Le jeune arbre
Ta rose distraite et trahie
Par un entourage d’insectes
Montre depuis sa robe ouverte
Un cœur par trop empiété
Pour cette pomme l’on te rente
Et que t’importe quelqu’enfant
Fais de toi-même agitateur
Déchoir le fruit comme la fleur
Quoiqu’encore malentendu
Et peut-être un peu bref contre eux
Parle ! Dressé face à tes pères
Poète vêtu comme un arbre
Parle, parle contre le vent
Auteur d’un fort raisonnement.
(Hiver 1925-1926)
Francis Ponge : Proèmes. Gallimard. 1948
Francis Ponge : Proèmes
Je plante en ta faveur cet arbre de Cybèle,
Ce pin, où tes honneurs se liront tous les jours :
J'ai gravé sur le tronc nos noms et nos amours,
Qui croîtront à l'envi de l'écorce nouvelle.
Faunes qui habitez ma terre paternelle,
Qui menez sur le Loir vos danses et vos tours,
Favorisez la plante et lui donnez secours,
Que l'Été ne la brûle, et l'Hiver ne la gèle.
Pasteur, qui conduiras en ce lieu ton troupeau,
Flageolant une Eglogue en ton tuyau d'aveine,
Attache tous les ans à cet arbre un tableau,
Qui témoigne aux passants mes amours et ma peine ;
Puis l'arrosant de lait et du sang d'un agneau,
Dis : " Ce pin est sacré, c'est la plante d'Hélène. "
Pierre de Ronsard : Sonnets pour Hélène
Je suppose que le monde soit une forêt. Bon !
Il y a des baobabs, du chêne vif, des sapins noirs, du noyer blanc ;
Je veux qu'ils poussent tous,
bien fermes et drus, différents de bois, de port, de couleur,
mais pareillement pleins de sève
et sans que l'un empiète sur l'autre, différents à leur base.
mais oh !
que leur tête se rejoigne oui très haut dans l'éther égal à ne former pour tout qu'un seul toit
je dis l'unique toit tutélaire !
Aimé Césaire :Et les chiens se taisaient, © Présence africaine, 1946
Il y avait des imbéciles qui venaient vous parler de volonté de puissance et de lutte pour la vie. Il n’avaient donc jamais regarder une bête ni un arbre ? Ce platane, avec ses plaques de pelade, ce chêne à moitié pourri, on aurait voulu me les faire prendre pour des jeunes forces âpres qui jaillissent vers le ciel. Et cette racine ? Il aurait sans doute fallu que je me la représente, comme une griffe vorace, déchirant la terre, lui arrachant sa nourriture.
Impossible de voir les choses de cette façon-là. Des mollesses, des faiblesses, oui. Les arbres flottaient. Un jaillissement vers le ciel ? Un affalement plutôt ; à chaque instant, je m’attendais à voir les troncs se rider comme des verges lasses, se recroqueviller et choir sur le sol en un tas noir et mou avec des plis. Ils n’avaient pas envied’exister. Seulement ils ne pouvaient pas s’en empêcher ; voilà.
Jean-Paul Sartre : La nausée. Gallimard –Folio p.187-188
Qui a vu quelquefois un grand chêne asséché,
Qui pour son ornement quelque trophée porte,
Lever encore au ciel sa vieille tête morte,
Dont le pied fermement n’est en terre fiché,
Mais qui dessus le champ plus qu’à demi penché
Montre ses bras tout nus et sa racine forte,
Et sans feuille ombrageux, de son poids se supporte
Sur un tronc nouailleux en cent lieux ébranché :
Et bien qu’au premier vent il doive sa ruine,
Et maint jeune à l’entour ait ferme la racine,
Du dévot populaire être seul révéré :
Qui tel chêne a pu voir, qu’il imagine encore
Comme entre les cités, qui plus florissent ore,
Ce vieil honneur poudreux est le plus honoré.
Joachim du Bellay
Antiquités XXVIII
1558
qualis frugifero quercus, sublimis in agro
exuvias veteris populi sacrataque gestans
dona ducum, nec jam validis radicibus hærens
pondere fixa suo est ; nudosque per aæra ramos
effundens trunco, non frondibus,, efficit umbram,
et, quamvis primo nutet casura sub Euro,
tot circum silvæ firmo se robore tollant,
sola tamen colitur.
Tel un grand chêne dans une campagne fertile portant les dépouilles d’un peuple antique et les dons consacrés par les généraux. Il n’est plus soutenu par de solides racines, il tient uniquement par son poids tout en répandant ses branches nues dans le ciel. Son ombre ne provient que de son tronc et non de son feuillage. Mais quoiqu’il vacille, qu’il soit prêt à tomber au premier souffle de l’Eurus et que tant d’autres arbres vigoureux l’entourent, il est le seul qui soit honoré
LUCAIN ? Pharsale I, 135-142
L’arbre, l’ami de l’homme…
L’arbre, l’ami de l’homme, symbole de toute créature organique, l’arbre, image de construction totale. Spectacle ravissant qui, lien que dans un ordre impeccable, apparaît à nos yeux sous les plus fantastiques arabesques ; jeu mathématiquement mesuré des branches démultipliées à chaque printemps d’une nouvelle main ouverte. Feuilles aux nervures si bien régulières. Couverture, sur nous, entre terre et ciel. Écran généreux à proximité de nos yeux. Mesure agréable interposée entre nos cœurs et nos yeux et les géométries éventuelles de nos constructions dures. Outils précieux dans les mains de l’urbaniste. Expression la plus synthétique des forces de la nature. Présence de la nature, dans la ville, autour de nos labeurs et de nos divertissements.
Arbre,, compagnon millénaire de l’homme.
Le Corbusier : Quand les cathédrales étaient blanches…
De l'arbre où ce n(est pas Merlin qui est prisonnier
Le temps torride étreint l'arbre étrangement triste
Tord ses bras végétaux au-dessus de l'étang
Et des chaînes d'oiseaux chargent ce chêne-Christ
L'enchanteur n'en est plus l'invisible habitant
Et si ce n'est Merlin qui s'est pris à son piège
Qui demeure captif dans le bois palpitant
Sous un ciel sans merci quand le lierre l'assiège
Quel espoir coule encore aux blessures du tronc
Qui gémit sous l'écorce une plainte de liège
Il erre par ici d'atroces bûcherons
Il est sous le couvert des haches toujours prêtes
Ah sera-t-il trop tard quand nous reconnaîtrons
Le martyre secret dans la mort indiscrète
Et notre propre chair et notre propre sang
Pour jeter au bourreau le grand cri qui l'arrête
Lire lorsque la nuit sur la forêt descend
L'INRI d'une défaite à son front de ramures
Et l'arbre porte alors l'écriteau du croissant
Écoutez L'ombre dit des noms comme des mûres
Noirs mais entre nos dents de vrais soleils fondants
Chacun d'eux qu'on taisait l'avenir le murmure
Chacun d'eux à l'appel de France répondant
Chacun d'eux a l'accent qu'il faut au sacrifice
La gloire n'eut jamais autant de prétendants
L'étoile luit plus haut que les feux d'artifice
Ô Mère c'est en vain lorsque le cœur te fend
Qu'on voudrait te cacher le compte de tes fils
Chacun d'eux dans la terre ou dans l'arbre étouffant
C'est en vain qu'on voudrait te cacher sa torture
Tu sais qu'on l'a tué car il est ton enfant
Et qu'il ne revient plus se pendre à ta ceinture
C'est en vain qu'on voudrait te dire qu'ils ne sont
Que les petits d'une autre ou nés contre nature
Des bâtards eux que tu berças de tes chansons
Eux qui trouvaient pour toi le ciel pas assez ample
Dont le dernier regard brilla de ta leçon
Pareils à ceux jadis à qui l'on fit des temples
Pareils à ceux naguère aux monuments inscrits
Eux qui nourris de toi sont morts à ton exemple
Et n'ont rien regretté le jour qu'ils ont péri
Puisqu'ils dirent ton nom sous la grêle des balles
Préférant de mourir que vive la patrie
Ah combien de Merlins sous ces pierres tombales
Et tous les arbres sont des arbres enchantés
Tout à l'heure vous le verrez bien quand le bal
S'ouvrira quand brisant le cœur du bel été
L'étoile neigera le long des paraboles
Orage des héros orage souhaité
Grande nuit en plein jour cymbales des symboles
Se déchire la fleur pour que naisse le fruit
Le ciel éclatera d'un bruit de carambole
Et l'homme sortira de l'écorce à ce bruit
Aragon
Brocéliande
Les Poètes des Cahiers du Rhône
Éditions de la Baconnière, 1942
Repris dans En étrange pays dans mon pays lui-même. Éditions Seghers
Atys changé en pin.
Jusqu'à la fin des temps, il faudra que je porte
Atys debout, rongé de sang et de fourmis,
Tes racines seront la chevelure morte
Les serpents sur mon cœur à jamais endormis.
Reptiles embaumés que rien ne putréfie
Au cadavre d'atos, ils emmènent mon sort :
Je tends cet arbre mort aux dieux que je défie.
Je me ramasse toute autour d'un arbre mort.
Mes vignes, mes forêts et mes sillons arides,
Jaillissent en rayon de ce corps calcinés
Les astres dans leur nuit cherchant ce gibet vide
Comme un troupeau de dieux ont vers lui cheminé.
Et, seule, je ne sais, noire colonne, ô paire.
Doux arbre humain qui fuis de feuille frémissant,
Sur ton cadavre nu, quel aigle va s'abattre
S'agriffer à l'écorce et te couvrir de sang...
François Mauriac Le sang d'Atys. 1940
Poème dit par Madeleine Renaud
https://youtu.be/oNA5E2k6ar4