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13 juin 2018 3 13 /06 /juin /2018 13:07

Le  2 avril 2011, j'écrivais sur ce blog  un propos sur Brassens. J'évoquais mon professeur de lettres : Jean Oliviéri. En hommage à ce professeur qui vient de nous quitter 11 juin, je republie ce texte ainsi que les commentaires

 

Aujourd’hui, sur France Culture l’émission de Raphaël Einthoven nous invite à une analyse comparée des fables de La Fontaine et des chansons de Brassens. Idée intéressante mais pas nouvelle. Il y a cinquante ans, mon professeur de lettres, Jean Oliviéri, avait osé à une époque où le Gorille n’était pas audible à la radio, comparer Brassens à Villon.

Mon admiration pour Brassens remonte à très longtemps. Dans les années 50, mon oncle Henri, délaissant son phonographe à manivelle et fier d’avoir acquis un des premiers tourne-disque 33 tours,  m’avait initié à ce chanteur en me faisant écouter les Sabots d’Hélène et Putain de toi.

Depuis je ne me suis pas lassé de l’écouter. Je connaissais tellement bien ses chansons que j’arrivais à les repérer  à l’audition des premiers accords de guitare. Mon père me disait : « Tes leçons de Brassens, tu les sais bien ! Dommage qu’il n’en soit pas de même dans les autres matières. » Je peux dire que  Brassens m’a accompagné pendant toutes mes années d’adolescence que je pourrais appeler mes années Brassens. Bien sûr, il y a des chansons moins bonnes que d’autres comme cette fameuse chanson sur le nombril de la femme d’un agent de police. Plus tard lorsque, médecin, j’ai fait des gardes de médecine générale, alors que j’étais en train d’examiner une patiente qui avait des douleurs abdominales, la patiente me dit que son bonhomme de mari était flic, je pensais au fond de moi, être le plus heureux des hommes, j’avais enfin vu le nombril de la femme d’un agent de police.

 

Il y a plusieurs Brassens Il y a un Brassens gaillard avec quelques chansons proches de ce que l’on appelle les chansons de corps de garde, ce ne sont pas les meilleures chansons de Brassens mais elles sont amusantes : Quand on est con, on est con. ; Marinette, Le Pornographe.... D’autres chansons nous présentent des êtres humbles que nous voudrions rencontrer : l’Auvergnat, les sabots d’Hélène, le vieux Léon, Jeanne., Pauvre Martin. Quelquefois Brassens flirte avec le surréalisme : Un gorille violant un juge, des mégères serrant des gendarmes entre de gigantesques fesses et cette brave Margot qui donne à téter à un chat , cette même Margot qui donne ce même sein à ces marmots, le sein qui fut un jour tété par son amant.. Au cours du cortège nuptial le vent emporte le chapeau du marié suivi par les enfants de cœur, comme dans un tableau de Chagall. . .Il y a aussi  le Brassens précieux : la marche nuptiale, Pénélope, les amours d’antan et le blason , ce merveilleux poème de plusieurs strophes pour ne pas avoir à prononcer « un tout petit vocable de trois lettres et pas plus. » Toutes ses chansons sont intemporelles et  se confondent avec les vieilles chansons populaires de tous les temps. Avec des expressions quotidiennes, il arrive à enrichir notre langage : Faire mes quatre voluptés… M’envoyer à la santé me refaire une honnêteté, il n’y a pas de quoi fouetter un cœur…Il y a même quelquefois des illustrations d’idées philosophiques. Ce pauvre Martin  qui creuse la terre et creuse le temps résume en une courte chanson, ce que Camus nous a dit dans le mythe de Sisyphe.

 

À propos de Camus. D’après divers témoignages, il paraîtrait que Camus aimait beaucoup les chansons. Il chantait une chanson qui pourrait être une chanson populaire d’un chansonnier proche d’Aristide Bruant ; En fait il est probable que la chanson ait été composée par Camus

 

Elle s’appelait misère de ma vie,

Car c’était bien vrai,

Elle n’avait pas chance

Avec ses poumons au trois quarts pourris

C’était une fille de l’Assistance

Pas de  chance….

Pas de  chance….

 

Elle était née le jour des morts,

C’est un bien triste sort,

Elle fut séduite à la trinité

C’est une calamité

 

(Variante)

Elle était née le jour des morts,

C’est un bien triste sort,

Elle est morte à la trinité

C’est la fatalité

 

Son père s’adonnait à la boisson

Sa mère lâchement avait su (?)

Et elle mourut sans parents,

Elle qui vécut sans enfants.

 

Mon père me racontait que lorsqu’il fréquentait Camus, les amis  avaient l’habitude au cours des réunions festives de pousser la chansonnette et ils chantaient souvent les chansons algéroises  d’Edmond Brua.

Roland Simounet raconte un voyage en auto avec Camus entre Alger et Orléansville            (Traces écrites,    Domens, Pézenas, 1997 p.49)

  Ce jour-là il (Camus) propose de chanter  sa chanson de son choix, tout le monde allait de son refrain, …

Avec nous nous avions pris une jeune fille fraîche et innocente….

Quand arriva son tour, elle commença quelques couplets du « gorille ». Un, deux, trois quatre. Comme elle avait l’air de bien connaître cette chanson. Camus risqua de lui demander si elle savait la suite ; sans interruption, elle alla jusqu’au bout. Il suffoqua de rire, apparemment il était le seul à connaître cette fin…

Brassens aurait eu beaucoup d’admiration pour Camus et il existerait un exemplaire de la Peste annoté par Brassens.

 

Jean-Pierre Bénisti

 

Commentaires : 

3/3/11 Serge Dupessey :

 Ton admiration pour Brassens me laisse perplexe. Ce fort bon compositeur provoque une dévotion sélective. Tu ne retiens de sa plume que ce qui t'as fasciné et tu occulte l'autre Brasses ,
l'anarco-paitiniste . Céline ou Brasillach sont de grand écrivains: cela n'a jamais empêché qu'ils soient des crapules.
Brassens, bien que le comparaison soit disproportionné,a toujours bénéficié d' un"passeport de blanchiment". Intouchable !!! Relis ies "Deux oncles" ? Il met dans le même sac les collabos et les
résistants, les nazis et les anglo-saxons , Pétain aurait pu faire passer sa chanson avant son discour le lendemain du débarquement. Il a récidivé , d'une manière plus subtil avec "Rome brule-t-il"
.Pourquoi ne pas changer Rome par Paris !
Ma stupéfaction est toujours intacte devant la vénération d'une gauche pour des idoles de pacotille . Jean Cau avait raison ; Brassens , c'est de la merde.

 

JPB :

Serge Dupessey me fait part de ses réserves au sujet de la pensée politique de Brassens. Je partage ses réserves, Brassens rejoint les anarchistes de droite, cela n'affecte pas son talent et il est
permis d'apprécier une personne qui ne partage pas la totalité de nos idées.
La chanson "les deux oncles" est tout à fait contestable dans son esprit : Brassens qui généralement écrit des chansons intemporelles, cite nommément Pétain, or les noms propres sont très rares
dans ses chansons. On peut admettre
qu'il y a nécessité dans un désir de réconciliation de tourner une page d'histoire, mais on ne peut accepter de renvoyer dos à dos résistants et collabos. De plus les résistants ne sont pas morts
pour des idées mais pour refuser un régime qui construisait des usines à fabriquer des morts.

 3/3/11
Bernard Mahazella

Merci pour ce rapprochement Brassens-Camus, cher Jean Pierre. Cela me donne l'occasion de laisser (enfin) un commentaire sur votre blog souvent passionnant. B

 

11/4/11

Jean Oliviéri

Cher Jean-Pierre, 

 

Une fausse manoeuvre vient de me faire envoyer une réponse....sans réponse.

En fait je voulais vous remercier de citer un professeur de français qui a contribué, semble-t-il, à votre découverte de Brassens. Je suis heureux que depuis, il vous ait accompagné dans les moments heureux ou moins heureux de l'existence. J'en ai fait l'expérience, en ce qui me concerne. Et il m'est arrivé de prescrire à mes amis l'écoute de Brassens, comme le meilleur remède contre la mélancolie, le désarroi, les blessures de la vie. La morale pratique de Brassens, c'est l'autodérision pudique des "Ricochets", qui apaise la souffrance sans la renier : "j'en pleurai pas mal : le flux lacrymal me fit la quinzaine...."

 

Oui, merci de vous rappeler que je plaçais Brassens aux côtés de Villon. Depuis, je n'ai cessé de "pratiquer" Brassens et plus je le pratiquais, plus mon admiration grandissait pour l'artiste, pour le "moraliste", pour l'homme....

Pour l'artiste, qui est un poète, c'est-à-dire un créateur de formes, dont les trouvailles parsèment les poèmes les plus anodins - il faut les réécouter pour redécouvrir sans cesse des beautés inaperçues....

Pour le moraliste, c'est-à-dire l'anarchiste tolérant ...

Pour l'homme, pudique et sincère, qui sait qu'il doit mourir, mais qui, comme le pauvre Martin, ne "veut pas emmerder les autres avec ça".

 

J'aime bien mieux cet anarchisme authentique que le dédain vulgaire d'un Cau l'hypocrite mensonge de son patron Sartre, choisissant de se taire sur les crimes staliniens pour "ne pas désespérer Billancourt".

 

Je dérive donc sur les commentaires de Serge Dupessey et Bernard MAHASELA qui m'ont mis en colère, non pas parce qu'ils touchaient à mon "idole", comme dit l'un d'eux, mais parce que leur aveuglement partisan les rend sourds à Brassens au point qu'ils ne peuvent comprendre notre  plaisir à savourer l'oeuvre et notre admiration pour l'homme.

 

 

J'ai eu envie de réagir vertement à leurs critiques "politiques", à leur procès d'intention qui rappellent ceux qu'on a fait, qu'on continue à faire à Camus. Comment leur faire comprendre que la pitié pour la belle qui couchait avec le roi de Prusse, n'a rien à voir avec un vive l'Angleterre ou vive l'Allemagne, mais est seulement un "à bas la guerre" et "vive la vie". Comment leur faire sentir la goguenardise qui fait rimer dans les deux oncles, dans une assonance (dissonance) bien approximative "ciel de Verdun" et "maréchal Pétain". C'est ça le pétainisme de Brassens ?

 

Et puis, je me suis dit : Comment aurait répondu Brassens ?

Et je me suis souvenu d'une anecdote, rapportée par Brassens lui-même. C'était en pleine guerre d'Indochine. A la sortie d'un récital qu'il donnait je ne sais plus où, il est félicité par une spectatrice qui lui demande, petit reproche - "Pourquoi ne faites-vous pas de chanson contre la guerre d'Indochine ? " Et Brassens lui répond : "Madame, parce que ça je ne sais pas le faire. Et puis que dire ? Mort à la guerre. Ce serait vite fait." Et il rajoute (à peu près, je cite de mémoire) "mes engagements,  ils sont dans mes chansons. Je prends parti pour les paysans dans "Pauvre Martin", contre la peine de mort dans "Le gorille". Mais il faut les entendre." Et de conclure "Moi, je fais de la propagande clandestine. " Jolie litote et art de vivre. Art tout court. Affirmation délicate de la vraie morale contre la connerie de l'ignorance brutale

 

Amitié.

 

Jean

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22 mai 2018 2 22 /05 /mai /2018 17:35

Phillipe Lançon, journaliste de Libération, blessé en janvier 2015, lors de l'attentat de Charlie Hebdo vient de publier un livre remarquable sur cet évènement : Le Lambeau éditions Gallimard. Il avait publié un article sur l'Algérie intitulé Alger la Franche, où il évoquait : Alger, Camus et Tipasa :

 

    L’Algérie fait peur aux touristes, certains directeurs étaient corrompus. Le petit-déjeuner reste épouvantable, mais la salle à manger, avec ses hauteurs staliniennes et sa vue sur le port, fait passer le goût du café. Il arrive que des cafards grimpent le long des grands rideaux orange. On leur sourit en écoutant de la musique classique. Les 150 chambres, qui communiquent entre elles pour faire éventuellement appartements, ne sont pas toujours propres, mais leur style et leurs balcons Art déco font passer outre. Le personnel est aimable. Les prix, raisonnables. Les clients oublient de fermer la double porte des deux ascenseurs sublimes, le personnel grimpe et descend les escaliers pour les refermer. L’Aletti est une splendeur de l’Art déco et l’un des lieux les plus fascinants d’Alger.

 

François Hollande côtoie Roger Hanin

 

L’actuel directeur, Sami Djilali, né à Bougie en 1956, est en place depuis 2003. C’est un grand homme apparemment austère, réservé. Il fait visiter nonchalamment le passé de l’hôtel : son ancien casino, avec un perchoir pour les inspecteurs de jeux, et l’escalier majestueux qui ouvrait sur la mer, aujourd’hui fermé. Un gigantesque Poséidon de 1950, peint et ciselé sur un miroir vieilli, domine la salle de jeu. Un saint Georges terrassant le dragon protège le bar Art déco, très cosy dans ses tons bruns, et qui donne également sur la mer. Un couloir ouvre sur l’ancienne discothèque et, au-dessus, l’ex-restaurant Chantecler. Rien n’a encore été rénové. L’Aletti est suspendu à son passé comme un lustre au plafond écaillé.

Le second palace colonial, l’hôtel Saint-Georges, dit El-Djazaïr, est situé sur les hauteurs de la ville. Il a été restauré dans son style néomauresque. Sur les murs du bar, en noir et blanc, des photos des clients populaires, pêle-mêle, algériens et français. François Hollande côtoie Roger Hanin, juste sous Luis Fernandez. Plus loin, on remarque Charles Aznavour, Samy Naceri, Jean-Pierre Foucault, PPDA, Jean-Claude Brialy, Bertrand Delanoë, Alexandre Arcady, Smaïn, Béatrice Dalle et Gad Elmaleh. Les grands écrivains sont à l’entrée, dans les courants d’air. Ils sont tous morts.

La librairie des Beaux-Arts, située dans le centre, est l’une des plus anciennes d’Alger. Elle est minuscule, sur deux étages unis par un vieil escalier de bois. On dit que Camus venait s’installer sur les marches pour corriger ses articles. Elle a été fondée par Pierrette Lazerges, qui créera plus tard, à Aix-en-Provence, la librairie Vents du Sud. Elle laisse les Beaux-Arts après l’indépendance au catalan Joaquim Grau, que tout le monde appelait Vincent. Des islamistes le descendent sur le pas de la porte le 21 février 1994

Un texte, avec sa photo, rappelle sa vie et les circonstances de sa mort. C’était une forte personnalité, qui prêtait les livres et écoutait du jazz. Depuis, la librairie a été régulièrement menacée de fermeture par les hausses de loyer. En avril, il était de nouveau question qu’elle disparaisse. Malika Sadeg, la Kabyle volubile qui s’en occupe et qui aime Alphonse Daudet, fermait la porte à clé pour éviter que la propriétaire des murs ne vienne faire un scandale, «c’est une folle et c’est son habitude.»Elle pleure légèrement quand elle parle de la mort de Vincent et du destin de la librairie, puis elle rit parce que la vie continuera.

Comme partout ailleurs, on ne trouve pas ici les livres de l’un des plus grands auteurs algériens de langue française, le défunt Kateb Yacine. Le Seuil, son éditeur méfiant, refuse de vendre les droits. C’est un effet pervers de la décolonisation et c’est un peu comme si l’on ne trouvait pas en France les Misérables ou Voyage au bout de la nuit.Que vend Malika ? «Beigbeder, celui-là, c’est la folie. Il y a aussi la Belge, Nothomb. D’Ormesson est très demandé. Attali, c’est pas ma tasse de thé, mais on me le demande. Et Michel Onfray est venu ici. Il est allé voir la maison de Camus.»Les livres du «géopolitologue» Pascal Boniface sont là comme ailleurs, luisant dans le vide éditorial ambiant, mais elle fait la grimace et dit qu’ils ne se vendent pas. Quant à Camus, «c’est la coqueluche, il est algérien quand même !» Sur le mur d’en face, à côté d’une photo où il apparaît en compagnie de Jules Roy et d’Edmond Charlot, il y a une citation de l’Eté«En ce qui concerne l’Algérie, j’ai toujours eu peur d’appuyer sur cette corde intérieure qui lui correspond en moi et dont je connais le chant aveugle et grave.»

 

         Dans l’Eté,il y aussi un texte de 1952, intitulé «Retour à Tipasa». Camus aimait ce site archéologique, situé à 69 kilomètres à l’ouest d’Alger. Une nouvelle autoroute y conduit, longeant la mer et traversant les cités construites par ces invisibles fourmis qui fascinent les Algériens et que sont les Chinois. Tipasa, ou Tipaza, est un petit port à côté duquel se trouvent des ruines romaines et chrétiennes datant du IIe siècle après J.-C.

      Camus a écrit deux fois sur ces lieux. Le premier texte, «Noces à Tipasa», date de 1937 ; le second est «Retour à Tipasa». Entre les deux, la jeunesse est partie et la guerre a passé. Une stèle a été faite, un an après la mort de l’écrivain, par son ami le sculpteur Louis Bénisti. Elle se trouve sur la colline ouest du site, isolée, face à la mer. C’est un bloc rectangulaire pas très haut, d’une pierre dure et ocre. On y a gravé : «Je comprends ici ce qu’on appelle gloire : le droit d’aimer sans mesure. Albert Camus.»Ces mots sont tirés de «Noces à Tipasa». L’écriture est à peine lisible. Elle disparaît dans le crépi de la pierre, comme les ruines dans le paysage, comme la France dans les traces qu’elle a laissées.

        Les jeunes Algériens viennent ici flirter, rêver, se baigner, comme au temps de Camus. Un groupe d’étudiantes aux cheveux couverts est venu étudier et dessiner les ruines sur du papier quadrillé. La plupart ne connaissent pas l’écrivain. Au printemps 1958, Camus retourne une dernière fois à Tipasa. Dans ses Carnets,il écrit :«Je mourrai et ce lieu continuera de distribuer plénitude et beauté. Rien d’amer à cette idée. Mais au contraire sentiment de reconnaissance et de vénération.»Et, dans Retour à Tipasa«Oui, il y a la beauté et il y a les humiliés. Quelles que soient les difficultés de l’entreprise, je voudrais n’être jamais infidèle ni à l’une ni aux autres.»

 

Philippe Lançon

 

Voir :

 

Alger la franche: 

http://www.liberation.fr/planete/2012/07/06/alger-la-franche_831690

 

 

 

Camus, l'homme bien révolté :

http://next.liberation.fr/culture/2009/11/21/camus-l-homme-bien-revolte_594884

 

Camus, cet étrange ami :

http://next.liberation.fr/culture/2010/01/02/camus-cet-etrange-ami_602169

 

Stèle gravée par Louis Bénisti (Photo JPB 1961)

Stèle gravée par Louis Bénisti (Photo JPB 1961)

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3 mai 2018 4 03 /05 /mai /2018 17:15

Dans son interview à la NRF, Emmanuel Macron cite 
Léo Ferré : " Ces cons dits modernes, comme dirait Léo Ferré, finissent par s'épuiser eux-mêmes."
Léo eut été très heureux d'être un jour cité par un président de la République.

 

https://youtu.be/CDlB3VJz35E?t=7

 

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2 mai 2018 3 02 /05 /mai /2018 07:09

1er mai 1913 : Naissance de Max-Pol Fouchet à Saint Vaast la Hougue
1er mai 1995 : Disparition de Louis Bénisti à Evian



 

Baigneuses du Léman Dessin de Louis Bénisti 1983

Baigneuses du Léman Dessin de Louis Bénisti 1983

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1 mai 2018 2 01 /05 /mai /2018 08:06

 

Le muguet

 

 

Un bouquet de muguet,

Deux bouquets de muguet,

Au guet !Au guet !

Mes amis, il s'en souviendrait,

Chaque printemps au premier Mai.

Trois bouquets de muguet,

Gai ! Gai !

Au premier Mai,

Franc bouquet de muguet.

 

Robert DESNOS

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30 avril 2018 1 30 /04 /avril /2018 18:34

C'est avec une énorme tristesse que nous avons appris le décès hier de notre ami Michel Levallois à la suite d'une longue maladie

 

Michel était un exemple d'humanisme, de droiture et d'intégrité. Très proche de Michel Rocard, il avait notamment soutenu ce dernier au début des années 60 dans la rédaction de rapports mettant en lumière les impacts négatifs de la colonisation sur le monde agricole algérien et proposant des mesures de réformes agraires. Après avoir présidé l'ORSTOM, Michel prendra la présidence d'Enda Europe et lancera le think tank Coordination de l'Afrique de Demain qui sera à l'origine d'une somme considérable de réflexions et da propositions d'actions. Descendant d'Ismaël Urbain, il est l'auteur de nombreuses publications sur cette personnalité du 19ème siècle qui fut un des artisans de la politique arabe de Napoléon III. Il est le père d'Agnès Levallois, spécialiste du Moyen-Orient.

 

Nous présentons nos sincères condoléances à sa famille et espérons participer à l'hommage qui lui sera rendu.

 

Nous pourrons faire suivre  vos messages de sympathie à sa famille.

 

Que la terre te soit légère, Michel.

 

Farid Yaker,

Président du Forum France-Algérie

 

 

 

 

Biographie de Michel Levallois

Titulaire d’une Licence en droit, d’un DES en sciences économiques, d’un diplôme de Coopération crédit et mutualité agricole, Michel Levallois soutient en 1999 sa thèse de Doctorat en histoire (études arabes) à l'Institut national des langues et civilisations orientales, sur La genèse de l'Algérie franco-musulmane d'Ismaÿl Urbain (1812-1884).

En 1957, il est affecté au Niger, comme chef adjoint au cabinet du Gouverneur. Entre 1958 et 1960, il exerce à Saint-Maixent, puis en Algérie, en temps qu' officier de section administrative spécialisée. Il assure les fonctions de chef de cabinet du Préfet d’Orléansville (Algérie), Louis Verger, entre 1960 et 1962, puis de chargé de mission au cabinet du délégué général à Alger, Jean Morin, entre 1961 et 1962. De retour en France, il est nommé sous-préfet de La Châtre entre 1962 et 1964, de Villeneuve-sur-Lot entre 1964 et 1967, et de Provins entre 1967 et 1969. Affecté en Nouvelle-Calédonie, il occupe le poste de secrétaire général du Territoire entre 1969 et 1974 avant d'être nommé Directeur du cabinet du secrétaire général du gouvernement, Marceau Long, entre 1974 et 1978. Préfet de la Haute-Marne entre 1978 et 1981, il poursuit sa carrière comme préfet de Région de la  Réunion entre 1981 et 1984, puis comme Directeur des affaires politiques entre 1984 et 1986, placé en position de hors-cadre en mai 1986 au ministère des DOM-TOM. Il reçoit une affectation au cabinet de Philippe Seguin, alors ministre des Affaires sociales et est nommé chef de la mission pour l’emploi des jeunes et les travaux d’utilité collective (1987). En 1989, il occupe le poste de Président de l’Institut français de recherche scientifique pour le développement en coopération (ORSTOM, aujourd'hui IRD) où il fait deux mandats. Il demande à bénéficier de sa retraite au 1° janvier 1995. Il exerce alors plusieurs mandats d'administrateur et de président dans des institutions publiques et privées en relation avec l'Afrique subsaharienne : Université francophone Léopold Senghor d'Alexandrie (Égypte), ONG Enda Tiers monde et Enda Europe, et Comité international de la Fondation de France.

Bibliographie :

Les saint-simoniens dans l'Algérie du XIXe siècle : le combat du Français musulman Ismaÿl Urbain. Paris : Riveneuve, 2016 (directeur de publication)

Ismaÿl Urbain : royaume arabe ou Algérie franco-musulmane ? : 1848-1870. Paris : Riveneuve, 2012

Abd el-Kader, un spirituel dans la modernité. Beyrouth‎ : Dar Albouraq‎, 2010 (collaborateur)

L'Algérie et la France. Paris‎ : R. Laffont‎, 2009

 

Dictionnaire des orientalistes de langue française. Paris : IISMM, 2008 (collaborateur)

Dictionnaire de la France coloniale. Paris : Flammarion‎, 2007 (collaborateur)

 

Le siècle des Saint-Simoniens‎ : du nouveau christianisme au canal de Suez. Paris‎ : Bibliothèque nationale de France‎, 2006 (collaborateur)

 

L'orientalisme des saint-simoniens‎ : actes du colloque du 26-27 novembre 2004, Paris, Institut du monde arabe. Paris‎ : Maisonneuve et Larose‎, 2006 (éditeur scientifique)

 

Histoire de l'islam et des musulmans en France‎ : du Moyen Âge à nos jours. Paris : Albin Michel‎, 2006 (collaborateur)

 

Algérie à plus d'une langue. Québec : Université de Laval‎, 2002 (collaborateur)

 

Ismayl Urbain, 1812-1884 : une autre conquête de l'Algérie. Paris‎ : Maisonneuve et Larose‎, 2001

 

La genèse de l'Algérie franco-musulmane d'Ismayl Urbain. (thèse) [S.l.]‎ : [s.n.], 1999

 

 

 

 

 

Disparition de Michel Levallois
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12 avril 2018 4 12 /04 /avril /2018 06:54

       

      Je regagnais Vichy. Après avoir raconté mes aventures, je me suis mis au travail. Il n’y avait pas grand-chose d’autres à faire.

     Après ce séjour à Vichy, nous sommes partis pour Saint Agrève. À la pension la Roseraie, où nous logions, il y avait une clientèle très diverse composée de pensionnaires avec lesquels nous n’échangions pas beaucoup. Cependant, il y avait quelques intellectuels protestants qui, nous sachant en Algérie, prirent contact avec nous pour discuter de la situation du nouvel état. Une dame distinguée, Madame Fleury et un banquier nîmois, vinrent nous parler de leur travail auprès d’une organisation protestante : le Réarmement moral1, organisation qui avait été à l’origine de rencontres entre hommes de bonne volonté permettant de résoudre certains conflits. Nous sachant en Algérie, ils saluèrent notre courage, mais se montrèrent pessimistes sur l’avenir du pays, car ils craignaient un conflit généralisé entre l’Europe et le monde arabe. Une autre personne Madame Monique Chaurand, qui était professeur d’éducation musicale et organiste, nous fit part de son travail au sein de la CIMADE. Lorsque mes parents quittèrent l’Algérie, Madame Fleury dit à son ami le Pasteur Roland de Pury2, qui était installé à Aix de rendre visite à mes parents pour essayer de les aider. Ils ont reçu Monsieur de Pury, sans savoir que ce pasteur s’était illustré dans le sauvetage des enfants juifs de Lyon et qu’il avait été considéré comme Juste.

      Une nouvelle importante vint troubler nos vacances : l’armée soviétique était rentrée à Prague et avait déposé Alexandre Dubcek. Cette nouvelle nous attrista : Nous espérions que le Printemps de Prague porterait ses fruits et nous pensions que l’Union Soviétique se libéralisait. Tout s’effondrait, nous avions peur d’un nouveau Budapest. Un seul point positif : Waldeck Rochet, secrétaire du PC, condamna sans équivoque l’intervention soviétique. C’était un homme politique responsable. Marchais, plus tard, soutint bêtement Brejnev envoyant ses troupes en Afghanistan. Malgré la position du PCF, nous pouvons dire que pour les intellectuels de gauche, le communisme avait vécu et ne constituait plus un modèle de régime crédible.

Après ce séjour à Saint Agrève où j’avais pu me consacrer à la préparation de mon examen, mes parents m’ont accompagné à Grenoble et après m’avoir laissé au Rabot, ils regagnaient Marseille, puis Alger.

Je passais mon examen le 2 septembre, j’ai attendu une dizaine de jours mes résultats. Comme ils étaient positifs, je suis rentré tout de suite à Alger, en allant prendre l’avion à Bron. J’ai traversé Lyon en autobus et notamment le quartier de Monplaisir avec le monument des frères Lumière et le nouveau théâtre du 8èmearrondissement. J’habite depuis 1976 ce quartier. 

 

      Ce séjour à Alger de septembre à novembre 68 fut le dernier long séjour que je fis dans ce lieu. Les séjours suivants furent plus brefs. Je m’étais réinstallé avenue Durando, et je vivais un certain temps à l’algérienne. J’ai rangé mes affaires et j’ai retrouvé mes vieux cahiers du lycée. J’ai même essayé de refaire des problèmes de mathématique.

            Mon camarade Belkacem m’a permis de fréquenter les hôpitaux d’Alger. Cependant, il n’était pas un excellent pédagogue. Il m’a fait suivre des visites à la Maternité d’abord et en neurologie ensuite, où j’ai pu assister aux visites d’un professeur lyonnais qui venait d’arriver à Alger : le Professeur Charles Bourrat.

            Nous avons repris nos dimanches à la plage avec nos amis. Le Professeur Séror et le Professeur Mentouri, à l’époque maire d’Alger, se joignaient à notre groupe d’amis. Il y avait aussi Jean Oliviéri, mon ancien professeur de lettres et son ami Baudier. Nous allions à Tipasa ou au Figuier.  La saison des bains de mer durera jusqu’à fin octobre. Mon père et le Professeur Séror, ne se baignaient pas beaucoup, ils passaient leur temps à admirer les petites filles qui nageaient très bien. « C’est les plus belles choses que nous voyons, lors de ces journées » disaient Séror. Comme beaucoup de peintres comme Renoir ou Bonnard, mon père a toujours été attiré par les baigneuses.

            Un soir à Tipasa, mon père rencontra sur la plage, le vice ambassadeur de France : Monsieur Stéphane Hessel3.Hessel dit à mon père que de temps en temps les Algériens et les Français se faisaient des petites vacheries et qu’il ne fallait pas y attacher une grande importance. Nous connaissions mal l’histoire de ce diplomate. Mireille de Maisonseul nous la raconta, car elle avait rencontré la mère de Hessel, de passage à Alger, qui lui avait avoué être l’héroïne de Jules et Jim. En effet, mariée à l’écrivain berlinois Franz Hessel, elle devint la maîtresse de l’ami intime de son mari : l’écrivain Henri-Pierre Roché et il y eut à un certain moment un ménage à trois qu’Henri-Pierre Roché raconta dans un roman autobiographique Jules et Jim. François Truffaut adapta ce film au cinéma.

            Au théâtre, une troupe française jouait une pièce d’Armand Gatti (la Cigogne) avec Catherine Sellers4.Armand Gatti est un auteur prolifique et intéressant. Je ne me souviens plus de la pièce, je me souviens de ce que me dit mon père à la sortie de la représentation : «  Lorsqu’on représente sur scène un homme qui en torture un autre, automatiquement le spectateur s’identifie avec celui qui souffre. Ce n’est pas très honnête intellectuellement de se servir de ce procédé pour justifier un combat. » Mon père soulevait l’un des grands sujets actuels : la puissance des images.

            À la cinémathèque, je pouvais revoir des films comme la Notte, que j’aimais particulièrement. Au centre culturel français, il y avait des expositions notamment une exposition Baya et une exposition de peintures d’Hermine Chastenet-Cros, préfacée par Jean Pélégri. Hermine Chastenet-Cros était l’épouse de Vitalis Cros5, un préfet qui en 62 joua un rôle très important à Alger et à Rocher-Noir. Il avait conduit à Alger des négociations importantes, à la fin de la guerre d’Algérie. Il avait mené la lutte contre l’OAS et avait acquis la réputation d’être le premier barbouze de France. 

Hermine avait édité le texte de Le Corbusier Poésie sur Algeret des petits opuscules confidentiels de Sénac et Bourboune illustrés par Khadda et Maisonseul. 

            Au centre culturel français, après mon départ d’Alger, mes parents assistèrent à une conférence de Jean Négroni6sur Lorca. Mon père eut beaucoup de plaisir à retrouver son vieux camarade du théâtre de l’Equipe. Peu de temps avant la disparition de mon père en 1995, Négroni, de passage à Aix, rendit visite à mon père, alors qu’il était hospitalisé. Mon père tomba dans les bras de son ami et cette rencontre lui permit de reprendre  courage.

      Mexico a été le théâtre d’évènements sanglants, où à la veille des jeux olympiques une révolte étudiante était réprimée de façon sanglante. Cette année 68 aura été riche en évènements : révolte étudiante en Allemagne, en France et Printemps de Prague réprimé par les Soviétiques, enfin révolte étudiante à Mexico. Les psychanalystes pourraient travailler avec les historiens pour tenter d’avoir une explication de ces révoltes contagieuses 

 

 

 

       Le 1ernovembre approchait. Le Professeur Séror, le Docteur Albou et Tahar le cuisinier des Séror nous proposèrent de passer un petit séjour en Kabylie. Nous sommes partis à Michelet (Aïn el Hammam). Nous avons traversé les montagnes kabyles. L’hôtel était rudimentaire. 

            L’atmosphère algérienne s’était améliorée. Une convention fiscale signée entre l’Algérie et la France permettait aux Français d’Algérie de quitter le pays sans avoir à prouver aux autorités, d’être en règle avec le fisc. Ma mère abandonna pour un temps son projet de quitter le pays. Elle regrettait toutefois les départs des amis : Poncet, prenant sa retraite partit début octobre à Nice et le Professeur Séror partit à Strasbourg, fin novembre. Mes parents me racontèrent ce départ : le Professeur Mentouri7, qui était l’élève de Séror organisa ce départ comme le départ d’une haute personnalité. Tous les amis et élèves du professeur  l’accompagnèrent à l’aéroport et ils furent autorisés à aller tous ensemble au pied de l’avion, comme s’il s’agissait d’un chef d’état.

            Dans les hôpitaux d’Algérie, le nombre de médecins algériens était insuffisant pour faire face aux besoins. Il y avait encore quelques médecins pieds-noirs et quelques jeunes médecins français qui faisaient leurs services militaires dans la coopération. Il y avait aussi des médecins soviétiques qui ne parlaient ni arabe ni français et qui n’auraient pas été très compétents. À côté de ces coopérants, arrivèrent un certain nombre de médecins ne pouvant pas exercer leur métier dans leurs pays, pour des raisons politiques : c’est ainsi que l’on eut des médecins angolais comme le Docteur d’Almeida, qui était spécialiste des maladies infectieuses et des médecins portugais, en délicatesse avec Salazar, comme le Docteur Amilcar Castanhina8, qui était neurologue et sa femme, qui était gynécologue.

            Le Dr Castanhina avait ses enfants au lycée Victor Hugo et avait rencontré mon père, en tant que parent d’élève. Il apprit que je faisais des études à Grenoble et demanda à me rencontrer pour me confier son fils, qui s’apprêtait à partir à Grenoble faire ses études de médecine. Le jeune Fernando Castanhina prit contact avec moi. Mes parents l’ont invité à déjeuner et je comptais en faire un ami et à travers ce nouvel ami connaître les Portugais, peuple que je connaissais mal. Après avoir longtemps perdu de vue Fernando, je l’ai retrouvé à mon retour d’Évian et j’ai essayé de le relancer au moment de la révolution des œillets. Je  l’ai de nouveau perdu de vue.

            Le dernier jour de novembre passé à Alger était un samedi très festif. Des voisins nous avaient invités à la circoncision d’un de leurs fils. Nous avons assisté au début de la cérémonie, les hommes étaient réunis autour de l’enfant qui a d’abord eu droit à une coupe de cheveux. Je n’ai pas assisté à la circoncision proprement dite, car nous étions invités à une autre soirée : une soirée costumée chez les Morali. Je ne me souviens plus si je me suis déguisé, peut-être ai-je mis une coiffe de maharaja, que mon père avait confectionnée. Ce qui était caractéristique c’est la façon dont les invités avaient dévoilé leur caractère par la nature de leurs déguisements. Dalila, qui était étudiante en psychologie s’était déguisée en magicienne diseuse de bonne aventure. Denise, obsédée par l’Amérique, s’était déguisée en agent secret. Jacques, danseur que l’on soupçonnait d’être homosexuel s’était déguisé en vamp. Un autre qui ne brillait pas pour son intelligence, s’était déguisé en mexicain, un comble pour un mec si con !  

 

 

 

             Je rentrais à Grenoble vers la mi-novembre. J’ai repris mes cours. Les professeurs étaient plus aimables et essayaient de ménager après leurs cours des temps de discussions. Les étudiants étaient tristes d’avoir participé à une tentative de révolution sans lendemain.  Les étudiants en médecine avaient au moins gagner l’obligation d’avoir des stages hospitaliers rémunérés.

            L’année 68 était sur le point de se terminer. C’était une année riche en évènements pas seulement en France. En Allemagne et en Italie, les contestations furent  moins importantes qu’en France. Peut-être, les mouvements contestataires en France, permirent à  ce pays de ne pas avoir eu des mouvements terroristes importants comme la bande à Baader en Allemagne ou les Brigades rouges en Italie, qui empoisonnèrent nos voisins pendant la décennie 70.

            La révolution de Mai 68 n’était plus qu’un souvenir. Chacun avait vu sa révolution en fonction du lieu où il se trouvait ou de sa façon de voir.  Au ciné-club de la cité universitaire, un de nos camarades cinéphiles nous a projeté quelques petits films tournés par des cinéastes en herbe en mai. Un petit film « érotique » qui nous montrait une femme nue trempée dans la peinture bleue comme dans les peintures d’Yves Klein qui se vaporise d’un produit d’entretien Ajax et les formes de son corps apparaissent progressivement. Un autre film nous montrait la fin de la grève de chez Wonder7où une ouvrière  ne veut pas reprendre et est au bord de la crise de nerf. Cette séquence a souvent été reprise dans les documentaires sur 1968.

 

 

            Que reste-t-il du mouvement de  mai 68. Il est difficile de faire la part de ce que le mouvement a engendré et les transformations de notre société qui coïncidaient avec la fin des années 60, mais qui n’ont été que contemporaines au mouvement de 68 : contraception, mixité dans les résidences universitaires etc. D’autres traces de 68 sont aujourd’hui perceptibles : le mouvement écologiste et les mouvements féministes ou homosexuels. D’autres idées ont fait long feu : l’autogestion, que De Gaulle avait rebaptisé participation, n’est plus qu’un souvenir. Les mœurs ont un peu changé : un  homme politique respectable peut parler à la télévision sans cravate. Le tutoiement s’est presque généralisé. Si les communautés n’ont pas survécu, les couples se forment et ignorent souvent le passage devant Monsieur le Maire.

            Les slogans soixante-huitards  reviennent souvent dans notre tête. Si le slogan « Il est interdit d’interdire » est tout à fait inapplicable car toute société repose sur un certain nombre d’interdits, il n’empêche qu’actuellement les relations entre les individus sont régies uniquement par des interdictions et des obligations. Il suffit d’entendre les appels des haut-parleurs des gares de la SNCF.  Si on est tout de même pas dans une société de type soviétique où : Ce qui n’est pas autorisé est interdit et ce qui est autorisé est obligatoire, notre société en est proche. 

            Les études universitaires se sont transformées et pas seulement dans le bon sens. Voilà qu’en médecine, les étudiants passent des examens sous forme de QCM (questions à choix multiples), ce qui réduit les connaissances scientifiques au niveau des connaissances nécessaires à la participation de jeux télévisés. On nous avait pourtant dit que savoir utiliser ses connaissances est bien plus important que leurs quantités stockées dans notre mémoire.    

 

                                               Jean-Pierre Bénisti

 

 

 

1. Réarmement moral Le Réarmement moral :Fondé dans les années 1920 par le pasteur américain Frank Bushman, le Réarmement moral (Groupes d'Oxford jusqu'en 1938) a pour objectif de changer le monde en recentrant les individus, et en premier lieu les décideurs politiques, sur des valeurs morales fondamentales. A l'initiative de membres suisses, Philippe Mottu, Erich Peyer et Robert Hahnloser, il acquit le Caux Palace, sur les hauts de Montreux, en 1946. Buchman y invita des participants de nombreux pays, dont l'Allemagne en 1947, et contribua ainsi à la réconciliation franco-allemande. Pendant la guerre froide, le mouvement se distingua notamment par son anticommunisme. Devenu Initiatives et Changement en 2001, il est toujours actif à Caux où il organise des rencontres internationales annuelles : http://www.hls-dhs-dss.ch/textes/f/F16454.php

2. Roland de Pury (1907-1979) pasteur s’étant illustré pour son action de résistance et pour le sauvetage de juifs. Reconnu comme juste parmi les nations par l’association Yad Vashem.

3. Stéphane Hessel (1917-2013) a été en fonction à Alger de 1963 à 1969

4. Catherine Sellers (1926-2O14)  actrice ayant travaillé avec Camus et Vilar

5. Vitalis Cros (1913-1999) : Haut fonctionnaire, dernier préfet de police d’Alger. A  été ensuite affecté à l’ambassade de France en Algérie. Ami de Maisonseul et de Sénac

6. Jean Négroni (1920-2006) acteur ayant joué au théâtre de l’Équipe de Camus, par la suite a travaillé au TNP de Vilar

7. Bachir Mentouri est un professeur de chirurgie d’Alger, élève et ami du professeur Joseph Séror

8. Amilcar Castanhina. Voir : Les Portugais à Algerpar Judith MANYA, actes du colloque de 2007 sur les portugais et la culture française.  http://www.msh-clermont.fr/IMG/pdf/06-MANYA_51-58_.pdf

9. Usine Wonder voir youtube https://www.youtube.com/watch?v=ht1RkTMY0h4

 

 

Paris 1968 photo JPB

Paris 1968 photo JPB

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11 avril 2018 3 11 /04 /avril /2018 07:13

 

 

        Après ce séjour près d’Angers, nous avons filé sur Vichy en prenant des routes suivant le cours de la Loire. Le trajet était long car il n’y avait pas encore d’autoroutes transversales. J’appris par la presse que le festival d’Avignon se déroulait dans le désordre et qu’il y avait de la contestation. Je décidais de partir quelques jours à Avignon et je me suis bien gardé de faire lire les journaux à mes parents. Étant un fidèle du festival, je ne voulais pas rater ce moment important  

        Arrivé à Vichy, je partais le lendemain pour Avignon et je pris une chambre dans mon petit hôtel de la Cigale, rue de la Bancasse, et j’allais prendre mes repas au Centre de séjour CEMEA Persil, où j’avais logé les années précédentes. 

Arrivé à Avignon, je ne tardais pas à connaître l’historique de la crise. Les troupes théâtrales françaises invitées ne pouvaient se produire, car les grèves avaient empêché la préparation des spectacles. Seul se produisaient les troupes étrangères c'est-à-dire le Living Théâtre1américain et le Ballet du XXème  siècle de Béjart qui était basé à Bruxelles. 

           D’autre part les acteurs du Living logeaient dans un lycée désaffecté Ils vivaient de façon décontractée et jetaient les détritus dans les rues, hébergeaient des clochards et des hippies crasseux et puants qui rodaient dans les rues d’Avignon. Les avignonnais s’étaient plaint auprès de la direction du festival, du manque de tenue de certains acteurs. Les avignonnais s’étaient servis du festival comme enjeu électoral. Le candidat UDR, Jean-Pierre Roux, qui venait de l’Isle sur Sorgue, avait pris la défense des avignonnais en colère contre un festival de crasseux, qui ne rapporterait pas un sous aux commerçants de la ville. Jean-Pierre Roux gagnera la bataille législative contre le député sortant, Henri Duffaut, maire d’Avignon, et ami de Vilar.

       En dehors du festival officiel, il commençait à avoir des troupes locales qui se produisaient à Avignon. Le théâtre du Chêne noir d’Avignon montait une pièce intitulée la paillasse aux seins nus. La pièce fut interdite par la préfecture, peut-être en raison de son titre promettant un spectacle érotique. En fait, ce n’était pas cela : la salle de spectacle n’était pas aux normes. Des manifestations de protestation, aidées par le Living, qui se disait solidaire du Chêne noir, ont troublés le festival.

        LeLiving2présenta son spectacle Paradise now, et après un certain temps sur la scène du Cloître des Carmes, quittait le lieu prévu et continuait le spectacle dans la rue. Les riverains protestèrent. Face aux débordements, la police est intervenue. Vilar fut obligé de rappeler à l’ordre Julian Beck, le directeur du Living. Il lui signifia que l’argument de la pièce qui lui avait été transmis ne mentionnait pas que le spectacle se déroule dans la rue... 

      J’ai vu l’année suivante une représentation de Paradise now, au campus universitaire de Saint Martin d’Hère.  J’avoue ne pas avoir été emballé par ce spectacle peu abouti qui essayait de provoquer un happening, selon des techniques inspirées par celles qu’Artaud a exprimées dans le Théâtre et son double. Les acteurs et les actrices jouent nus et ne mettent des cache-sexes et des soutiens-gorge que par obligation et l’on est en présence d’un amas de corps usés. Ces corps ont cependant une histoire : les cicatrices de césarienne ou d’autres interventions chirurgicales sont apparentes. Si le spectacle évoluait sans garde-fous, il se terminerait en partouze et en fumerie de haschisch. Il est difficile d’interdire d’interdire totalement et beaucoup de personnes qui avaient sympathisé avec le mouvement de mai disait : Nous voulons la liberté, mais pas la licence.

       Le premier jour où je me suis trouvé dans cette ville en ébullition, je me suis rendu au Verger d’Urbain V où avait lieu un débat permanent. Ce soir, il y avait un débat sur la politique culturelle de la ville avec Jack Ralite2, adjoint à la culture à la mairie d’Aubervilliers. Ralite avait été un des artisans de la décentralisation théâtrale et avait fait construire le théâtre de la Commune à Aubervilliers avec René Allio comme architecte. Au cours de ce débat des jeunes prenaient la parole et tentaient de la garder, pour éviter que d’autres prennent la parole à leur tour. C’était souvent des discours pseudo marxistes qui n’en finissaient plus. Ralite s’est fait traiter de con. Il leur répondit qu’on avait le droit de le traiter de con, mais que cela ne constituait pas un programme culturel. Des jeunes intervenaient, prenaient la parole et la gardaient, comme pour empêcher les autres de parler. Nous attendions tous une déclaration de Julian Beck, le directeur du Living. Il arriva dans la soirée, en compagnie de sa femme Judith Malina et de l’ensemble de sa troupe. Il annonça son retrait du festival en prétendant qu’il n’admettait pas de jouer uniquement pour les personnes pouvant payer leurs places et qu’il désirait que tout le monde ait le droit aux spectacles même à ceux qui ne peuvent pas payer leurs places. Cela était contradictoire, la troupe ne jouait pas gratuitement et même si les spectacles sont gratuits, le nombre des places est, de toutes les façons, limité.

      Je remarquais l’accoutrement des acteurs du Living. Julian Beck avait un crâne chauve et des cheveux longs, une coiffure à la Léo Ferré, avant la lettre. Ses comédiens, qui étaient vêtus de guenilles et dans des haillons gardaient une certaine élégance.

Au risque de paraître réactionnaire, j’étais, comme beaucoup de festivaliers, irrité de cette fracture au sein du monde de théâtre et navré de voir Vilar essayer de résoudre la crise, tout en restant fidèle à son idéal. 

      Je quittais le Verger, je passais dans la ruelle étroite coupant le rocher des Doms et où je suis toujours ému de me sentir si petit aux  pieds des tours du Palais. Place de l’Horloge, je rencontrais André et Barbara Acquart3, qui m’ont avoué leur admiration pour la troupe du Living et qui étaient navrés de cette incompréhension entre le Living et la direction du Festival.

      La place était noire de monde. Aguigui Mouna4faisait ses discours habituels sur la société Caca pipi capitaliste, toujours avec son humour d’instituteur. Il monta sur la statue de la République et cria : « Il faut foutre le bordel ! Il faut foutre la merde ! » Vaste programme, comme dirait l’autre. Aguigui Mouna, qui s’appelait en réalité Dupont avait l’habitude de se présenter aux élections dans le cinquième arrondissement de Paris contre Jean Tibéri. Dans les réunions, il lui criait : « Tibéri ! T’es bourré !»

      Le soir devant le Palais des papes, des manifestants se massaient devant l’entrée pour tenter d’empêcher la tenue des Ballets de Béjart et se mirent à crier le slogan: Vilar, Béjart, Salazar ! En dehors des assonances, assimiler Vilar et Béjart au vieux dictateur portugais, était ridicule. Béjart vint parler aux manifestants en disant que dans cette période grave, le courage était de jouer et qu’il jouera en dédiant sa représentation au Living.

       J’ai été voir ce soir-là le spectacle de Béjart intitulé : À la recherche de Don Juan, avec un texte de Saint Jean de la Croix dit par Maria Casarès qui était une habituée d’Avignon. Béjart jouait lui-même avec Maria Casarès. Il y avait aussi Ni fleurs, ni couronnes,sur une chorégraphie de Marius Petitpas, que j’avais vue à Grenoble et Bhakti, ballet sur une musique indienne.

     Le lendemain, j’ai tenté de comprendre ce qui se passait à Avignon. Je me suis rendu au Lycée Mistral. J’ai vu les acteurs du Living mêlés aux hippies crasseux profitant de la générosité du Living qui acceptait de les héberger. Des enfants culs nus jouaient dans la poussière et au milieu de ce foutoir, des acteurs acceptaient de répondre aux questions des journalistes

      Le surlendemain, je me rendis au lycée des Ortolans, où Vilar répondait aux questions des jeunes hébergés dans les Centre de séjour des CEMEAL’assistance qui aurait dû être limité aux jeunes résidents de ces centres était truffée d’auditeurs qui s’étaient infiltrés dans le but de polémiquer. Vilar semblait fatigué, il regrettait ne pas avoir pu s’entendre avec le Living, mais refusait d’être responsable d’incidents graves et d’être obligé de faire appel à la police. Il comprenait les interrogations d’un certain public, sur la culture à consommer comme des denrées alimentaires. Ne cachant pas son agacement devant l’agressivité de ses contradicteurs, il se demandait pourquoi, le festival d’Avignon, qui se voulait populaire était contesté alors que ceux d’Orange ou d’Aix qui étaient considérés comme des festivals bourgeois ne l’étaient pas. Nous sentions un homme épuisé qui semblait lutter contre des moulins à vent. Après ce festival mouvementé, Vilar sera victime d’un infarctus et reprendra ses activités en étant très affaibli.

      Au sortir de la conférence, je prenais la rue de la République et je fis une rencontre tout à fait inattendue. Je tombais sur Mireille et Paul, ma tante et son mari, qui avaient décidé de faire un tour à Avignon et d’essayer de voir un spectacle de danse. Je n’étais pas très satisfait de cette rencontre. Je leur ai donné, tout de même, rendez-vous après le spectacle, car je préférais dîner au Centre de séjour  pour pouvoir discuter avec mes camarades.  

       Le PSU était le parti qui avait le mieux compris le mouvement de Mai et qui véhiculait des idées proches de celles exprimées par les étudiants : autogestion, protection de l’environnement, etc. Un meeting à Villeneuve les Avignon était organisé par le PSU avec Michel Rocard et Marc Heurgon.  Je ne connaissais pas Marc Heurgon6, mais je savais qu’il était un professeur d’histoire, fils du Professeur Jacques Heurgon6, que mon père connaissait bien. Je regrette ne pas avoir pu aller à ce meeting, mais je préférais revoir le spectacle de Béjart avec Maria Casarès dans de meilleures conditions que le soir des manifestations.

        Malgré les déconvenues du festival contesté, je n’étais pas déçu d’avoir fait ce court séjour à Avignon. Je tenais à être présent à ce festival à un moment de crise.

 

                                                          Jean-Pierre Bénisti

 

 

 

1. Voir : Pierre Biner : Le Lliving théâtre, histoire sans légende.L’Âge d’homme. La Cité. Lausanne. 1968,

2. Jack Ralite (1928-2017), maire d’Aubervilliers, Député communiste, futur ministre de la santé. Il s’est illustré dans la politique culturelle.

3. André Acquart (1922-2016)  décorateur de théâtre, ayant commencé sa carrière à Alger. Ami de Louis Bénisti

4. Aguigui Mouna (1911-1999) célèbre militant anarchiste faisant la tournée à vélo de tous les festivals.

5. CEMEA : Centre d’entraînement aux méthodes d’éducation active.

6.Marc Heurgon (1927-2001) historien, membre du PSU fils de  Jacques Heurgon (1903-1985), professeur à Alger, ami de Camus et spécialiste des étrusques.

 

 

Je me souviens de Mai 68 : Grenoble-Alger : Aller-retour; 7. Avignon : Le festival contesté.
Avignon 1968 Photos JPB

Avignon 1968 Photos JPB

Je me souviens de Mai 68 : Grenoble-Alger : Aller-retour; 7. Avignon : Le festival contesté.
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10 avril 2018 2 10 /04 /avril /2018 07:25

 

 

       Après un mois passé à Alger, je repartais en France avec mes parents vers le 10 juillet. Nous avons atterri à Marseille et nous avons filé sur Grenoble où j’ai pris contact avec mes camarades pour savoir comment aller se dérouler les examens. Je retrouvais Boubaker, qui avait trouvé un emploi d’infirmier à l’hôpital et qui me dit que la grève était terminée et que les examens étaient fixés au 2 septembre. Je rencontrais des étudiants qui venaient de faire un voyage en Tchécoslovaquie, pays saisi par la fièvre de 68. Le printemps de Prague laissait présager un communisme à visage humain.

     Après Grenoble, nous allions à Paris. J’ai pu voir mes cousins et cousines qui étaient sur le point de partir en Espagne. J’ai été étonné de voir mes cousines, dont les parents n’étaient pas de gauche, soutenir à fond la contestation étudiante.

        La révolution de Mai était terminée. Les lendemains avaient un goût amer. Couve de Murville remplaçait Pompidou à Matignon. Cet homme froid avait été un excellent ministre des affaires étrangères, il deviendra un premier ministre un peu pâle. Edgar Faure à l’éducation nationale aura une politique ouverte. Il commença par réformer les études médicales en supprimant le concours de l’externat pour permettre à tous les apprentis médecins d’avoir une formation hospitalière. Sur les murs de la Sorbonne, il y avait encore des affiches au pochoir, déjà vieilles,  et même des affiches assimilant de Gaulle à Hitler qui traduisaient une  malhonnêteté intellectuelle. Les slogans exprimés sont souvent de mauvaise foi : CRS SS  par exemple. Ces affiches sont devenues rares et sont vendues très chers par les antiquaires. J’ai photographié quelques murs. Dans les librairies, comme la Joie de lirede Maspero, que je connaissais bien, il y avait des rayons entiers de livres consacrés au mouvement de mai.

       Nous pouvions être satisfaits de voir qu’après un mois de manifestations sans relâche au quartier latin, les forces de l’ordre avaient gardé leur sang-froid et qu’il y eut très peu de morts. (Un ou deux et de façon accidentelle) Nous l’avions échappé belle. Si Maurice Papon avait été à la tête de la préfecture de police, il y aurait eu une hécatombe. Heureusement que le préfet de police était Maurice Grimaud. Il a eu une attitude responsable.

    À Paris, nous avons retrouvé nos amis : Ploquin, Miquel  et aussi Chouvet, que l’on n’avait pas revu depuis son départ d’Alger. Chouvet était directeur de caisses d’assurance sociale et faisait de la sculpture pendant ses loisirs. Sa sculpture assez humoristique tournait autour de la sexualité ou de la religion. Il ne s’était jamais pris au sérieux et était toujours de bonne humeur. Il chantait souvent la chanson de Guy Béart qui avait permis aux écoliers de bien connaître le nom des anciens comptoirs de l’Inde. Chouvet l’a chanté souvent de façon suggestive  en transformant plus ou moins les paroles : 

Elle avait, elle avait le Pondichéry facile,

           Elle avait, elle avait le Pondichéry rodé.

Il chantait aussi en la transformant une chanson de Brassens la mauvaise herbe :

            Et je me demande pourquoi Bon Dieu,

           Ça vous dérange que jebaiseun peu 

Chouvet avait gardé son humour. Son attitude anarchiste penchait plutôt à droite et il ironisait sur les insurgés de 68.

   Miquel, l'ami architecte qui était responsable de la fondation Le Corbusier nous a fait visiter les réalisations de Corbu dans Paris et ses environs. C’est ainsi que nous avons visité la Villa Savoy, villa en forme de bateau, la villa du Docteur Laroche et le dernier atelier de Corbu. J’y ai fait quelques photographies. 

        Nous avons invité les Ploquin et les Miquel à déjeuner dans un restaurant près du Canal Saint-Martin. Nous étions tous émerveillés par le charme de ce canal. Mon père l’a peint et j’y ai fait des photographies. Ploquin nous fit part de sa consternation sur les projets d’aménagement de la ville de Paris qui prévoyaient la suppression du canal et le passage d’une autoroute sur son trajet. Heureusement que ce projet ne fut pas réalisé.

J’ai été voir les sculptures de Maillol1exposées de façon permanente aux Tuileries. Parmi les statues, on reconnaissait l’hommage à Cézanne, dont l’original était prévu pour Aix et les Aixois, qui n’étaient pas de brillants amateurs d’art, non content de n’avoir pas su reconnaître le talent de Cézanne refusèrent  la statue de Maillol. Les municipalités récentes n’ont pas réparé l’affront et se contentent d’organiser des expositions Cézanne pour favoriser l’industrie touristique. Si les Aixois se sont mal conduits avec l’œuvre de Cézanne, les Arlésiens avec Van Gogh et les Bretons avec Gauguin ont eu des attitudes semblables. 

          Parmi les statues de Maillol exposées dans les jardins des Tuileries, il y en a qui représente Dina Vierny. Dina Vierny a été un modèle intelligent. Elle a posé pour les plus grands artistes : Matisse, Dérain, Maillol…Elle constitua une collection et ouvrit une galerie rue Jacob, exposant souvent des peintres naïfs comme Beauchant. Je la voyais souvent assise dans sa petite galerie, fumant un à un des petits cigarillos. Elle n’était pas aussi belle qu’à l’époque où elle posait pour Maillol,mais était très aimable avec les visiteurs. Mon père discutait souvent avec elle. 

       Après Paris, nous sommes partis pour Saint Mars la Jaille. Cette bourgade de Loire-Atlantique se trouve aux confins de l’Anjou et de la Bretagne. Lucien s’était installé et semblait vivre une vie paisible loin de l’agitation de la Cote d’Azur. 

Le paysage de cette région est assez caractéristique. La nature est verdoyante et ne semble pas souffrir comme dans les pays méditerranéens et c’est pour cela que Du Bellay, enfant du pays parlait de douceur angevine. 

        Au cours de ce séjour nous avons eu l’occasion d’aller à Angers, voir le château avec les Tapisseries de l’Apocalypse. Camus avait dans son temps organisé un festival de théâtre dans ce château. Nous avons été aussi à Nantes, mais nous n’y sommes pas restés suffisamment pour goûter le charme de cette ville portuaire.

 

                                                          Jean-Pierre Bénisti

 

 

1.  Maillol. Louis Bénisti a rendu visite à ce sculpteur en 1939

Les murs de la Sorbonne  Hommage à Cézanne de Maillol Canal Saint MartinPhotos JPB
Les murs de la Sorbonne  Hommage à Cézanne de Maillol Canal Saint MartinPhotos JPB
Les murs de la Sorbonne  Hommage à Cézanne de Maillol Canal Saint MartinPhotos JPB
Les murs de la Sorbonne  Hommage à Cézanne de Maillol Canal Saint MartinPhotos JPB

Les murs de la Sorbonne Hommage à Cézanne de Maillol Canal Saint MartinPhotos JPB

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9 avril 2018 1 09 /04 /avril /2018 09:13

       Les grèves s’essoufflaient La campagne électorale s’ouvrait et le grand week-end de Pentecôte, avec les départs en promenade de beaucoup de français, a porté un coup fatal à la mobilisation ouvrière. Cependant les étudiants continuaient à se réunir.

Au campus universitaire, Mendès-France vint tenir une réunion où il nous expliqua qu’il y avait en France une situation révolutionnaire, mais qu’il n’y avait pas de révolution, car il manquait au mouvement une idéologie et un programme.

        Début juin, les trains et les avions ont repris et j’ai pu regagner Alger. Pour éviter d’avoir à prendre une chambre d’hôtel à Marseille, j’ai pris un train dans la nuit. Et à l’aube, je suis descendu à Avignon, à une heure matutinale, «  a la madrugada », comme disent les espagnols. Je voulais voir le soleil se lever sur la ville. Je me suis promené autour du Palais des papes et du quartier de la Balance, ou du moins ce qu’il en restait. Un chien errant m’a vu et m’a suivi jusqu’à la gare. Au lever du jour, j’ai pris de nouveau le train pour Marseille et ensuite l’autobus pour Marignane.

       À Alger, je retrouvais mes parents, qui, ayant eu des échos de la révolution de mai, par la presse, ne semblaient pas du tout comprendre le mouvement et n’en retenaient que l’aspect bordélique. Aussi bien mes amis français d’Algérie que mes amis algériens ne semblaient pas avoir saisi le sens des évènements de 1968 et avaient tendance à considérer cette période troublée comme une crise d’adolescence. Les seules personnes qui avaient compris les choses, furent les deux Jean, de Maisonseul et Sénac. Maisonseul avait été très intéressé par l’enthousiasme des étudiants contestataires, qui sentaient la nécessité d’une révolution, mais qui ne pouvaient la faire, faute d’idéologie.

Loin de la turbulence de la France, je retrouvais une vie tranquille avenue Brahim Gharafa , ex-Durando. . Le dimanche nous allions à la plage et nous retrouvions nos amis.

       Nous allions aussi au centre culturel français (CCF), qui, sous la direction de René Gachet1avait une activité intense. Pendant l’hiver, il y avait eu des expositions de Diaz Ojeda, Khadda, Zerarti, Baya, Maisonseul dont Sénac avait préfacé les catalogues... Le CCF édita un poème de Sénac  illustré par Mustapha Akmoun,  Lettrier de Soleil

        Nous avons rencontré Diaz Ojeda2qui venait de céder  l’appartement qu’il occupait  dans un sous-sol rue Élysée Reclus à Sénac, qui était obligé de quitter son cabanon de Pointe Pescade, n’arrivant pas à payer son loyer et subissant les avanies du propriétaire.  Diaz avait exposé au CCF le paysage qu’il avait réalisé en hommage à Federico Garcia Lorca et dont mes parents avaient fait l’acquisition. Pour remercier ma mère des soins qu’elle lui avait prodigués, il lui offrit un tableau intitulé Fiesta Campestre en Andalucia. Un après-midi, ma mère fut appelée au chevet de notre ami, elle l’hospitalisa et deux mois plus tard au mois d’août, la maladie eut raison de notre ami. Ses  obsèques furent grandioses avec les drapeaux jaunes rouges et violet de la République espagnole. Sénac lui rendit un vibrant hommage radiophonique.

      Ma mère avait toujours du travail, mais supportait de moins en moins les tracasseries administratives des autorités administratives algériennes. Les actes médicaux étaient rémunérés selon des tarifs imposés par les autorités. Aucun médecin algérien n’appliquait les tarifs réglementaires. Ma mère qui était scrupuleuse à l’excès les appliquait, mais l’administration fiscale ne lui faisait aucun cadeau et l’imposait lourdement, alors que beaucoup de médecins peu scrupuleux arrivaient à payer peu d’impôts en soudoyant l’inspecteur. La corruption de fonctionnaires était courante dans ce pays. Il fallait réguler l’afflux de clientèle car les clients étaient fort nombreux, désireux de profiter d’une médecine de qualité avec des prix défiant toute concurrence. Ma mère avait tout de même obtenu d’être dispensé de son service public au sein de la médecine scolaire. Toutefois, elle n’avait pas le droit de consulter le matin dans son cabinet, où elle était sensée être dans le secteur public. À un certain moment, la clinique Durando était dirigée par un administratif qui avait été placé pour saboter une clinique du secteur privé afin de pouvoir la nationaliser. Le directeur incompétent fut remplacé par un cadre du parti FLN, compétent et très correct. Et ma mère recommençait à travailler dans cette clinique. Cependant, lassé de ses tracasseries, elle songeait à  fermer le cabinet et essayer de refaire une clientèle en France, mon père prenant sa retraite de professeurs. La situation difficile en France lui fera différer ce projet.

          Il y eut un évènement très triste au sein de la communauté des Français d’Algérie : Monsieur Cherfils, négociant en vins, qui, n’arrivant pas à payer à l’état algérien la totalité de ses impôts, tenta de quitter clandestinement l’Algérie. Il se cacha dans la calle d’un bateau au milieu des colis. Il se fit prendre, sans doute dénoncé par un indicateur. Il se suicida, par la suite. (Du moins, officiellement !) Cherfils était le frère d’un de mes camarades,  qui avait commencé ses études à Alger et qui les continuait à Marseille. Je l’ai revu en 1975, le jour de mon examen de pédiatrie à Paris.  

   D’autres affaires peu importantes détérioraient les relations des Français avec l’Algérie. Les Algériens étaient atteints d’espionnite et tout étranger pouvait être un espion en puissance. Je dois avouer que pour moi, j’ai la plus grande indulgence pour les soi-disant espions et je trouve normal qu’il y ait des espions dans la mesure où tous les pays ont leurs services d’espionnage. Il est bien évident que les espions doivent être mis hors d’état de nuire, voire être expulsé vers le pays pour qui ils travaillent, mais jamais être incarcérés. Un couple de professeurs français du lycée Victor Hugo filmait leurs enfants prés des chevaux du sculpteur Amado, qui se trouvaient devant l’ancienne caserne Pélissier. Des flics contaminés par le virus de l’espionnite interpellèrent nos amis en leurs reprochant de filmer un bâtiment militaire. Les accusés s’excusèrent en disant qu’ils ignoraient le caractère militaire du mur qui avait été filmé. La discussion s’envenima, le cameraman ouvrit sa caméra et jeta la pellicule. Les flics dirent au cameraman que le fait de jeter la pellicule était une preuve de leur culpabilité et l’emmenèrent au commissariat pour explication. Le commissaire, voyant l’excès de zèle de ses subordonnés, libéra sur le champ le couple soupçonné d’espionnage.

       Une autre fois, en revenant de la plage, des amis furent arrêtés sans motifs par des flics qui les emmenèrent au commissariat et ils subirent un interrogatoire serré et ne furent libérés après de longues heures que par le commissaire qui comprit que ses subordonnés  étaient trop zélés et qu’il n’y avait pas lieu d’ouvrir une enquête.

    Au cours d’une autre ballade, la voiture d’un de nos amis tomba en panne. Mes parents prirent dans leurs voitures les passagers de la voiture en panne. Au cours d’un contrôle, mon père fut verbalisé pour voiture surchargée. Les flics se sont excusés en prétendant que l’état algérien avait besoin d’argent. Les voitures surchargées étaient courantes en Algérie et elles étaient rarement verbalisées.

     Je retrouvais mes camarades algériens, ils venaient de finir de passer leurs examens. Ils s’en réjouissaient, alors que les étudiants en France n’avaient pu les passer. Ils n’avaient pas compris le mouvement étudiant en France. Cela est compréhensible : les Algériens sortaient d’une révolution  et n’avaient pas l’intention d’en faire une autre. Ils étaient loin de la société de consommation, car en Algérie, ce n’était pas la surabondance de biens mais plutôt la pénurie.

       La plupart  des amis de mes parents ne comprenaient pas non plus la contestation estudiantine. Mon père comprenait les étudiants, mais n’admettait pas que l’on instaure une société bordélique au nom de la liberté. D’autres personnes, plutôt réactionnaires, voyaient dans ce mouvement une manipulation des communistes. L’attitude très réservée du PC et de la CGT nous montre que s’il y avait eu une manipulation des communistes, elle aurait été à l’inverse du mouvement. À ceux qui s’offusquaient d’apprendre que les étudiants faisaient l’amour sur les bancs de la Sorbonne, mon père leurs répondait : « Ce n’est pas ce qui me gène le plus. Où voulez-vous qu’ils aillent ?  Ils n’ont pas les moyens d’aller à l’hôtel. Et à leur âge, il faut bien qu’ils se satisfassent. »

 

        Lucien, frère de mon père, qui venait de s’installer comme pharmacien à Saint Mars la Jaille près de Nantes, nous écrivit une lettre racontant ses péripéties pendant les grèves. Il s’est trouvé séparé de sa femme qui a été obligée de traverser une France en grève avec une voiture qui avait juste le nécessaire en carburant. Il était naturellement très en colère contre les étudiants et les gens de gauche qui, d’après lui, soutenaient les étudiants par snobisme.

     Fin juin, je suivais les élections législatives en France. Le raz-de-marée de l’UDR montrait que les Français avaient voté de façon timorée. Ils avaient eu peur d’une révolution et rejetaient la gauche, qui n’avait pas provoqué le mouvement mais qui restait compréhensive. Ils défiaient des hommes politiques comme Mitterrand, qui avaient parlé trop vite.

        Mendès France fut battu à Grenoble de quelques voix par Jean Marcel Jeanneney, qui s’était presque excusé de son succès face à cet homme prestigieux.

 

                                               Jean-Pierre Bénisti

 

 

NOTES

 

  1. René Gachet, directeur du Centre Culturel Français d’Alger;     Voir Blog 

 http://www.aurelia-myrtho.com/2016/07/quand-rene-gachet-dirigeait-le-centre-culturel-francais-d-alger.html

  1. Angel Diaz Ojeda (1888-1968) voir : Jean Sénac Visages d’Algérie. Regards sur l’art. Documents réunis par Hamid Nacer-Khodja. Préface de Guy Dugas .Éditions Paris-Méditerranée, Paris. 2002
Le Monde 1er Juin1968

Le Monde 1er Juin1968

Diaz Ojeda : Fiesta Campestre en Andalucia

Diaz Ojeda : Fiesta Campestre en Andalucia

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