Blason des arbres
À Yvonne Zervos
Bouche folle ou sage
Il te faut parler
Bouche ouverte ou close
Il te faut rêver
Plus haut que ton souffle
Paroles paroles pendues
Aux plumes vérités des nids
Entre les branches dessinées
Du mur sans fin de la forêt
Les étoiles des œufs s’amassent
C’est le bouleau la coquille
Et les roues fusées en ailes
De douces devenant subtiles
Les bouches tremblent de savoir
Légère brise sur les îles
Et mille plages c’est l’aune
Ou le tremble sans rupture
La caresse s’éternise
Dans ce globe de verdure
Piétiné par les oiseaux
Il a plus sur les acacias
Poitrines que la fraîcheur mêle
Seins libérés des jours des heures
Tempes marquant un pas fidèle
Grand’route éprouvant son pouvoir
Une autre nuit que notre nuit
La chaleur aveuglante et crue
Sûre de retrouver sa force
Entre les doigts entre les bras
Entre les membres du platane
C’est le cyprès sur les tombeaux
Et pour tout dire il faut mentir
Les mots les morts découronnés
Plongent leur ombre dans son ombre
Sans sortir d’un sommeil de pierre
Vite comblez-moi cette ornière
Car une autre ornière vous guette
Le plus bel astre perd racine
La nuit vous moulera la tête
L’if en flammes n’allume rien
Le sapin aux lèvres dures
Le pin qui sait bien se taire
Le noyer à son ouvrage
Le tilleul à son parfum
Comme un sourd à son silence
L’arbre en cercle des voyages
L’arbre des sentiers communs
L’arbre d’émail roux et blanc
L’arbre aux lianes bouillonnantes
L’arbre des maisons en ruines
Le hêtre aux paniers troués
Le frêne aux épaules calmes
L’orme redoutable aux hommes
Le prisme du peuplier
Et le saule au bout d’un fil
L’orage honnête s’épuise
À contredire l’espace
Qu’ils se chargent de combler
L’aune envoûte la rivière
Le charme adoucit le chêne
Le chêne adoucit l’amour
Ses os orientent ses veines
Le miel dort dans sa fourrure
Et la houle de la mousse
Recouvre ses vieilles graines
L’océan tout est préservé
C’est la cloche le chêne sonne
Le vent fait battre son cœur
Chaque vague chaque feuille
Change voit clair et rayonne
Les ailes ont quitté le corps
De la forêt l’arbre s’envole
Il règne de la terre au ciel
Il s’éclaircit il prend des forces
Il chante et peuple le désert
Un plus tendre bois
Un miroir plus vert
Une seule voix
Reflètent l’azur
Sous toutes ses faces.
Paul Éluard, Le Livre ouvert II,
Éditions Gallimard, Paris 1942
Poème publié en 1941 dans la revue Fontaine n°15, septembre 1941
« Quand j’habitais Alger, je patientais toujours dans l’hiver parce que je savais qu’en une nuit, une seule nuit froide et pure de février, les amandiers de la vallée des Consuls se couvriraient de fleurs blanches. Je m’émerveillais de voir ensuite cette neige fragile résister à toutes les pluies et au vent de la mer »
Albert Camus Les Amandiers in l’Été
Pour décrire les fleurs d’amandier
Pour décrire les fleurs d’amandier, l’encyclopédie
des fleurs et le dictionnaire
ne me sont d’aucune aide…
Les mots m’emporteront
vers les ficelles de la rhétorique
et la rhétorique blesse le sens
puis flatte sa blessure,
comme le mâle dictant à la femelle ses sentiments.
Comment les fleurs d’amandier
resplendiraient-elles
dans ma langue, moi l’écho ?
Transparentes comme un rire aquatique,
elles perlent de la pudeur de la rosée
sur les branches…
Légères, telle une phrase blanche mélodieuse…
Fragiles, telle une pensée fugace
ouverte sur nos doigts
et que nous consignons pour rien…
Denses, tel un vers
que les lettres ne peuvent transcrire.
Pour décrire les fleurs d’amandier,
j’ai besoin de visites
à l’inconscient qui me guident aux noms
d’un sentiment suspendu aux arbres.
Comment s’appellent-elles ?
Quel est le nom de cette chose
dans la poétique du rien ?
Pour ressentir la légèreté des mots,
j’ai besoin de traverser la pesanteur et les mots
lorsqu’ils deviennent ombre murmurante,
que je deviens eux et que, transparents blancs,
ils deviennent moi.
Ni patrie ni exil que les mots,
mais la passion du blanc
pour la description des fleurs d’amandier.
Ni neige ni coton. Qui sont-elles donc
dans leur dédain des choses et des noms ?
Si quelqu’un parvenait
à une brève description des fleurs d’amandier,
la brume se rétracterait des collines
et un peuple dirait à l’unisson :
Les voici,
les paroles de notre hymne national !
Mahmoud Darvitch (traduction Elias Sambar ) in Comme des fleurs d’amandier ou plus loin, Actes Sud, Arles 2007.
L’amandier
J’avais l’plus bel amandier
Du quartier,
Et, pour la bouche gourmande
Des filles du monde entier,
J’ faisais pousser des amandes :
Le beau, le joli métier !
Un écureuil en jupon,
Dans un bond,
Vint me dir’ : “Je suis gourmande
Et mes lèvres sentent bon,
Et, si tu m’donn’s une amande,
J’te donne un baiser fripon !
- Grimpe aussi haut que tu veux,
Que tu peux,
Et tu croqu’s, et tu picores,
Puis tu grignot’s, et puis tu
Redescends plus vite encore
Me donner le baiser dû !”
Quand la belle eut tout rongé,
Tout mangé...
« Je te paierai, me dit-elle,
A pleine bouche quand les
Nigauds seront pourvus d’ailes
Et que tu sauras voler !
“Mont’ m’embrasser si tu veux,
Si tu peux...
Mais dis-toi que, si tu tombes,
J’n’aurai pas la larme à l’oeil,
Dis-toi que, si tu succombes,
Je n’porterai pas le deuil !”
Les avait, bien entendu,
Toutes mordues,
Tout’s grignoté’s, mes amandes,
Ma récolte était perdue,
Mais sa joli’ bouch’ gourmande
En baisers m’a tout rendu !
Et la fête dura tant
Qu’le beau temps...
Mais vint l’automne, et la foudre,
Et la pluie, et les autans
Ont changé mon arbre en poudre...
Et mon amour en mêm’ temps !
Georges Brassens
Amandiers
Te faire surgir
de la provenance du bond
de l'effraction perdue du jaillir
La th te tiens
Dans les décombres du porche
fraîcheur de sève, poignée d'écume-
neige odorante dans la nuit du regard.
Lorand Gaspar : Patmos et autres poèmes. Gallimard, 2001
Il était communément admis depuis Marx, que la lutte des classes serait le moteur de l’histoire. Je ne conteste pas cette interprétation mais j’en refuse de l’ériger comme un dogme et je pense aussi que si l’histoire a un sens, elle a de multiples moteurs. Il serait permis de penser que les maladies auraient une grande influence dans le cours de l’histoire. Elles en seraient peut-être un des moteurs au même titre que la lutte des classes
Tout d’abord, tout le monde se souvient des responsables politiques malades n’ayant pas eu la capacité d’agir en toute lucidité. Les crises de coliques néphrétiques de Napoléon III lors de l’entrevue d’Erfurt, l’ont empêché d’avoir suffisamment d’énergie pour s’opposer à Bismarck et la guerre de 70 n’a pu être évitée.
En 1953 sous la quatrième république, René Coty a été élu président de la République, parce que, contrairement à ses deux concurrents, Lagnel et Naegelen, il n’avait pas pris position sur la CED (Communauté européenne de Défense) , car lors du vote il était absent car il était en clinique pour subir l’ablation de la prostate.
On se souvient des maladies de Pompidou et de Mitterrand.
Hitler et Staline étaient atteint d’une paranoïa, tout à fait incompatible avec l’exercice du pouvoir. On en a d’ailleurs vu les dégâts. S’i existait une consultation de médecine du travail pour les hommes politiques, Trump serait certainement déclaré inapte à la fonction qu’il occupe.
Plus importante que la pathologie des dirigeants, les épidémies lorsqu’elles atteignent un grand nombre de personnes, ont un rôle important dans le cours de l’histoire. Je me souviens d’avoir acquis au début de mes études de médecine, une série de dépliants publicitaires consacrés à l’influence des épidémies sur les civilisations. Les laboratoires Houdé offraient périodiquement aux médecins un dépliant illustré comprenant un rappel historique et une fiche technique sur un médicament produit par le laboratoire. Le médecin conservant le document pouvait facilement retenir aussi le nom du médicament. Il arrive quelquefois que les publicités soient intelligentes.
J’ai conservé malgré de multiples déménagements la plupart des dépliants, qui sont difficilement trouvables chez les bouquinistes. Peut-être sont ils conservés à la Bibliothèque nationale. Je vais essayer de résumer l’essentiel de ce que cette collection de dépliants nous apprenne.
En 431 av J-C, une épidémie de peste décima les Athéniens qui de ce fait perdit la guerre du Péloponnèse.(Voir Thucydide : Guerre du Péloponnèse.)La peste tua Périclès, le père de la démocratie.
Une épidémie due à un microbe non identifié bloqua les Carthaginois à Syracuse vers 396 et permit à Rome de triompher sur Carthage.
Au III ème siècle, l’Empire romain fut lui-même décimé par les conséquences d’une épidémie d’une maladie toujours non identifiée.
Les épidémies ont arrêté les Croisés et ne purent s’emparer du tombeau du Christ. Louis IX alias Saint Louis put s’emparer de Carthage mais il mourut à Tunis.
Au XIV ème siècle une épidémie de peste interrompit la guerre de cent ans
Après que Christophe Colomb découvrit l’Amérique, la puissante Espagne occupa les terres nouvellement connues. Ils transmirent aux populations autochtones diverses maladies et ces amérindiens, exploités par les espagnols, furent décimés notamment de fièvre jaune. Les espagnols résistaient à cette maladie et pour éviter la disparition totale des indiens d’Amériques, Bartolomé de Las Casas organisa le remplacement des esclaves indiens par l’achat d’esclaves africains, qui eux , étaient immunises par la fièvre jaune. C’est ce que l’on appelé la traite des noirs.
Les navigateurs revenus d’Amériques apportèrent en Europe les microbes d’une maladie inconnue des européens : la syphilis. On ferma les bains publics pour éviter la contagion et si on se lavait moins on se parfumait et les hommes ayant perdu leurs cheveux adoptèrent les perruques. Cette maladie sévit jusqu’au XX ème siècle et fut à l’origine du contrôle de la prostitution et plus récemment des certificats prénuptiaux.
Le typhus empêcha Charles Quint de s’emparer de l’ensemble de l’Europe.
La suette, maladie mystérieuse aujourd’hui disparue caractérisée par des sueurs abondantes et toujours mortelle, fit échouer l’unité protestante. Luther et Zwingli, sous la menace de l’épidémie interrompirent leurs entretiens au château de Marbourg en 1529.
Durant la guerre de Trente ans, les épidémies de peste et de typhus, ont favorisé la création de l’Allemagne moderne.
À Valmy, en 1792, les Français eurent raison de la puissante armée prussienne en raison d’une épidémie de dysenterie qui atteint les soldats prussiens. Sans la dysenterie, la révolution se serait peut-être arrêté en 1792.
C’est la peste qui a contraint Bonaparte a quitté l’Égypte en 1789 pour regagner Paris et réaliser le coup d’État du 18 brumaire.
Enfin, c’est les épidémies de choléra, qui ont incité Napoléon III entreprendre des travaux d’assainissement à Paris. On fit alors appel au Baron Haussmann.
Tous ces faits historiques dominés par les épidémies sont nombreux ;
La grippe dite espagnole fit plus de morts que les batailles de la première guerre mondiale.
Durant la seconde guerre mondiale, les épidémies facilitèrent dans les camps de concentration, le travail des bourreaux.
Actuellement, la pandémie de l’infection au corona virus (covid 19) va changer le cours de notre histoire en raison des répercussions sociales et économiques des mesures préventives. Nous en saurons un peu plus dans quelque temps.
Jean-Pierre Bénisti.