se tairaient pour une seule rose et son parfum.
Les arbres morts reverdiraient pour remonter dans leur voyage
Pour annoncer que sur les plages les hauts nuages et les vents
Ne croient plus aux Dieux morts, que tout revit dans la durée
D'une fleur d'un seul jour, que le temps partage le temps,
Et que tout continue et que tout recommence
Que l'intérieur regarde et parle et refleurit
Dans le silence revenu où l'on entend battre une rose.
Pierre Seghers
Racines in Disque Poésie de demain : Laurent Terzieff dit les poèmes de Pierre Seghers.
ARBRE
Je suis un arbre voyageur
mes racines sont des amarres
Si le monde est mon océan
en ma terre je fais relâche
Ma tête épanouit ses branches
à mes pieds poussent des ancres
Loin je suis près des origines
quand je pars je ne laisse rien
que je ne retrouve au retour.
Frédéric Jacques Temple : La chasse infinie. Poésie. Gallimard. 2020
- Ne vois-tu pas que chaque plante est œuvre, et ne sais-tu pas qu’il n’y a point d’œuvre sans idée ?
Paul Valéry : Dialogue de l’arbre. in Eupalinos. Gallimard
Mais toi, quand s’apaise le vent, et que la majesté du soleil calme, illumine tout ce qui est dans l’étendue, toi, tu portes sur tes membres divergents, sur tes feuilles innombrables, le poids ardent di mystère de midi ; et le temps tout dormant en toi ne dure que par l’irritante rumeur du peuple des insectes…Alors, tu me parais une sorte de temple, et ne m’est de peine ni de joie que je ne dédie à ta sublime simplicité.
Paul Valéry : Dialogue de l’arbre. in Eupalinos. Gallimard
Chanson
Mon cheval arrêté sous l’arbre plein de tourterelles, je siffle un sifflement si pur qu’il n’est promesses à leurs rives que tiennent tous ces fleuves.
*
Feuilles vivantes au matin sont à l’image de la gloire et ce n’est point qu’un homme ne soit triste. Mais se levant avant le jour et se tenant avec prudence dans le commerce d’un vieil arbre, appuyé du menton à la dernière étoile. Il voit au fond du ciel à jeun de grandes choses pures qui tournent au plaisir.
*
Mon cheval arrêté sous l’arbre qui roucoule. Je siffle un sifflement plus pur et paix, à ceux, s’ils vont mourir, qui n’est point vu ce jour. Mais de mon frère le poète, on a eu des nouvelles. Il a écrit encore une chose très douce et quelques uns en eurent connaissance.
Saint-John-Perse : Anabase. Gallimard.
Cependant la sagesse du jour prend la forme d’un bel arbre et l’arbre balancé
qui perd une pincée d’oiseaux
aux bagnes du ciel écaille un vert si beau qu’il n’y a plus vert que le paraisse d’eau.
« Ne tirez pas si loin sur mes cheveux. »
Saint-John-Perse : Éloges. Gallimard.
Arbres du jour et de la nuit
Candélabres de la noirceur,
Hauts-commissaires des ténèbres,
Malgré votre grandeur funèbre
Arbres, mes frères et mes sœurs,
Nous sommes de même famille,
L’étrangeté se pousse en nous
Jusqu’aux veinules, aux ramilles,
Et nous comble de bout en bout.
À vous la sève, à moi le sang,
À vous la force, à moi l’accent
Mais nuit et jour nous ressemblant,
Régis par le suc du mystère,
Offerts à la mort, au tonnerre,
Vivant grand et petitement,
L’infini qui nous désaltère
Nous fait un même firmament.
Nos racines sont souterraines,
Notre front dans le ciel se perd
Mais, tronc de bois ou cœur de chair,
Nous n’avançons que dans nous-mêmes.
L’angoisse nourrit notre histoire
Et c’est un même bûcheron
Qui, nous couchant de notre long,
Viendra nous couper la mémoire.
Enfants de la chance et du vent,
Vous n'avez de père ni mère,
Vous êtes fils d'une grand-mère
La Terre, son vieil ornement,
Vous qui devenez innombrables
Dans vos branches comme à vos pieds
Et pouvez attraper du ciel
Aussi bien que fixer les sables.
Princes de l'immobilité,
Les oiseaux vous font confiance,
Vous savez garder le secret
D'un nid jusqu'à la délivrance.
À l'abri de vos cœurs touffus,
Vous façonnez toujours des ailes,
Et les projetez jusqu'aux nues
De votre arc secret mais fidèle.
Vous n'aurez pas connu l'amour,
Ô grandioses solitaires,
Toujours prisonniers de la Terre,
Ô Narcisses ligneux et sourds,
Ne regrettez pas l'aventure,
Heureux ceux que fixe le sort,
Ils en attendent mieux la mort,
Un voyageur vous en assure.
Jules Supervielle
Feuille à feuille.
I
Puisque le sombre humus cache
Tant de vert par-devers soi
Et dans sa lourdeur compacte
Les futurs oiseaux des bois,
Arbres, vous sortez de terre,
Feuille à feuille, avec des chants
Qui sont les frais ornements
D'une commune misère.
Que vous soyez pins ou hêtres,
Chênes ou bien peupliers,
Une même façon d'être
Par le bas des prisonniers.
Et vous reprenez la place
Que le vent vous fit céder
Ne connaissant de l'espace
Que ce léger va-et-vient.
La hauteur cachée en terre,
Et se dressant peu à peu
Vous caresse et vous libère
Vers le ciel un petit peu.
Venus de la terre dense,
Humides de cent désirs,
Vous n'êtes plus qu'une essence
Et lui livrez vos soupirs.
II
Vous qui ne demandez rien,
Vous qui êtes toujours là,
Sans yeux, comme en ont les chiens,
Pour rappeler qu'ils sont là,
Arbres de mon grand jardin,
Dans un mouvement serein
Ouvrant nuit et jour les bras,
Vous nous faites oublier
Que vous ne les fermez pas,
Arbres graves, sans défauts,
Moitié tronc, moitié feuillage,
Et jamais trop peu ni trop
Ayant toujours ce qu'il faut
Pour votre immense veuvage,
Vous qui vivez parmi nous
Solitude jusqu'au cou
Malgré le vent, les oiseaux,
Et les hommes inégaux
Qui vous coupent en morceaux.
Que serviraient les regards
Ou de froncer les sourcils
Et l'avance ou le retard
Et tous les humains soucis ?
En dépit de vos racines
Vos troncs ne sont pas d'ici
Mais bien d'un pays caché
Dont nul ne peut approcher.
Et vous laissez un sillage
Sans avoir jamais bougé,
Comme les paralysés
Qu'on voit rêver sur les plages,
Vous qui nous poussez à vivre
Nous, moins que vous attachés,
A la façon d'hommes libres
Courant après leurs pensées.
Jules Supervielle
Pins
Ô pins devant la mer,
Pourquoi donc insister
Par votre fixité
À demander réponse ?
J'ignore les questions
De votre haut mutisme.
L'homme n'entend que lui,
Il en meurt comme vous.
Et nous n'eûmes jamais
Quelque tendre silence
Pour mélanger nos sables,
Vos branches et mes songes.
Mais je me laisse aller
À vous parler en vers,
Je suis plus fou que vous,
Ô camarades sourds,
Ô pins devant la mer,
Ô poseurs de questions
Confuses et touffues,
Je me mêle à votre ombre,
Humble zone d'entente,
Où se joignent nos âmes
Où je vais m'enfonçant,
Comme l'onde dans l'onde.
Jules Supervielle
S'il n'était pas d'arbres à ma fenêtre
Pour venir voir jusqu'au profond de moi,
Depuis longtemps il aurait cessé d'être
Ce cœur offert à ses brûlantes lois.
Dans ce long saule ou ce cyprès profond
Qui me connaît et me plaint d'être au monde,
Mon moi posthume est là qui me regarde
Comprenant mal pourquoi je tarde et tarde...
Jules Supervielle
L'oiseau et l'arbre sont conjoints en nous. L'un va et vient, l'autre maugrée et pousse.
Effacement du peuplier
L'ouragan dégarnit les bois.
J'endors, moi, la foudre aux yeux tendres.
Laissez le grand vent où je tremble
S'unir à la terre où je crois.
Son souffle affile ma vigie,
Qu'il est trouble le creux du leurre
De la source aux couches salies
Une clé sera ma demeure
Feinte d'un feu que le cœur certifie;
Et l'air qui la tint dans ses serres.
(Retour Amont)
Sobres amandiers, oliviers batailleurs et rêveurs sur l'éventail du crépuscule, postez notre étrange santé.
René Char
Le jeune arbre
Ta rose distraite et trahie
Par un entourage d’insectes
Montre depuis sa robe ouverte
Un cœur par trop empiété
Pour cette pomme l’on te rente
Et que t’importe quelqu’enfant
Fais de toi-même agitateur
Déchoir le fruit comme la fleur
Quoiqu’encore malentendu
Et peut-être un peu bref contre eux
Parle ! Dressé face à tes pères
Poète vêtu comme un arbre
Parle, parle contre le vent
Auteur d’un fort raisonnement.
(Hiver 1925-1926)
Francis Ponge : Proèmes. Gallimard. 1948
Francis Ponge : Proèmes
Je plante en ta faveur cet arbre de Cybèle,
Ce pin, où tes honneurs se liront tous les jours :
J'ai gravé sur le tronc nos noms et nos amours,
Qui croîtront à l'envi de l'écorce nouvelle.
Faunes qui habitez ma terre paternelle,
Qui menez sur le Loir vos danses et vos tours,
Favorisez la plante et lui donnez secours,
Que l'Été ne la brûle, et l'Hiver ne la gèle.
Pasteur, qui conduiras en ce lieu ton troupeau,
Flageolant une Eglogue en ton tuyau d'aveine,
Attache tous les ans à cet arbre un tableau,
Qui témoigne aux passants mes amours et ma peine ;
Puis l'arrosant de lait et du sang d'un agneau,
Dis : " Ce pin est sacré, c'est la plante d'Hélène. "
Pierre de Ronsard : Sonnets pour Hélène