Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
15 janvier 2018 1 15 /01 /janvier /2018 19:27

 

 

Dans la  Promesse de l'aube Romain Gary cite Camus :   

 

 

 

 Mon père avait quitté ma mère peu après ma naissance.

Parmi les lettres qui m'étaient parvenues à cette époque, il y en avait une qui me donnait les détails sur la mort de celui que j'avais si peu connu.

Dans sa lettre, sans doute pour me faire plaisir, il m'écrivait que mon père n'était pas arrivé jusqu'à la chambre à gaz qu'il était tombé raide mort de peur, avant d'entrer.

je suis resté longuement la lettre à la main; je suis ensuite sorti dans l'escalier de la N.R.F., je me suis appuyé à la rampe et je suis resté là, je ne sais combien de temps, avec mes vêtements coupés à Londres, mon titre de Chargé d'Affaires de France, ma croix de la Libération, ma rosette de la Légion d'honneur, et mon prix Goncourt.

j'ai eu de la chance : Albert Camus est passé a ce moment-là et, voyant bien que j'étais indisposé, il m'a emmené dans son bureau.

L' homme qui est mort ainsi était pour moi un étranger, mais ce jour-là, il devint mon père, à tout jamais."

Romain Gary : La promesse de l'aube, Chapitre XIV Gallimard 1960. Éditions Folio page 120

 

Partager cet article
Repost0
4 janvier 2018 4 04 /01 /janvier /2018 11:45

 

Les Iles 

Une frange de récifs protégeait ses abords mieux que murailles et glacis. Pour les prudences de la mer, c’était « les Iles ».

Certains de ces hauts-fonds se perdaient à la vue sous des crachats d’écumes mêlés à leurs toisons d’algues. L’un d’eux cependant pointait aux jours des calmes plats et des mers basses, une pierre noire où l’œil d’une source filait une eau douce venue de montagnes lointaines. Mais sous les rouleaux que poussaient les vents, rien n’apparaissait de cette tête où souvent les navires se brisèrent.

Les pêcheurs qui ramenaient leurs prises dans la nuit des petits matins savaient l’éviter et l’appelèrent « Ras El Aïn ». Aux temps où les barbaresques s’enrichissaient des butins de la course, ils trouvaient derrière ces récifs, des sables où dresser leurs felouques. Alors à l’abri des poursuites, ils pouvaient démâter et retourner les coques pour curer les souillardes et recalfater les bitumes. Puis, ils remouillaient et menaient leurs coursiers vers des criques au pied des falaises d’où les guetteurs criaient la vue des galions souvent chargés de draps anglais et de faïences hollandaises.

Pour vaincre la « course », les Espagnols prirent pied sur la plus grande pente de ces îles et n’en furent chassés qu’au moment où un remblai de gravats en permit le siège et l’assaut. Leur fuite abandonnait des casernes et un fortin dominé par une tour nommée « El Peñon ». Les siècles écoulés ont fait de cette vigie une gloire de pierre.

De Mustapha, nous regardions ce doigt levé qui désignait une darse sertie comme un joyau entre les arcades de l’Amirauté et les murs espagnols.

La tour devint sémaphore et son lanterneau fut muni d’un phare. Dès la nuit tombée, des faisceaux alternés étendaient sur la baie, des bras de lumière qui bénissaient le port aux cadences des codes marins. Quant au sémaphore surmonté du drapeau français, il disait l’état de la mer et signalait l’entrée des courriers dans le golfe. Dès qu’apparaissaient à son grand mât, les couleurs d’une compagnie de navigation, une foule s’agglutinait aux rambardes des boulevards, chaudes de soleil.

Comme un majestueux seigneur, escorté de bateaux-pilotes et de remorqueurs, le navire franchissait la passe, remplissait le port, puis doucement s’alignait à un accastillage juste fait pour sa grandeur.

Inconscients d’un héritage de grandeur, enfants insouciants de son prestige, nous savions cependant que ce balcon qui dominait la baie était un morceau de France offert en cadeau à ce côté de mer réchauffé au soleil d’Afrique. De là, sous un ciel entier, nous regardions le monde au delà des limites de nos regards.

Une voile, lentement, glissait sur l’eau bleue du crépuscule. Quelques fumées montaient encore des navires assurés sur leurs amarres. Des points de lumière piquaient le Cap Matifou. Les feux  de la passe s’allumaient. Dans le soir qui repoussait la nuit, nous attendions les derniers rouges de l’horizon.

Sur l’eau à peine bougée que brunissait le couchant, les bateaux s’endormaient sur leurs rêves d’évasion vers les îles du bout du monde, où vers des lointains plus proches que nos instituteurs nous racontaient. Ils évoquaient un vieux pays de forêts et de marécages où, vêtus de peaux de bêtes, vivaient aux temps anciens nos ancêtres les Gaulois. Ainsi nos maîtres troquaient-ils un immense amour contre une assiduité vers une vérité que nous gardions au cœur.

Ils s’appelaient : Lordet, Bouchon, Siguewald, Paoli, Timsit, Louis Germain, mais l’accent de leur langage devenait celui de nos rivages. Ils nous parlaient de ses lointains distants d’une seule nuit de mer cadencée, aux rythmes des pistons des machines, et de l’arrivée aux matins qui sentaient le goudron, les épices et la bouillabaisse.

Souvent, ils mettaient entre nos mains des livres de carton usé dans lesquels nous apprenions à aimer des provinces, des montagnes et des rivières aux noms magiques et glorieux. Des images nous montraient des ponts franchissant des fleuves et des routes bordées de grands arbres qui toutes menaient vers une ville dont l’éclat des lumières éclairait le monde.

Nous traversions des forêts dont il fallait nommer les arbres, des champs dont nous apprenions à aimer les herbes et les fleurs…Un enfant courait après des chevaux pour aider aux labours. Des branches effeuillées griffaient un ciel d’hiver…Au-dessus d’un toit d’ardoise, une cheminée fumait le feu d’un âtre où cuisait la bonne soupe des paysans.

Une route bordée de platanes centenaires menait vers Paris. Sur une ligne droite, une Facel Véga lancée à grande vitesse heurtait de plein fouet le fût d’un de ses arbres.

 

L’horloge d’un clocher voisin indiquait  quatre heures.

 

                                                                                 Louis BÉNISTI

 

Extrait de  Louis Bénisti  "On choisit pas sa mère"Souvenirs sur Albert Camus, L'Harmattan. Paris, 2016

 

 

 

 

 

Article de Morvan Lebesque dans le Canard enchaîné de janvier 1960

Article de Morvan Lebesque dans le Canard enchaîné de janvier 1960

Partager cet article
Repost0
28 novembre 2017 2 28 /11 /novembre /2017 12:36

 

 

            L’institut Lumière de Lyon programme une rétrospective des films d’Alain Cavalier. Parmi les films projetés il y a « Thérèse »,  film tourné en 1986 dans lequel l’écrivain Jean Pélégri (1920-2003) joue dans le rôle du père de Thérèse.

            À ce sujet Jean Pélégri et son ami Louis Bénisti ont échangé une correspondance intéressante. (1)

             Pélégri le 20. Janvier 1986 signale à Bénisti  qu’après avoir joué un vieillard aphasique dans le Grand Carnaval, il joue « dans un film d’Alain Cavalier (Prix Delluc) intitulé Carmel …Après le colon au chapeau de paille, j’y interprète le rôle –tiens-toi bien ! –d’un père de famille –dont 3 filles ont au Carmel – et dont l’une est la future Ste Thérèse de Lisieux ! (Si on m’avait dit ça, dans ma Mitidja natale. » (2)

            Après avoir vu le film qui prit le titre non pas de Carmel, mais de Thérèse, tout simplement, Bénisti écrivit à son ami le 29 octobre 1986 :

            « Je reviens du cinoche où je t’ai vu fier d’avoir le plus célèbre des gendres…mais aussi mourir ….pour la troisième fois heureusement « pas pour de vrai »  comme on disait, mais cruellement vrai pour un spectateur regrettant qu’après le rideau les acteurs ne viennent pas affirmer par leurs révérences le bon état de leur santé….Et pour moi qui aime tant la clarté de tes arguments et les calmes vérités de tes colères cachées qui sont  les signes de ta vitalité.

            Mettons qu’on t’a choisi pour la beauté de tes silences plus que pour les silences de ta beauté…J’ai aimé ce film et je t’ai aimé dans ce film où il fallait s’accorder sur une « superbe » sobriété. J’ai beaucoup aimé la rigueur des plans , la blancheur des cornettes, l’étrangeté des fleurs et des crustacés, la tombée des plis de bure, la beauté des visages, , la lumière des cierges qui me ramenaient vers Philippe de Champaigne, Gorges De Latour et Dreyer, mais bien que je me sois senti souvent « Républicain », j’ai surtout admiré cette écriture d’image où rien n’est dit et tout suggéré de la passion , de « L’Amour – La Mort » du bonheur et du doute.. »

            Pélégri réagit  en lui répondant :

« Merci de ta lettre sur Thérèse, très intéressante. L’œil du peintre y dispute avec le « républicain » qui est en toi. C’est en effet un film qui nous laisse une impression ambiguë. Mais j’ai eu plaisir à y participer. Avec toutes ses filles, il me semblait que j’étais plus au harem qu’au carmel. Et il est intéressant de s’exprimer plus par des silences que par des paroles. Je rejoignais ainsi l’art muet du peintre. »

Cet écrivain français d’Algérie, dont Mohamed Dib (3) disait qu’il était le plus grand écrivain algérien, a aussi était un  acteur de cinéma. Les cinéphiles se souviennent de lui, jouant le rôle d’un commissaire de police dans Pickpocket de  Robert Bresson. On l’a vu ensuite dans le rôle de son père dans les Oliviers de la justice (3) le film tourné en Algérie en pleine guerre d’après son célèbre roman. Par la suite, on le vit dans le rôle du père dans le Grand Carnaval (4) d’Alexandre Arcady, film racontant une histoire de famille en Algérie après le débarquement des alliés du 8 novembre 1942.  Le film n’est pas un chef d’œuvre, mais la distribution excellente, car les deux acteurs vedettes sont ; Roger Hanin et Philippe Noiret.

    

                                                          Jean-Pierre Bénisti

 

1.Voir : Jean Pélégri, Louis Bénisti   L’Algérie, l’enfance et le beau pays des images, Correspondances, images et textes inédits réunis par Dominique Le Boucher. Marsa éditions, 2008.

2.  Thérèse : https://www.youtube.com/watch?v=JW0p0vTumBc

 

3. Mohamed Dib : Simorgh, Albin Michel, Paris, 2003

 

4. Film Les Oliviers de la justice, film français !1962) de James Blue.

https://www.youtube.com/watch?v=73yIy90s0vo

 

5. Le Grand carnaval,  film d’’Alexandre Arcady, 1983

http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19441454&cfilm=31445.html

 

 

 

Jean Pélégri dans les Oliviers de la justice

Jean Pélégri dans les Oliviers de la justice

Partager cet article
Repost0
15 octobre 2017 7 15 /10 /octobre /2017 11:30

Présentation

 

Le débarquement allié en Afrique du Nord le 8 novembre 1942, aidé par l’action de la Résistance en Afrique du Nord, représente assurément un tournant majeur de la Seconde Guerre mondiale, avec la bataille de Guadalcanal dans le Pacifique et celle de Stalingrad (qui dure cependant jusqu’en 1943).

Soixante-quinze ans après le déroulement de « l’Opération Torch » en Afrique du Nord, il paraît important de revenir sur cet événement qui reste encore trop peu étudié en France. Il impose en effet de décentrer le regard de l’Europe vers l’Afrique du Nord, et de s’intéresser à des protagonistes dont beaucoup sont anglo-saxons.

Néanmoins, l’espace du débarquement allié se déroule sur un territoire qui est alors français : l’Algérie est un département français, le Maroc et la Tunisie sont des protectorats. De ce fait, la grande majorité des acteurs de cet événement sont français. Les problématiques par rapport à la France métropolitaine sont alors similaires : l’Afrique du Nord est prise en tenaille entre collaboration et vichysme d’un côté, et Résistance de l’autre. « La France de Vichy » étudiée par Robert Paxton a également existé sous la forme de « l’Algérie de Vichy », avec des permanences et des points communs, mais aussi des différences à étudier et à mettre en valeur. Ainsi, le « vichysme colonial » étudié par Jacques Cantier et Eric Jennings ou encore Christine Lévisse-Touzé semble encore faire trop peu l’objet de recherches approfondies, et rester dans les marges d’une histoire pourtant fondamentale. Singularités qui marquent les modes et les formes des résistances en Afrique du Nord, particulièrement les évènements du 8 novembre 1942, ainsi que la diversité et la pluralité de ses acteurs. Si la Résistance et la collaboration ont leurs formes propres sous les colonies, leurs mémoires sont aussi différentes. De la même façon, les clivages sont également internes à la société coloniale dominée. Le contexte est important dans les orientations que va prendre le mouvement national algérien.

Il est ainsi important d’éclairer les événements de la Seconde Guerre mondiale en Afrique du Nord, et en Algérie en particulier, autour du débarquement allié du 8 novembre, afin de mieux en comprendre les enjeux et les conséquences, tant dans les événements ultérieurs (autour de la décolonisation notamment) que dans les mémoires et les représentations socio-culturelles et artistiques.

 

C’est autour de ce programme que des chercheurs français, anglais, américains et algériens se retrouveront à Paris les 12 et 13 novembre 2017 pour éclairer cet évènement majeur de la Seconde Guerre mondiale.

 

Voir Programme :

 

Ministère des Armées

 

http://www.cheminsdememoire.gouv.fr/fr/8-novembre-1942

 

 

 

 

 

 

 

Étude de Louis Bénisti pour le logo des Compagnons du 8 novembre 1942

Étude de Louis Bénisti pour le logo des Compagnons du 8 novembre 1942

Partager cet article
Repost0
5 octobre 2017 4 05 /10 /octobre /2017 16:29

     

 

      Fin juillet 1967, je m’étais rendu au festival d’Avignon, qui prenait cette année une nouvelle forme. Après le théâtre et la danse, le cinéma rentrait dans la Cour d’honneur du Palais des Papes ;

      La Cour d’honneur avait été réaménagée. Vilar avait accepté la proposition de Béjart d’allonger  la pente des gradins de façon à augmenter le nombre des sièges. Les sièges, disposés en gradin en forme de coquille étaient plus confortables que les précédents. Si l’allongement de la pente a permis d’avoir un plus grand nombre de places, il a eu un effet désastreux sur l’acoustique et cela est regrettable. Depuis ce temps, les architectes, qui ont souvent modifié l’agencement des gradins, n’ont pas réussi à retrouver l’acoustique  de la cour des premiers festivals.

  Je suis toujours impressionné quand j’entends les trompettes de Maurice Jarre, annonçant les débuts des représentations et que je pénètre dans cette cour. Je suis aussi en admiration devant l’architecture du Palais des papes et je ne passe pas dans la rue étroite creusée dans le rocher des Doms et qui se trouvent au bas des très hautes tours du palais, sans ressentir toujours une très vive émotion.

    La Cour d’honneur recevait pour la deuxième fois les Ballets du XXème siècle de Béjart. Je n’avais pas encore vu des spectacles de ces Ballets, n’ayant vu Béjart que dans sa première troupe parisienne des ballets de l’Étoile1. Le premier spectacle que j’ai vu, a été un magnifique Roméo et Juliette, dans un style plutôt classique.

La grande nuit de ce festival fut aussi une nuit historique. C’était la première de Messe pour le temps présent de Béjart suivie de la première de la Chinoise de Godard. C’était un soir exceptionnel, il faisait très chaud, nous n’avions pas besoin de couverture.

      La messe de Béjart commençait vers vingt heures au coucher du soleil. Les danseurs étaient en blue jean et pieds nus et rappelaient les jeunes du film West Side Story. Ils commençaient d’abord à danser sur des textes du Cantique des cantiques ou de Zarathoustra de Nietzsche, dits par la jeune Marie-Christine Barrault, Puis ce fut le jerk de Pierre Henry (Psycho rock) qui devint presque le tube de l’été 67 et que l’on entend toujours à la radio, lorsque l’on évoque les années 60. Le spectacle se terminait par une station immobile des danseurs ne saluant pas les spectateurs et qui devraient en principe quitter le plateau après le départ de l’ensemble des spectateurs. En raison de la séance de cinéma suivant le ballet, ils quittèrent la scène, mais il  y a eu, par la suite des spectacles où  les danseurs sont restés une heure face aux spectateurs impassibles.

La projection de la Chinoise suivait le ballet. Le film était attendu. Il était d’une grande actualité en raison d’une part de la révolution culturelle chinoise, d’autre part de l’engagement de certains communistes qui, déçus par un  PCF inféodé à Moscou, s’enthousiasmait pour la philosophie maoïste. Ce film eut aussi  une vision prophétique, car il commençait dans le campus universitaire de Nanterre et préfigurait les évènements de mai 68. Godard, dans ce film, était  ambivalent : il semblait sympathiser avec les étudiants maoïstes, en même temps il en soulignait le caractère peu réaliste et utopique. Il y a un dialogue entre l’étudiante prochinoise et Francis Jeanson, qui, au vu de ses engagements en faveur de la révolution algérienne, émet des réserves sur les chances d’une révolution en France ; cet entretien avec Jeanson fait rétrospectivement lien entre la révolution algérienne et le désir de révolution des jeunes de la génération 68. Une réflexion comparant les villages vacances du Club Méditerranée aux camps d’extermination nazis m’a paru d’un goût douteux. Jean-Luc Godard est friand de ce genre de réflexions.

     Dans ce film, il y avait Juliet Berto, belle actrice aujourd’hui disparue, Semeniako, photographe grenoblois, toujours coiffé d’une casquette, dans le film comme à la ville et que j’ai souvent croisé par la suite dans les rues de Grenoble et Anne Wiazemski, que nous avions vu dans au Hasard Balthazar de Bresson et dont j’avais gardé d’elle le souvenir d’une très belle fille prenant sa douche, aussi belle qu’une baigneuse de Renoir.  Dans les rues d’Avignon, au sortir de la première de la Chinoise, on apercevait Godard avec ses éternelles lunettes noires qui étaient en fait, une stratégie pour regarder sans importuner les personnes qui pourraient avoir l’impression d’être dévisagées. Il était accompagné de Truffaut, et  de Anne W,  ressemblant à une petite fille, coiffée de sa casquette Mao.

      Un soir, je rencontrais un ami amateur de théâtre qui est ressorti furieux de la Messe pour le temps présent, prétendant que Béjart avait plagié sans complexe le Living Théâtre. Je ne connaissais pas le Living, mais rétrospectivement, je me suis rendu compte que Béjart avait fait des emprunts au Living, comme il avait d’ailleurs l’habitude de faire des emprunts à d’autres artistes ;

     L’été passait. Dans les rues, on entendait sans arrêt les dernières chansons des Beatles. : I want to hold your hand et A hard days night et surtout Michèle

J’ai passé le mois de septembre à Alger. Mes parents ont reçu le fils d’un attaché culturel français, qui avait quitté Alger pour l’Afrique subsaharienne. Ce jeune était revenu à Alger pour passer la deuxième session de son baccalauréat. Patrice D. est venu un jour déjeuné chez nous le jour où venait aussi chez nous Charles P. Rapidement, la conversation déboucha sur la Chinoise de Godard et sur la révolution culturelle chinoise. Patrice défendit la politique chinoise en prétendant qu’en Chine, la société idéale verrait le jour dans cent ans. . Charles se mit en colère et lui dit : « Vous déconnez, mon garçon, quand j’avais votre âge, j’admirais l’Union Soviétique et on nous promettait le paradis après le sacrifice d’une génération. Une génération est passée, et ce n’est vraiment pas le paradis, c’est plutôt l’enfer. On vous annonce en Chine, le paradis dans un siècle. Dans cent ans, les Chinois d’aujourd’hui seront tous morts et ils ne pourront pas vérifier le résultat de leurs sacrifices. Ne faites pas avec la Chine, l’erreur que nous avons faites avec l’URSS. » Mes parents étaient navrés d’avoir invité avec un jeune qui avait des idées erronées mais généreuses, une personne qui le contredisait sans nuance.

 

 

                                   Jean-Pierre Bénisti.

 

 

Anne W dans Au hasard Balthazar, de Bresson

Anne W dans Au hasard Balthazar, de Bresson

Le Monde 6 septembre 1967

Le Monde 6 septembre 1967

Partager cet article
Repost0
7 septembre 2017 4 07 /09 /septembre /2017 08:29
Hommage à Hamid Nacer-Khodja le samedi 16 septembre au Toboggan à Décines (69150)
Hommage du Père Guillaume (Centre Diocésain d'Alger)

Hommage du Père Guillaume (Centre Diocésain d'Alger)

Hamid Nacer-Khodja devant le buste de Saïd de Louis Bénisti en compagnie de Jean-Pierre Bénisti et de Frank Planeille au cours de l'exposition Louis Bénisti à Hyères en novembre 2004

Hamid Nacer-Khodja devant le buste de Saïd de Louis Bénisti en compagnie de Jean-Pierre Bénisti et de Frank Planeille au cours de l'exposition Louis Bénisti à Hyères en novembre 2004

Partager cet article
Repost0
31 août 2017 4 31 /08 /août /2017 15:12

 

            Le livre de Kaouther Adimi (Nos richesses) a redonné vie à la célèbre librairie du 2bis  de la rue Charras  (aujourd’hui rue Hamani), ouverte en 1936 par Edmond Charlot.

Le livre nous raconte une fiction autour de ce lieu, aujourd’hui bibliothèque, qui serait sur le point d’être transformé en échoppe pour un marchand de beignets. Que les lecteurs se rassurent. Le lieu est toujours bibliothèque.  De toutes les façons, nous voyons tous les jours des librairies ou des cinéma qui se transforment en magasins d’alimentation, qui reste sensu stricto des produits culturels, et même pire en agences de banques.

         Le livre a suscité un vif intérêt dans la presse et j’ai constaté que beaucoup de journalistes qui n’ont pas toujours vérifiés leurs sources ou qui formulent des hypothèses lorsque les témoignages sont insuffisants,  font souvent des erreurs. J’en ai relevé une dans l’article publié par Médiapart1 avec la photographie d’une librairie plastiquée en 1961.  Contrairement à la légende de la photographie, il ne s’agit pas de la librairie des vraies Richesses, qui n’a pas été plastiquée,  mais de la librairie Rivages que Charlot avait ouverte en 1954 dans le passage d’un immeuble en haut de la rue Michelet (Didouche aujourd’hui) La librairie avait été plastiquée à deux reprises.

            J’ai passé mon enfance à Alger, dans l’immédiat après-guerre. Mon père, le peintre Louis Bénisti était un familier des librairies et des galeries dirigées par Charlot.

Il me parlait souvent de l’Alger des années 30 avec la fréquentation de Camus, Maisonseul, Miquel et Fouchet2, la boucherie de Gustave Acault, l’oncle d’Albert Camus, le théâtre du Travail et le théâtre de l’Équipe et naturellement de la librairie des vraies richesses, lorsqu’elle était fréquentée par Camus et Grenier puis lorsqu’elle devint le siège de la très grande maison d’éditions d’auteurs favorables à la résistance. J’ai souvent dit que depuis la disparition de mon père, je deviens le témoin par procuration de cette période antérieure à ma naissance.

            Mon père n’a pas été témoin de l’aventure parisienne des éditions Charlot. Par contre il a toujours fréquenté les librairies et les galeries dirigées par EC entre 1949 et 1962. Je m’aperçois que les articles nombreux consacrés à Charlot, depuis sa retraite à Pézénas mentionnent très peu cette période algéroise. Aussi je vais essayer en confrontant mes souvenirs personnels et quelques témoignages de faire une mise au point.

 

            Entre 1940 et 1945, la librairie des Vraies Richesses est plus le siège de la maison d’éditions Charlot qu’une librairie vendant des livres. Charlot est absorbé par les livres à publier et par les tracasseries causées par la pénurie de papier rendant l’impression des livres très difficile. Louis Bénisti fait état dans un entretien que j’ai eu avec lui d’un nouveau local des éditions Charlot situé au 14 rue Michelet, local que Charlot a occupé après avoir laissé les Vraies Richesses à son frère Pierre. Ce local a servi de siège à la revue l’Arche dirigée par Jean Armrouche.  Max-Pol Fouchet collaborait avec Charlot, mais le siège de la revue Fontaine qu’il dirigeait se trouvait rue Lys du Pac.

 

            J’ai rencontré Charlot pour la première fois vers 1950. Il revenait à Alger après une aventure éditoriale parisienne qui avait échoué. C’était rue Michelet, près du café de la Renaissance non loin de la librairie Rivages, qu’il dirigeait.  À  cette époque Charlot était plus libraire qu’éditeur. J’accompagnais souvent mes parents voir les expositions des peintres qui exposaient dans le sous-sol de la librairie Rivages.  Je me souviens très bien de ces expositions où j’ai été familiarisé aux peintres d’Alger d’une certaine avant garde qui refusait l’Orientalisme officiel. C’est ainsi que j’ai pu voir les expositions de Galliero, Brouty, Maria Manton, Pelayo, Simon Mondzain. J’avais été impressionné par les peintures de Bouqueton, car c’était la première fois que je voyais des peintures non figuratives  et j’avais été sensible aux couleurs orange qui dominaient l’ensemble de ses peintures. La galerie Rivages était voisine d’une autre galerie le Nombre d’or Boulevard Victor Hugo. Les visiteurs des deux galeries faisaient souvent  une halte à la Brasserie Victor Hugo, devenue l’abreuvoir des amateurs d’art. Au Nombre d’or, exposèrent des peintres amis de Charlot dont les œuvres étaient d’une dimension trop importantes pour pouvoir être exposées dans la galerie Rivages : Assus, Bénisti, Tona, les deux Sauveur : Galliero et Terracciano. Jean Sénac, qui venait de faire paraître le premier (et aussi le dernier) numéro de la Revue Terrasses3, organisa du 21 au 31 octobre 1953 une exposition de groupe qui eut un fort retentissement. Le groupe était composé de : Bouqueton, Benaboura, Baya, Nallard, Maria Manton, Simian, Jean de Maisonseul, Henri Caillet.

            Durant cette période, Charlot n’a pas édité beaucoup d’ouvrages. Il publia cependant un essai sur Federico Garcia Lorca4 d’Emmanuel Roblès et un carnet de dessins de Brouty5 préfacé par Roblès : Un certain Alger. Ce dernier étant coédité avec Bacconier.

            Une dernière manifestation de la revue Rivages dont j’ai été témoin a été une grande séance de dédicaces, à laquelle participaient : Emmanuel Roblès, Mouloud Feraoun, Edmond Brua, Jean Sénac, Mohamed Dib et beaucoup d’autres. C’est ainsi que mon père m’a présenté Mohamed Dib qui  sortait de la librairie.

            Au printemps 1954, Edmond Charlot quitte le 48 de la rue Michelet et s’installe au 90 de la même rue à l’angle de l’avenue Claude Debussy dans la galerie passage d’un immeuble. Il vend surtout des livres d’occasion et les clients souscrivent des abonnements de lecture. Pour les expositions, il prend possession d’un  hall de commerce de la Société Comte-Tinchant. C’est ainsi que Assus, Bénisti, Tona, Galliero, Burel, Maria Moresca, Rollande, Benaboura, Bouzid, Tiffou, René Sintès, François Fauck,  Durand, Nicole Algan, Maurice Chaudière et beaucoup d’autres exposèrent dans cette galerie6.

            En 1961, la librairie est plastiquée à deux reprises. Charlot ferme sa librairie et rentre à la radio (France V ou radio-Algérie) où il travaille comme animateur. Il réalise des entretiens avec les peintres. Charlot quitte Alger à l’automne 62 et il reviendra fin 65. Il dirige l’éphémère galerie Pilote (Rue Abane Ramdane, ex-Colona d’Ornano), où il exposera Baya, Khadda et Aksouh. Sa compagne Marie Cécile Vène ouvre une boutique d’antiquités boulevard Salah Bouakouir  (ex du Telemly, Belkacem Krim aujourd’hui) en face de l’Aéro-habitat.  Il est alors nommé attaché culturel et participe aux travaux du Centre Culturel Français dirigé par Pierre Delarbre, puis René Gachet. Il sera ensuite attaché culturel à Izmir et à Tanger puis prendra sa retraite à Pézénas.

 

                                                          Jean-Pierre BÉNISTI

 

 

 

NOTES

 

  1. Pierre Benetti : « Nos Richesses. » : Alger, capitale littéraire. Médiapart, 26 août 2017 https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/260817/nos-richesses-alger-capitale-litteraire
  2. Max-Pol Fouchet : Un jour, je me souviens Éditions Mercure de France, 1969. et Louis Bénisti : On choisit pas sa mère. L’Harmattan. Paris, 2016
  3. Jean Sénac : Visages d’Algérie. Regards sur l’art. Documents réunis par Hamid Nacer-Khodja. Préface de Guy Dugas. éditions Paris-Méditerranée, Paris 2003 et Revue Terrasses., Juin 195 Ce numéro unique de Terrasses est une véritable anthologie de la littérature algérienne avec aux côtés de textes de Féraoun, Dib, Sénac, le retour à Tipasa de Camus.
  4. Emmanuel Roblès : Garcia Lorca. Rivages, 1949,
  5. Charles Brouty : Un certain Alger, 30 dessins présentés par Emmanuel Roblès et recueillis par Rivages.
  6. Jean-Pierre Bénisti : Edmond Charlot et les peintres. Revue L’Ivresq. N° 38 février-mars 2014

 

 

À consulter :

 

 

 

Revue Loess n°13, 26 janvier 1984   « Alger au temps des Vraies Richesses. » Témoignages d’Armand Guibert, René-Jean Clot, Louis Bénisti, Blanche Balain, Enrico Terracini, Marcel Pouget, Jules Roy, René Izac, Henri Chouvet, Jean de Maisonseul, Himoud Brahimi.

Revue Impressions du Sud  n° 15-16 été-automne1987p.4-12 Les souvenirs d’Edmond Charlot, les Vraies Richesses ; n°17, 1° trimestre 1988, l’éditeur de la France libre p.54-62, n°18, 2° trimestre 1988 p.56-64 L’aventure parisienne, entretiens avec Edmond Charlot réalisés par Frédéric Jacques Temple.

Revue L’Ivresq N° 38 février-mars 2014 Numéro spécial Centenaire Edmond Charlot

             FJ Temple : Beaucoup de jours, faux journal. Arles, Acte Sud 2009

François Bogliolo, Jean-Charles Domens, Marie-Cécile Vène. Edmond Charlot Catalogue raisonné d’un éditeur méditerranéen. Domens, Pézénas 2015.

 

Films

Alger au temps des Vraies Richesses de Geoffroy Pyère de Mandiargues et F-J Temple. Production FR3, 1991

Edmond Charlot, éditeur algérois. Un documentaire de Michel Vuillermet. 2005

 

 

 

 

 

 

La bibliothèque qui se trouve rue Hamani dans l'ancienne librairie les Vraies Richesses

La bibliothèque qui se trouve rue Hamani dans l'ancienne librairie les Vraies Richesses

La rue Hamani (ex-Charras) en janvier 2016 Photo JPB

La rue Hamani (ex-Charras) en janvier 2016 Photo JPB

Intérieur de la bibliothèque : Trois grandes figures Max-Pol Fouchet, Emmanuel Roblès, Himoud Brahimi.(Photo JPB, juin 2013)

Intérieur de la bibliothèque : Trois grandes figures Max-Pol Fouchet, Emmanuel Roblès, Himoud Brahimi.(Photo JPB, juin 2013)

Partager cet article
Repost0
31 juillet 2017 1 31 /07 /juillet /2017 14:07

Coupure retrouvé dans mes archives un petit article de l'Express de décembre 1959

Camus et Jeanne Moreau
Jeanne Moreau (1928-2017) Quelques jours avant sa tragique disparition, alors qu'il est en pleine rédaction de son roman "Le Premier Homme", Albert Camus refuse non sans regrets de donner la réplique à Jeanne Moreau dans "Moderato Cantabile", rôle qui sera finalement confié à Jean-Paul Belmondo. "Question cinéma, j'aurais été bien plus intéressé par un rôle dans un film : Brook et une part de moi regrette encore d'avoir dit non. Mais la sagesse le commandait : je n'ai que huit mois devant moi pour écrire le premier état de mon livre, et ce sera à peine suffisant. Je l'ai dit cependant à Brook : si le film ne se fait pas cette année, je suis d'accord pour l'an prochain. Mais il avait l'air persuadé de le faire en février [1960] et je m'en réjouis pour lui et pour Jeanne Moreau (à qui vous serez gentille d'expliquer mes raisons et de faire mes particulières excuses)". ---- Lettre d'Albert Camus à son agent théâtral Micheline Rozan (décembre 1959). Voir site : https://www.facebook.com/AlbertCamusAuthor/
Jeanne Moreau et Jean-Paul Belmondo

Jeanne Moreau et Jean-Paul Belmondo

Partager cet article
Repost0
7 juillet 2017 5 07 /07 /juillet /2017 14:17

          Ce texte a été écrit en juillet 2012. Il est de nouveau d'actualité. Un film- biopic, tès discutable sur Godard, Anne Wiazemski et la Chinoise, d'après le récit d'Anne Wiazemski,vient de sortir. Pierre Henry, le compositeur de Messe pour le temps présent vient de disparaître.

 

              Pour l’enfant d’outre Méditerranée que j’étais, Avignon était une ville du midi de la France, célèbre par un pont où, selon la chanson, on y dansait en rond. Lorsque j’ai commencé à voyager, j’apercevais du train une ville cernée de fortifications avec au loin les tours d’un Palais, qui avait dans les temps jadis, hébergeaient des papes, et la légende disait même que la mule d’un pape serait montée au sommet d’une tour.

        Au cours de l’été 58, mes parents se décidèrent à faire un voyage de Marseille à Paris en empruntant leur deux-chevaux Citroën. Nous profitons du voyage pour visiter les lieux dont nos livres d’histoire nous avaient signalé l’intérêt. Parti de Marseille, il était indispensable de s’arrêter à Avignon pour visiter son Palais,  à Montélimar pour y déguster ses nougats et à Lyon pour y admirer le confluent de la Saône et du Rhône, sachant bien que sur l’eau du Rhône, il n’y avait qu’un accent circonflexe.

     Arrivé à Avignon, nous avons aperçu ce pont, dont la démolition d’une des têtes, témoignaient des guerres qui avaient lieu entre le Royaume de France et le Comtat Vénaissin, géré par le légat du Pape. Entrant dans la cour d’honneur du Palais des Papes, nous avions été surpris de voir des gradins installés pour les représentations théâtrales du TNP de Jean Vilar, prévus quelques jours après notre arrivée. Notre emploi du temps ne nous permettait pas de rester. Il devait y avoir Lorenzaccio avec Gérard Philipe. J’avais une grande admiration pour Vilar, dont mon professeur de Lettres Jean Oliviéri en  avait parlé souvent de façon élogieuse. J’avais acquis un petit disque dans lequel Jean Vilar disait les poèmes de Nerval. Mon luth constellé porte le soleil noir de la mélancolie…Je commençais à savoir ce poème par cœur tout en ignorant ce qu’était un oxymore. Mon père plaisantait au sujet de ce poème et me disait de temps en temps «  Rends- moi mon Pausilipe ! »

      Durant ces années de lycée passées à Alger, je m’intéressais beaucoup au théâtre et nous avions la chance d’avoir à Alger un acteur et metteur en scène, qui adhérait aux conceptions de théâtre  de Vilar. Il s’agissait d’Henri Cordreaux, qui, grâce à de  modestes subventions, montaient des pièces de façon originale en langue française et aussi en langue arabe avec la collaboration de son collègue Ould Abderhamane Kaki.

      En juillet 60, après un séjour en Espagne, nous nous sommes arrêtés à Avignon en plein festival et nous avons pu enfin assister à une représentation dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes. Par chance, nous avons trouvé une chambre à l’hôtel Central, rue de la République, hôtel que je fréquente encore actuellement. Les patrons ont évidemment changé. Nous avons pu avoir des places pour Antigone de Sophocle. Ce fut un spectacle pas pale  dans une cour papale ! Les costumes du peintre Singier s’accordaient très bien avec le mur nu de la Cour d’Honneur. Il n’y avait pratiquement pas de décor. Jean Vilar jouait le rôle du Coryphée, Georges Wilson Créon et le rôle d’Antigone était incarné par Catherine Sellers, qui  se révéla une grande tragédienne. Certaines phrases dites dans cette tragédie m’avaient impressionné : « Je ne suis pas là, pour partager la haine, je suis là pour partager l’amour. » Ou bien : »Il y a dans le monde beaucoup de choses admirables, mais aucune chose n’est aussi admirable que l’homme. » Nous remarquions que Vilar n’avait pas collaboré avec Camus, mais avait su prendre dans sa troupe les acteurs que Camus avait révélés : Gérard Philipe, Maria Casarès, Jean Négroni  et Catherine Sellers.

             Vu les qualités de ce spectacle, je persuadais mes parents de la nécessité de rester le second soir pour la représentation de Mère Courage. Nous avions entendu parler de cette pièce, car l’oncle Henri, qui étant communiste, s'intéressait à Brecht,  nous en avait parlé et nous savions par cœur les chansons de la pièce :

       La Mère Courage pour la piétaille a des godasses qui tiennent aux pieds

C’était extraordinaire de voir arriver sur le plateau la roulotte de la Mère Courage, qu était incarnée par Germaine Montéro.

          

         En 1961, nous avions participé à l’inauguration du Centre Culturel  d’Orléansville (Chlef aujourd’hui)   Ce centre bâti selon les plans des architectes Louis Miquel et Roland Simounet avait vu le jour à la suite du séisme de septembre 1954.. Pour bâtir le théâtre de ce Centre les architectes avaient pris conseil auprès de Camus, qui s’était rendu à Orléansville en compagnie des architectes en janvier 1955. Cordreaux qui présentait les spectacles d’inuguration,  avait demandé aux spectateurs d’Orléansville de s’imaginer dans la Cour du Palais des papes. Au mois de juillet de la même année, nous sommes passés à Avignon pour voir Jean Vilar dans une pièce de Caldéron,   l’Alcade de Zalamea., très belle pièce que Jean Vilar avait choisi de jouer en ces temps difficiles, car il  traitait des questions des relations entre  pouvoir politique  et de jpouvoir judiciaire. On dit que Jean Vilar a bien ri à propos d’une information erronée donnée par un gardien du Palais des Papes : Un visiteur du palais, en voyant l’installation des gradins dans la Cour d’honneur demande : 

«  -  Quelle pièce doit monter Vilar cette année dans la Cour ?

-Il  doit monter l’escalade de l’Himalaya, dit le gardien

- De quel auteur ?

- De plus de huit mille mètres. »

     Nous avions été ensuite à Paris et nous avions continué notre saison théâtrale en allant voir les Chaises de Ionesco dans une mise en scène de Jacques Mauclair. Cette pièce avait été créée  par Tchilla Chelton, qui vient de mourir et Paul Chevallier, acteur qui avait commencé à travailler à Alger au théâtre de l’Équipe,  dans une mise en scène de Sylvain Dhomme, qui avait lui aussi commencé à faire ses premières mises en scène en Algérie. J’ai revu depuis plusieurs fois cette pièce et notamment dans les années 80 avec Pierre Dux.

 

       Après une interruption dans la fréquentation de ce festival, j’ai recommencé à fréquenter la Cité des Papes en 1966 et.depuis et jusqu’à ces dernières années, j’essayais d’aller tous les ans à Avignon. Je suis toujours ému chaque fois que je pénètre dans la Cour d’Honneur. En juillet 66, j’avais pris une chambre dans un hôtel d’une petite rue oblique par rapport à la rue de la République : l’hôtel de la Cigale. Cet hôtel était bon marché du fait de la vétusté des murs et de l’absence de la mise aux normes exigées par la direction du tourisme. J’ai pu voir le TNP, qui était dirigé à l'époque par Georges Wilson  Une pièce d’un auteur allemand Julius Hay, Dieu, empereur et paysan retraçait le début des guerres de religion qui ont secoué la fin du Moyen-âge avec la condamnation de Jan Huss et la défénestration de Prague. Une autre pièce était une adaptation des Troyennes d’Euripide par Sartre dans une mise scène de Cacoyannis. Sartre avait naguère écrit les Mouches, pour fustiger les Allemands en guerre. Ici, il essayait de se servir de la tragédie grecque pour manifester son hostilité à la guerre du Viet Nam. La Cour d’honneur est un cadre idéal pour jouer les tragédies grecques et les soirs de mistral, le vent anime les longues robes  colorées des actrices face au mur du palais. Il y avait des actrices remarquables comme Nathalie Nerval, Françoise Brion ou Judith Magre.

Après deux jours à l’hôtel, je rejoignais un centre d’accueil des CEMEA. Nous logions dans une école près de la place des Carmes : l'école de la rue Persil. Les repas se prenaient dans la cour de l’école et  nous dormions dans les classes transformées en dortoir. Je retrouvais beaucoup de jeunes amateurs de théâtre et nous discutions beaucoup. Le matin, vers dix heures, nous  nous rendions dans la cour du lycée des Ortolans, où un metteur en scène ou un acteur venait s’entretenir avec nous. L’après-midi vers cinq heures avant les spectacles du soir, il y avait des rendez-vous au Verger d’Urbain V, qui en fait était le potager du pape Urbain, pour des entretiens avec les metteurs en scène, des lectures ou des concerts. Les soirs où il n’y avait pas de spectacles, nous organisions nos soirées. C’est ainsi que nous avons fait une promenade nocturne à Oppède pour dire des poésies dans la nature. Nous nous sommes rassemblés dans les ruines d’un château et à la lueur des bougies : une comédienne dit un poème de Claudel sur Verlaine et un poème de Paul Fort : La corde :

Pourquoi renouer l’amourette, c’est-y bien la peine d’aimer, la corde s’est cassé, Fillette, et c’est toi qui a trop tiré.

Je dis un poème de Desnos : Au temps des donjons, un poème de Char et un autre de Sénac. Puis, alors que les bougies étaient éteintes et au milieu du silence de la nuit, une voix de jeune fille retentit et l’on entendit :

Dis ! Quand reviendras –tu ?

Depuis je ne peux entendre cette chanson de Barbara sans penser à cette nuit, et notre petite camarade la chantait avec justesse et simplicité

Au Verger, un acteur du TNP, Pascal Mazzotti,  nous fit une lecture de textes d’un écrivain toujours vivant à l’époque, mais oublié : André de Richaud. Cet écrivain, originaire du Vaucluse avait été repéré par Jean Grenier et Camus pour son livre : la  Douleur, relatant les amours d’une femme française avec un Allemand pendant la guerre 14. Cet écrivain, victime de l’alcoolisme, s’était retiré prématurément dans une maison de personnes âgées de Vallauris. 

       Mes parents étaient venus me rejoindre à Avignon après un séjour assez terne dans les Alpes Maritimes. J’ai quitté l’école Persil pour l’hôtel Central, hôtel où mes parents avaient l’habitude de descendre. Au Verger, nous avons pu entendre Gérard Guillaumat, acteur de la troupe de Planchon, nous dire des contes de Maupassant, notamment celui où un vieux normand grabataire couve les œufs placés sous ses aisselles. Planchon présentait deux spectacles, non pas dans la Cour d’honneur mais devant le Petit Palais du Vice-légat. Ce lieu était très beau, mais l’acoustique était défectueuse. De plus, on entendait les voitures circulant sur le pont voisin.

     Le premier spectacle était Georges Dandin. Je l’avais déjà vu à Alger. Jean Bouise, ce sympathique acteur que l’on voyait souvent au cinéma jouait le rôle de Georges Dandin. Le décor de Allio s’inspirait des tableaux de Le Nain figurant la vie paysanne. Le second spectacle était Richard III, dans une mise en scène de Planchon.  Lorsque j’ai  habité Lyon, j’ai fréquenté le théâtre de Villeurbanne dirigé par Planchon, qui hérita de la dénomination TNP  et j’ai beaucoup regretté que les spectacles montés par Planchon, depuis les années 70 ne fussent  pas de la qualité de ses premiers spectacles.

       Les ballets de Béjart devaient faire leur entrée dans la Cour d’Honneur. Vilar voulait ouvrir le festival à d’autres disciplines que le théâtre parlé. J’avais eu l’occasion de voir Béjart à ses débuts en 1957. Je n’ai pu assister  à  ses  premiers spectacles avignonnais cette année, ce n’est que plus tard que j’ai pu le voir dans une cour d’honneur rénovée.

 

        L’été 1967, j’avais commencé  ma saison théâtrale  à Pais en allant voir la Cuisine d’Arnold Wesker Le spectacle avait lieu au Cirque Médrano et ce lieu devant  être détruit peu après. C’était le premier spectacle de la troupe d’Ariane Mnouchkine qui avait du succès. Nous avions été enthousiasmé par ce spectacle. 

       Claude Acquart, le fils du décorateur André Acquart, vieil ami de mon père,   se lançait dans les décors et après avoir aidé son père pour les Paravents  de Jean Genet ;Il faisait lui-même pour le Festival du Marais les décors d’un Antigone de Brecht mise en scène par Jean Tasso. Le spectacle devait avoir lieu dans la cour de l’hôtel Lamoignon. Antigone était jouée par Françoise Brion, cette belle actrice, que je regrette ne plus voir depuis longtemps. Claude Acquart m’avait donné rendez-vous près des coulisses en me précisant que ne disposant plus de cartons d’invitations, il me ferait entrer par les coulisses. Je suis donc rentré dans le territoire des artistes et j’ai observé dans des baraquements de fortune, les acteurs se maquillant devant des glaces. Il ne fallait surtout pas déranger les acteurs qui avaient besoin d’être concentré. Dès que Françoise Brion est sortie des coulisses pour entrer en scène, je l’ai suivie et je suis vite descendu de la scène pour m’asseoir sur le premier fauteuil libre au premier rang.

 

        Je devais rejoindre la Provence vers le 10 juillet et je me suis arrêté à Avignon avant le festival pour préparer mon séjour fin juillet.  Je passais une nuit à Avignon. Il y avait dans la cour de l’hôtel de Roure  une conférence de Francis Ponge sur les nouvelles tendances de la poésie française : Mutation  en poésie. Ponge nous dit qu’autrefois la poésie était l’art de pleurer dans un mouchoir et d’étaler le mouchoir maculé de larmes. Il nous dit s’éloigner d’une certaine poésie lyrique et sentimentale. Il se reconnaissait dans le groupe de la revue Tel Quel avec Philippe Sollers, Denis Roche, Marcellin Pleynet, Jean-Pierre Faye. Il s’agissait d’une poésie destinée plus à être lu qu’à être dite où le lecteur fait un travail aussi important que l’auteur. Il se moqua de l’Académie Française qui avait donné son prix de poésie à Brassens : «  Ce grand poète avec des moustaches. » disait-il ironiquement. Je lui ai posé une question : la poésie serait-elle un plaisir solitaire ? Il me répondit que ce n’était naturellement pas un plaisir solitaire, car on ne faisait des enfants que si on était deux.

 

         Après un séjour sur la côte, je retournais à Avignon fin juillet. J’avais prévu un séjour de deux semaines. Je devais séjourner au Centre de séjour toujours dans l’école de la rue Persil, près de la place des Carmes. Les journées étaient bien remplies : le matin à dix heures  trente, nous avions un entretien avec un metteur en scène ou un régisseur, à treize heures déjeuner, l’après-midi après un bref repos : une promenade dans Avignon, puis à dix-huit heures rendez-vous au Verger pour un dialogue ou un concert. Cette année, une large place était donnée à la musique du vingtième siècle.

        Le festival se faisait dans deux lieux : la Cour d’honneur et  le cloître de l’église des Carmes. Cette église fait partie des innombrables vestiges d’églises gothiques d’Avignon intra-muros. Tous ces monuments donnent à la ville papale une allure italienne. Avignon et Aix ont un caractère italien, comme Arles a plutôt un caractère espagnol D’autres lieux scéniques se  sont ouvert par la suite : l’Église des Célestins, le Cloître des Célestins, la chapelle des Pénitents blancs, la chapelle des Cordeliers…

       La Courd’honneur avait été réaménagée. Vilar avait accepté la proposition de Béjart d’allonger  la pente des gradins de façon à augmenter le nombre des sièges. Les sièges étaient en forme de coquille et plus confortables. L’allongement de la pente a eu un effet désastreux sur l’acoustique et cela est regrettable. Depuis, les architectes qui ont modifié l’agencement des gradins n’ont pas encore réussi à retrouver l’acoustique des premiers festivals.

      Je suis toujours impressionné quand j’entends les trompettes de Maurice Jarre, annonçant les débuts des représentations et que je pénètre dans cette cour. Je suis aussi en admiration devant l’architecture du Palais des papes et je ne passe pas dans la rue étroite creusée dans le rocher où les tours sont très hautes sans toujours ressentir une vive émotion. 

Avignon-66347.jpg

 

          Le premier spectacle que j’ai vu a été une pièce écrite et mise en scène par Planchon : Bleu, blanc, rouge ou les Libertins…pièce dont l’action se situe pendant la Révolution, à Grenoble. Les décors étaient de Acquart qui faisait ses premiers décors dans la Cour d’honneur. Il y avait d’excellents acteurs comme Jean-Pierre Cassel ou Claude Brasseur. Si la pièce était intéressante, car elle montrait un aspect peu connu de la Révolution vue de province, elle soufrait d’une trop grande dispersion. La pièce était aussi longue et un peu ennuyeuse. Au cours d’un débat avec Planchon aux Ortolans, je lui posais la question s’il fallait regarder la pièce dans une optique classique ou dans une optique brechtienne en prenant en compte la distanciation. Cette question ne plut pas beaucoup à Planchon et il la jugea un peu à la mode. Il n’empêche que cette question fut retenue par le journaliste qui fit le compte-rendu de l’entretien dans le Provençal.

             Au Cloître des Carmes, Bourseillier montait une pièce de Billetdoux : Silence, l’arbre remue encore... avec Serge Régianni, toujours extraordinaire et Chantal Darget, la femme de Bourseillier qui était une très grande actrice aujourd’hui disparue. Elle jouait aussi dans une pièce de Leroi Jones, auteur noir américain : le Métro fantôme. Une scène de cette pièce est jouée par la même Chantal Darget dans un film de Godard. ; Masculin Féminin. Il y avait aussi une pièce de Phillipe Adrien intitulée la Baye.

          À côté du Cloître des Carmes, il y avait le théâtre des Carmes. Ce théâtre était dirigé par un avignonnais : André Benedetto, homme de théâtre proche du PC, qui louait pour jouer une salle paroissiale au curé de l’église des Carmes. Benedetto fut le premier à monter des spectacles pendant le festival, sans en faire partie et il a inauguré le festival off. Jusqu’à présent, Vilar ne tolérait pas d’autres spectacles que ceux produits par le festival. Il toléra Benedetto qui avait une troupe permanente à Avignon. Cette année Benedetto avait monté  Oh les beaux jours de Beckett et recevait une troupe cubaine qui montait la Noche de los asasinos (la Nuit des assassins) de Jose Triana.

        La Courd’honneur devait recevoir pour la deuxième fois les Ballets du XXe siècle de Béjart. Je n’avais pas encore vu des spectacles de ces Ballets, n’ayant vu Béjart que dans sa première troupe parisienne des ballets de l’Étoile. (C'était en 1957, à Alger. Béjart avait dansé un solo sur une musique de Pierre Henry : Symphonie pour un homme seul. )Le premier spectacle que je vis fut un magnifique Roméo et Juliette, dans un style plutôt classique.

         La grande nuit de ce festival et ce fut une nuit historique fut la première de Messe pour le temps présent de Béjart suivie de la première de la Chinoise de Godard. C’était un soir exceptionnel, il faisait très chaud, nous n’avions pas besoin de couverture.

         La messe de Béjart commençait vers vingt heures au coucher du soleil. Les danseurs étaient en blue jean et pieds nus e cela t rappelait les jeunes du film West Side Story. Il commençait d’abord à danser sur des textes du Cantique des cantiques ou de Niietsche, dits par la jeune Marie-Christine Barrault., Puis ce fut le jerk de Pierre Henry qui devint presque le tube de l’été et que l’on entend toujours à la radio, lorsque l’on évoque les années 60. Le spectacle devait se clore par une station immobile des danseurs ne saluant pas les spectateurs et qui devraient en principe ne quitter le plateau que lorsque tous les spectateurs  fussent partis. En raison de la séance de cinéma suivant le ballet, ils durent quitter la scène, mais il eut par la suite des spectacles où  les danseurs restèrent une heure face aux spectateurs impassibles.

         La projection de la Chinoise (1) devait suivre le ballet. Le film était attendu. Il était d’une grande actualité en raison d’une part de la révolution culturelle chinoise, d’autre part de l’engagement de certains communistes qui, déçus par un  PCF inféodé à Moscou, s’enthousiasmaient pour la philosophie maoïste. Ce film eut aussi  une vision prophétique, car il commençait dans le campus universitaire de Nanterre et préfigurait les évènements de mai 68. Godard,   dans ce film, était  ambivalent : il semblait sympathiser avec les étudiants maoïstes, en même temps qu’il en soulignait le caractère peu réaliste et utopique. Il y avait un dialogue entre l’étudiante prochinoise et Francis Jeanson, qui, au vu de ses engagements en faveur de la révolution algérienne, émet des réserves sur les chances d’une révolution en France. Une réflexion comparant les camps d’extermination aux villages vacances du Club Méditerranée m’a paru d’un goût douteux.

       Dans ce film, il y avait Juliet Berto, belle actrice aujourd’hui disparue, Semeniako, photographe grenoblois, toujours coiffé d’une casquette, dans le film comme à la ville et que j’ai souvent croisé par la suite dans les rues de Grenoble et Anne Wiazemski, que nous avions vu dans au Hasard Balthazar de Bresson et dont j'avais gardé d’elle le souvenir d’une fille prenant sa douche aussi belle qu’une baigneuse de Renoir.  Dans les rues d’Avignon, au sortir de la première de la Chinoise, on apercevait Godard avec ses éternelles lunettes noires qui étaient une stratégie pour regarder sans importuner les personnes dévisagées., accompagné de Truffaut, et  d’Anne Wiazemski ressemblant à une petite fille, coiffée de sa casquette Mao.

      Un soir, je rencontrais un ami amateur de théâtre qui ressortait furieux de la Messe pour le temps présent, prétendant que Béjart avait plagié sans complexe le Living Théâtre. Je ne connaissais pas le Living, mais rétrospectivement, je me suis rendu compte que Béjart avait fait des emprunts au Living, comme il avait l’habitude de faire des emprunts à d’autres artistes.

         Après un spectacle, je devais aller prendre un pot avec une fille nommée Claudine  R.. Cette fille préparait un certificat d’études théâtrales et suivait l’enseignement de Bernard Dort. Elle appréciait mes jugements sur les pièces et c’était réciproque. La discussion se prolongeait et nous ne pouvions plus rentrer au Centre de Séjour car il fermait ses portes vers une heure du matin, de plus nous avions l’intention de passer la nuit ensemble. Nous avons été dans l’île de la Barthelasse, prés du camping et nous avons passé la nuit à la belle étoile. Elle aurait voulu dormir toute nue dans la nature. C’était difficile, car le fond de l’air était frais. Nous nous sommes enlacés pour nous réchauffer. Nous avons essayé de dormir ou plutôt de nous assoupir. Le matin, nous avons pris un bon café et nous avons été tout de suite à la piscine pour nous réveiller.

           La musique faisait son entrée au Verger. J’ai essayé de me familiariser à la musique contemporaine. Ce n’était pour moi, qu’une approche, car n’étant pas moi-même musicien, je ne peux pas être très initié. J’ai apprécié le concert donné par les Percussions de Strasbourg où il y eut un texte d’Henri Michaux, dit par un comédien rythmé par des percussions : « Epervier de ta faiblesse ! Domine ! » Il y eut aussi au verger des conférences : une conférence sur l’éducation populaire avec Joffre Dumazedier et le jeune Michel Rocard, qui venait d’être élu secrétaire du PSU. Il y eut aussi une lecture de poésie grecque contemporaine pour manifester notre solidarité avec les poètes et musiciens comme Yannis Ritsos ou Mikis Theodorakis emprisonnés, en Grèce par la dictature des colonels. Le choix de poèmes avait été fait par Jacques Lacarrière. Jean Vilar participait à cet hommage. Un autre spectacle conçu par Hélène Martin, était un montage poétique de textes de René Char, pour protester contre l’implantation de missiles à tête nucléaire sur le plateau d’Albion. Outre le texte de René Char sur le sujet, les comédiens lurent des textes des Feuillets d’Hypnos et de chansons d’Aragon ou d’Éluard chantées par Hélène Martin et Francesca Solleville. Il est permis de s’étonner que René Char, très sévère sur Aragon, ait accepté que des chansons d’Aragon soient chantées à côté de ses poèmes. Cela reste une énigme. Char, qui ne supportait pas Mitterrand, l’a tout de même reçu lorsque ce dernier lui rendit visite à l’Isle sur Sorgue.

         Le matin, vers 10h 30, nous avions rendez-vous à l’école des Ortolans pour un dialogue avec des metteurs en scène ou des acteurs. C’est ainsi que nous avons pu parler avec Planchon, Godard, Paul Puaux, le conseiller municipal avignonnais responsable du festival, Sonia Debeauvais, l’administratrice du festival et bien d’autres. Vilar est aussi venu, très heureux de voir l’évolution du festival qui devait rester un festival de théâtre mais devant s’ouvrir à d’autres formes d’art, rappelant  que le festival était né à partir de représentations théâtrales donnée dans une Cour d’honneur sans gradins à l’occasion d’une exposition d’art moderne organisée par Christian Zervos et René Char.

         Le séjour à Avignon devait s’agrémenter d’une visite guidée de la ville d’Avignon sous la conduite d’un professeur d’histoire avignonnais : Monsieur Fustier. Fustier est un nom provençal signifiant charpentier comme Fournier boulanger.

          Monsieur Fustier nous fit parcourir Avignon de long en large et nous fit rentrer dans les cours d’hôtel particulier pavé de calades et où les halls d’entrée sont ornés de décorations murales du peintre Pillement, ancêtre de Georges Pillement, écrivain prolifique qui traduisit l’Alcade de Zalamea de Calderon. Les riches  familles avignonnaises de ces hôtels particuliers organisaient quelquefois des réceptions pendant le festival et demandaient à des acteurs du TNP de faire des lectures.

          Le Rhône ne traverse pas Avignon, il vient le saluer et lorsqu’on le traverse, on quitte le département du Vaucluse pour le Gard.  Le fleuve était d’ailleurs difficile à traverser, car le Vieux Pont Saint Bénezet est toujours coupé. On quittait autrefois le Comtat Vénaissin Le département de Vaucluse est calqué sur ce comtat y compris au niveau de Valréas, enclave du Vaucluse dans le département de la Drôme, que l’on appelle l’enclave du pape. Monsieur Fustier nous fit part de sa colère face à l’imbécillité de certains enseignants qui commençait à faire étudier aux enfants d’Avignon, la Seine avant d’étudier le Rhône. C’est ce que nos instituteurs ont fait en Algérie en nous faisant étudier les Alpes, avant d'étudier les massifs de Kabylie. Le Comtat Vénaissin était jusqu’à la Révolution, la propriété du Pape et était géré par le légat du pape. Les rois souvent envoyaient leurs troupes pour annexer le Comtat, les Avignonnais ou plutôt  les Contadins criaient alors Vive le roi et lorsque les autorités pontificales récupéraient leurs biens, ils criaient : Vive le légat.

       Nous nous sommes promenés dans ces vieux quartiers bas qui ont été fréquemment inondés et nous avons fini notre visite par le jardin des Doms derrière le Palais et dominant la ville. Nous avons aperçu la prison et nous sommes rendus compte que les prisonniers devaient en été entendre les bruits des représentations et devaient souffrir de ne pas avoir la possibilité d’aller au théâtre. Je me suis souvent promené dans ce jardin avec mes parents et nous avons un jour été bouleversé devant cette vue sur la prison ; des prisonniers faisaient du haut de leurs lucarnes des signes à leurs familles venus les apercevoir depuis le belvédère du jardin des Doms. Michel Tournier2 a déjà parlé de ces personnes essayant de faire des signes à leurs amis prisonniers dans la prison d’Avignon : la prison étant la scène d’un théâtre, les prisonniers étaient les acteurs  et leurs amis le public

        Monsieur Fustier nous confia qu’il ignorait encore où était la tour, où la mule du Pape était montée. Alphonse Daudet devait probablement l’ignorer autant que lui.

         Nous avons fini la visite en allant boire un verre dans ce bar situé en face du palais des papes où la mauvaise qualité des produits offerts et l’absence d’amabilité de son personnel étaient légendaires.

        Ce fut le plus long séjour que je fis à Avignon. J’y suis souvent retourné et j’y suis passé très régulièrement lorsque mes parents ont habité Aix. Nous allions souvent déjeuner dans cette pizzeria de la rue Joseph Vernet appelée l’Oullo, que mon père avait découvert en 1960 et qui après avoir été, l’un des rendez-vous des acteurs se mêlant aux spectateurs a dû fermer car  elle fut frappée d’alignement.

 

                                                           Jean-Pierre Bénisti

 

1.      Anne WIAZEMSKY. Une année studieuse, Paris, éditions Gallimard, 2012

2.      MIchel TOURNIER : Des clés et des serrures. Paris, Éditions du Chêne

 

 

Avignon29.jpg

 

 

Photos JPB, 1967.

 

 

 

.

Partager cet article
Repost0
5 juillet 2017 3 05 /07 /juillet /2017 18:54

              En juin 1962, je me trouvais à Paris. J’avais dû quitter Alger en septembre 1961 et une tante m’avait hébergé. Le 25 juin, je devais passer  le bac au lycée Honoré de Balzac à Clichy. Je n’ai pas été satisfait de mon examen, mais après une telle impréparation, je ne pouvais qu’attendre un miracle. J’étais si peu satisfait que je n’aie pas eu le courage de préparer un oral  hypothétique.

            À la fin de la semaine, alors que les habitants de l’Algérie s’apprêtaient à voter au referendum d’autodétermination, je reçus un appel d’un ami qui m’invitait à venir passer un week-end à Trouville, dans une maison appartenant à sa famille. J’ai été ravi de pouvoir me promener en Normandie. Cette région dont les maîtres d’école d’Algérie nous avaient vanter le charme en nous faisant apprendre par cœur  une chanson en l’honneur d’un pays qui ne nous avait pas donné le jour.  J’ai pu apprécier ces coins de Normandie que beaucoup de peintres avaient p représenté,notamment Boudin ou Marquet... Nous avons été à Honfleur et à Deauville. Je n’étais pas encore familiarisé au flux et au reflux, étant avant tout méditerranéens.

            Alors que la France organisait le rapatriement des pieds-noirs qui affluaient dans les ports et les aéroports, l’Algérie votait et déjà des dissensions apparaissaient au sein de la  direction du FLN.  Mohamed Khidder démissionnait du GPRA et devait être suivi de Ben Bella. On apprenait qu’ils partaient à la frontière algéro-marocaine rejoindre l’armée algérienne des frontières dirigée par le Colonel  Boumediene., qui s’opposait à l’armée des maquis des différentes wilayas. Le  "bordel" commençait et cette situation chaotique était naturellement exploitée par les nostalgiques du temps de la colonisation. .

Après ce séjour en Normandie, je rentrais à Paris et je trouvais des cousins qui revenaient d’Alger dans une immense tristesse apprenant que l’Algérie passait le cap de l’indépendance. Cette tristesse contrastait avec mon enthousiasme. Je venais de me procurer le numéro spécial de l’Espoir Algérie, journal des libéraux d’Algérie, qui reparut pour saluer l'Algérie indépendante et encourager les libéraux à  travailler dans la nouvelle Algérie. Ce numéro de l’Espoir devait être le dernier. Il y avait en première page une citation d’Emmanuel Robles :

-         Quelle peut bien être ta patrie ?

-         Là, où tu veux vivre sans subir l’humiliation.

 

Je passais au quartier latin et je rencontrais Pierre Salama, qui arrivait d’Alger et me dit qu’il voudrait  voir mes parents en compagnie de sa sœur Myriam et  son beau-frère : Maître Yves Dechézelles. Au bar le Soufflot, qui était paraît-il un café de gauche, je rencontrais l’acteur Boudjemaa Bouhada, qui me présenta son ami le peintre Denis Martinez. Ce dernier parcoura la revue Partisan, que je venais d’acheter chez Maspéro et apprécia un poème de Nordine Tidafi intitulé Paix. Il  y avait aussi dans cette revue  un poème trouvé chez un soldat de l’ALN tué au maquis. Je m’aperçus que j’avais déjà lu ce poème et qu’il était de Malek Haddad.

Et la colombe, la paix revenue dira :

Qu’on me fiche la paix,

Je redeviens oiseau

Je me suis précipitais à la Joie de lire pour signaler l'erreur à Marie-Thérèse Maugis, l’épouse de Maspéro à l’époque qui me dit que l’erreur avait été signalée et qu’il était émouvant d’apprendre que des maquisards algériens aimaient la poésie.

 

         Le 5 juillet, Mouloud Belkebir, militant trotskyste et vraisemblablement membre de la fédération de France du FLN m’avait invité à venir fêter l’Indépendance  autour d’un couscous, il m’avait  donné rendez-vous au métro Bonne Nouvelle. J’hésitais à aller fêter cet événement,   vis-à-vis de ma famille qui si elle devait apprendre que je partage le couscous avec les indépendantistes,  en aurait été  blessée. Malgré tout, je décidais de me rendre  au lieu de rendez-vous, mais j’y arrivais trop tard et ne je ne pouvais rencontrer mes camarades. C’était sans doute un acte manqué. J’allais donc au quartier latin et je faisais le tour des restaurants algériens de la rue de la Huchette. Ils avaient tous pavoisé avec des drapeaux verts et blancs et l’on entendait des chants patriotiques algériens dont Min Djibellina, ce fameux chant qui commence par l’air de Sambre et Meuse. Un Algérien m’offrit le numéro spécial de l’Ouvrier algérien,   journal de l’UGTA, qui avait revêtu les couleurs du drapeau algérien. Je rentrais à midi au 64 où je retrouvais mes cousins, qui manifestaient leur tristesse. L’après-midi, je fis le tour des boulevards extérieurs et j’ai pu apprécier l’ambiance festive créée par les Algériens, boulevard de la Chapelle, Boulevard de la Villette, Belleville et Ménilmontant.

          Bien plus tard, Jean Pélégri me racontant cette fameuse journée du 5 juillet 1962 me dit  que ce jour-là, il était à la fois heureux de voir la fin de la guerre et les Algériens retrouvant leurs dignités, mais aussi triste de voir ses compatriotes français devant quitter l’Algérie ou y rester mais  dans un pays  devenu étranger. Il me dit avoir eu la visite de deux amis algériens : Mourad Bourboune  et Abdallah Benanteur qui lui dirent : « Jean, nous savons qu’aujourd’hui, c’est pour toi un jour difficile et nous ne voulions pas te laisser seul ce jour. »  Les trois amis firent un tour le soir sur les quais de Seine qui en ce temps du mois de juillet étaient très animés. Vers dix heure du soir, ils entendirent une voix crier : « Mourad ! Mourad ! » Mourad Bourboune se retourna et vit un de ses anciens camarades pied-noir qui venait de quitter l’Algérie. « Tu te souviens Mourad  du professeur de latin qui nous faisait apprendre des tirades de l’Enéïde ! » Et voilà que le jour de l’Indépendance de l’Algérie un Algérien et un Français se mettent à déclamer des vers de Virgile :

Arma virumque cano, trojae qui primus ab oris, italiam fato profugus Laviniaque venit..

Voir algériens et français se retrouver le jour de l’indépendance de l ‘Algérie sur les bords de la Seine pour réciter l’Enéide paraît surréaliste... Nous comprenons aisément  que le colonialisme n ‘a pas été entièrement négatif.

Le soir de ce 5 juillet, j’ai écouté les informations à la radio, pour savoir comment les manifestations s’étaient déroulées en Algérie. Les algérois ont manifesté leurs joies avec beaucoup de dignité. À Oran, par contre, il y eut des morts. On aurait tiré sur des manifestants,   et  des Européens furent massacrés. Ces troubles à Oran sont encore aujourd’hui  encore inexpliqués.

J’ai rejoint mes parents en Algérie, seulement en septembre 62 le jour où le peuple d’Alger manifestait aux cris de « Sebbaa snin Baraket ! » (Sept ans, c’est assez !).

 

                                                           Jean-Pierre Bénisti

 

Ali-pici-2.jpg

 

Partager cet article
Repost0