Aujourd'hui, nous apprenons le décès de Hocine Aït Ahmed. C'est le dernier des chefs historiques de la révolution algérienne.
Il est regrettable qu'il n'ait pu jouer un rôle politique important au lendemain de l'Indépendance de l'Algérie.
Il est un des rares hommes politiques algériens à avoir compris la position de Camus sur le conflit de l'époque.
Lors d'une émission de télévision de Jérome Garcin, où il participait aux côtès de Roger Quilliot, de Jean-Marie Rouart et Geneviève Brisac : Camus le juste, il s'exprima ainsi : " Entre deux communautés, il (Camus) a choisi le silence, (...) on le sent vibrer. Il est toujours sincère". La solution qu'il préconisait, à savoir la cohabitation, aurait été concevable si l'on n'avait pas gâché tant d'occasions de la mettre en oeuvre plus tôt. L'autonomie interne était dépassée, l'assimilation impossible. Son drame est de ne pas avoir eu de projet politique viable. Il parle de peuple arabe, de musulmans, pas de peuple algérien. Il ne peut pas penser l'identité nationale des Algériens, mais il aime charnellement la terre où il est né. Nous nous ressemblons beaucoup. (1)
Il participa au colloque de Nanterre de juin 85 : Camus et la Politique (2) et aux Rencontres méditerranéennes de Lourmarin de juillet 85 (3). À cette dernière manifestation , nous l'avions rencontré aux côtés de Jacqueline Lévi Valensi, André Abbou, Charles Poncet. Il avait chaleureusement salué mon père et avait félicité ma mère pour les bijoux kabyles qu'elle portait avec élégance.
Jean-Pierre Bénisti
(1) voir : http://www.etudes-camusiennes.fr/wordpress/wp-content/uploads/2012/03/bulletin009-juin1985.pdf`````Bulletin de la SEC n°9, juin 1985
(2) voir : Intervention au colloque de Nanterre in Camus et la politique : Actes du colloque de Nanterre, 5-7 juin 1985 , sous la direction de Jeanyves Guérin Éditions de l'Harmattan, 1986, pages 191-192
(3) voir : Hocine Aït Ahmed : Camus et le bicentenaire de la déclaration des droits l'homme in Albert Camus, une pensée, une oeuvre. Colloque de Lourmarin, 1er -10 août 1985, pages 105-110
GICLURES
à toutes les victimes
de la haine et de la barbarie
à toi rageusement troué(e) de balles
ton sang ici rejoint la noirceur de l’encre
pour aboyer ton Innocence
par la gueule noire de ton assassin-même
que le froid se consume
dans la flamme du givre
que la douleur éclate
dans le sel
et qu’enfin le pinceau tranche
d’un coup
ce nœud gordien
de la haine à son comble
giclures
pour exorciser l’obscur
giclures
pour que la nuit étoilée porte conseil
giclures
pour que la paix renaisse de tes cendres
giclures
Pour que la confiance règne sur terre
giclures
pour que l’amour triomphe
giclures
pour que la joie demeure
giclures encore
pour que le plaisir suprême fuse
Hamid TIBOUCHI
(1995)
Citations recueillis sur la toile
"La France incarne tout ce que les fanatiques religieux haïssent : la jouissance de la vie ici, sur terre, d'une multitude de manières : une tasse de café qui sent bon, accompagnée d'un croissant, un matin ; de belles femmes en robe courte souriant librement dans la rue ; l'odeur du pain chaud ; une bouteille de vin partagée avec des amis, quelques gouttes de parfum, des enfants jouant au jardin du Luxembourg, le droit de ne pas croire en Dieu, de ne pas s'inquiéter des calories, de flirter et de fumer, de faire l'amour hors mariage, de prendre des vacances, de lire n'importe quel livre, d'aller à l'école gratuitement, de jouer, de rire, de débattre, de se moquer des prélats comme des hommes et des femmes politiques, de remettre les angoisses à plus tard : après la mort. Aucun pays ne profite aussi bien de la vie sur terre que la France. Paris, on t'aime. Nous pleurons pour toi. Tu es en deuil ce soir, et nous le sommes avec toi. [...]. Les forces du mal vont reculer. Elles vont perdre. Elle perdent toujours."
New York Times
"Comme tu tiens à ta pureté, mon petit gars. Comme tu as peur de te salir les mains. Eh bien reste pur ! A quoi cela servira-t-il et pourquoi viens-tu parmi nous ? La pureté, c’est une idée de fakir et de moine.
Vous autres, les intellectuels, les anarchistes bourgeois, vous en tirez prétexte pour ne rien faire.
Ne rien faire, rester immobile, serrer les coudes contre le corps, porter des gants. Moi j’ai les mains sales. Jusqu’aux coudes.
Je les ai plongées dans la merde et dans le sang. Et puis après ? Est-ce que tu t’imagines qu’on peut gouverner innocemment ? "
JP Sartre
Les Mains sales
"Je veux vous dire tout de suite quelle sorte de grandeur nous met en marche. Mais c'est vous dire quel est le courage que nous applaudissons et qui n'est pas le votre. Car c'est peu de chose que de savoir courir au feu quand on s'y prépare depuis toujours et quand la course vous est plus naturelle que la pensée.
C'est beaucoup au contraire que d'avancer vers la torture et vers la mort quand on sait de science certaine que la haine et la violence sont choses vaines par elles-mêmes.
C'est beaucoup que de se battre en méprisant la guerre, d'accepter de tout perdre en gardant le goût du bonheur, de courir à la destruction avec l'idée d'une civilisation supérieure."
Albert Camus
Lettres à un ami allemand
« Écoutant, en effet, les cris d’allégresse qui montaient de la ville, Rieux se souvenait que cette allégresse était toujours menacée. Car il savait ce que cette foule en joie ignorait, et qu’on peut lire dans les livres, que le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais, qu’il peut rester pendant des dizaines d’années endormi dans les meubles et le linge, qu’il attend patiemment dans les chambres, les caves, les malles, les mouchoirs et les paperasses, et que, peut-être, le jour viendrait où, pour le malheur et l’enseignement des hommes, la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse ».
Albert Camus
La Peste
J'ai rêvé d'un pays où dans leur bras rompus les hommes avaient repris la vie comme une biche blessée, où l'hiver défaisait le printemps, mais ceux qui n'avaient qu'un manteau le déchiraient pour envelopper la tendresse des pousses, j'ai rêvé d'un pays qui avait mis au monde un enfant infirme appelé l'avenir… J'ai rêvé d'un pays où toute chose de souffrance avait droit à la cicatrice et l'ancienne loi semblait récit des monstres fabuleux, un pays qui riait comme le soleil à travers la pluie, et se refaisait avec des bouts de bois le bonheur d'une chaise, avec des mots merveilleux la dignité de vivre, un pays de fond en comble à se récrire au bien.
Et comme il était riche d'être pauvre, et comme il trouvait pauvres les gens d'ailleurs couverts d'argent et d'or ! C'était le temps où je parcourais cette apocalypse à l'envers, fermant l'œil pour me trouver dans la féérie aux mains nues, et tout manquait à l'existence, oh qui dira le prix d'un clou? mais c'étaient les chantiers de ce qui va venir, et qu'au rabot les copeaux étaient blonds, et douce aux pieds la boue, et plus forte que le vent la chanson d'homme à la lèvre gercée!
J'ai rêvé d'un pays tout le long de ma vie, un pays qui ressemble à la douceur d'aimer, à l'amère douceur d'aimer.
Aragon
Lait noir de l'aube nous le buvons le soir
le buvons à midi et le matin nous le buvons la nuit
nous buvons et buvons
nous creusons dans le ciel une tombe où l'on n'est pas serré
Un homme habite la maison il joue avec les serpents il écrit
il écrit quand il va faire noir en Allemagne Margarete tes cheveux d'or
écrit ces mots s'avance sur le seuil et les étoiles tressaillent il siffle ses grands chiens
il siffle il fait sortir ses juifs et creuser dans la terre une tombe
il nous commande allons jouez pour qu'on danse
Lait noir de l'aube nous te buvons la nuit
te buvons le matin puis à midi nous te buvons le soir
nous buvons et buvons
Un homme habite la maison il joue avec les serpents il écrit
il écrit quand il va faire noir en Allemagne Margarete tes cheveux d’or
Tes cheveux cendre Sulamith nous creusons dans le ciel une tombe où l'on n'est pas serré
II crie enfoncez plus vos bêches dans la terre vous autres et vous chantez jouez
il attrape le fer à sa ceinture il le brandit ses yeux sont bleus
enfoncez plus les bêches vous autres et vous jouez encore pour qu'on danse
Lait noir de l'aube nous te buvons la nuit
te buvons à midi et le matin nous te buvons le soir
nous buvons et buvons
un homme habite la maison Margarete tes cheveux d'or
tes cheveux cendre Sulamith il joue avec les serpents
II crie jouez plus douce la mort la mort est un maître d'Allemagne
il crie plus sombres les archets et votre fumée montera vers le ciel
vous aurez une tombe alors dans les nuages où l'on n'est pas serré
Lait noir de l'aube nous te buvons la nuit
te buvons à midi la mort est un maître d'Allemagne
nous te buvons le soir et le matin nous buvons et buvons
la mort est un maître d'Allemagne son œil est bleu
il t'atteint d'une balle de plomb il ne te manque pas
un homme habite la maison Margarete tes cheveux d'or
il lance ses grands chiens sur nous il nous offre une tombe dans le ciel
il joue avec les serpents et rêve la mort est un maître d’Allemagne
tes cheveux d’or Margarete
tes cheveux cendre Sulamith.
Paul Celan
"Viva la muerte!" beugla un soir de 1936 Milan Astray, le chef hideux des sinistres milices franquistes à la face de Miguel de Unamuno. Le vieux philosophe catholique s'est alors avancé et, bravant une foule assoiffée de sang, a dit en substance d'une voix blanche: "Vous ne représentez aucune civilisation, aucune religion, aucune culture, vous êtes la négation de tout cela, la négation de la vie".
"Vive la mort!" hurlent aujourd'hui les légions d'assassins de Daech. Ils ne sont pas plus l'islam que les phalanges étaient le christianisme. Ils sont les séïdes d'une idéologie politique - le fondamentalisme wahhabite, qu'il faut enfin nommer et combattre - qui se revendique d'une religion. C'est fort différent. Ils sont les hordes de la mort, les petits télégraphistes de la Grande Faucheuse, les apôtres d'un nihilisme que mon père passa sa vie à scruter, étudier, dénoncer.
Lutter, vaincre. Et, c'est notre rôle à tous, sauver cette vie qu'ils veulent détruire. Dire notre amour pour ce monde, cette société, cette ville, ces quartiers ensanglantés. Opposer notre police, notre armée, nos services aux tueurs - c'est crucial et "tendre l'autre joue" n'est pas envisageable- mais créer, aussi, une chaîne de résistance et de résilience entre nous tous.
Ils veulent rendre impossible toute vie en commun, tout lien social? Alors rencontrons-nous, échangeons sur ce qui nous lie entre nous et ce qui nous lie à ce pays merveilleux que nous avons tous en partage.
Ils veulent montrer que notre société - mélangée, libre, ouverte - est fragile? Elle l'est, c'est indéniable, mais il nous incombe de faire de cette fragilité une force. En montrant qu'elle résiste à tout, et d'abord à eux.
Il fallait combattre Astray, il faut combattre Al Bagdadi.
Il faut aussi retrouver les mots d'Unamuno. Et, aussi fort qu'ils hurlent à la mort, crier "Vive la vie!"
René Girard vient de disparaître. Ce grand penseur était très en vogue dans les années 70-80. Nous étions tous fascinés par sa théorie du désir mimétique et celle du bouc émissaire.
En juillet 2000, la Société des études camusiennes publiait son article sur l'Étranger.
http://www.etudes-camusiennes.fr/wordpress/wp-content/uploads/2012/04/bulletin055-juil2000.pdf`
Pour un nouveau procès de L'Etranger.
"Pour un nouveau procès de L'Etranger", tel est le titre d'un chapitre de l'ouvrage de René Girard, Critique dans un souterrain (L'Age d'Homme, Lausanne, Suisse, 1976, p. 112-142) ouvrage épuisé chez l' éditeur et dont nous avons pu nous procurer le tout dernier exemplaire à Paris). Ce texte était paru pour la première fois (en anglais, dans PMLA, LXXIX, December 1964); il avait été republié en français dans une traduction de Régis Durand et de l'auteur (Revue des Lettres Modernes, Albert Camus I, Paris 1968). Ce texte étant assez difficilement accessible, nous en donnons ci-après quelques extraits. René Girard ne fait pas une étude juridique du procès de Meursault, mais tente de comprendre la démarche de Camus à la lumière de La Chute, opposant Clamence à Meursaut, dont il ne serait pas la "conversion" mais le "double transcendant".
"... Le besoin de se justifier hante toute la littérature moderne du «procès». Mais il y a plusieurs niveaux de conscience. Ce qu'on appelle le «mythe» du procès peut être abordé sous des angles radicalement différents. Dans L'Etranger, la seule question est de savoir si les personnages sont innocents ou coupables. Le criminel est innocent et les juges coupables. Dans la littérature traditionnelle, le criminel est généralement coupable et les juges innocents. La différence n'est pas aussi importante qu'il le semble. Dans les deux cas, le Bien et le Mal sont des concepts figés, immuables : on conteste le verdict des juges, mais pas les valeurs sur lesquelles il repose.
La Chute va plus loin. Clamence s'efforce de démontrer qu'il est du côté du bien et les autres du côté du mal, mais les échelles de valeurs auxquelles il se réfère s'effondrent une à une. Le vrai problème n'est plus de savoir «qui est innocent et qui est coupable?», mais «pourquoi faut-il continuer à juger et à être jugé?». C'est là une question plus intéressante, celle-là même qui préoccupait Dostoïevski. Avec La Chute, Camus élève la littérature du procès au niveau de son génial prédécesseur.
Le Camus des premières oeuvres ne savait pas à quel point le jugement est un mal insidieux et difficile à éviter. Il se croyait en-dehors du jugement parce qu'il condamnait ceux qui condamnent. En utilisant la terminologie de Gabriel Marcel, on pourrait dire que Camus considérait le Mal comme quelque chose d'extérieur à lui, comme un «problème» qui ne concernait que les juges, alors que Clamence sait bien qu'il est lui aussi concerné. Le Mal, c'est le «mystère» d'une passion qui en condamnant les autres se condamne elle-même sans le savoir. C'est la passion d'Oedipe, autre héros de la littérature du procès, qui profère les malédictions qui le mènent à sa propre perte. [...]
L'étranger n'est pas en dehors de la société mais en dedans, bien qu'il l'ignore. C'est cette ignorance qui limite la portée de L'Etranger tant au point de vue esthétique qu'au point de vue de la pensée. L'homme qui ressent le besoin d'écrire un roman-procès n' appartient pas à la Méditerranée, mais aux brumes d'Amsterdam.
Le monde dans lequel nous vivons est un monde de jugement perpétuel. C'est sans doute le vestige de notre tradition judéo-chrétienne. Nous ne sommes pas de robustes païens, ni des juifs, puisque nous n'avons pas de Loi. Mais nous ne sommes pas non plus de vrais chrétiens puisque nous continuons à juger. Qui sommes-nous? Un chrétien ne peut s'empêcher de penser que la réponse est là, à portée de la main : «Aussi es-tu sans excuse, qui que tu sois, toi qui juges. Car en jugeant autrui, tu juges contre toi-même : puisque tu agis de même, toi qui juges». Camus s'était-il aperçu que tous les thèmes de La Chute sont contenus dans les Epîtres de saint Paul ? [...]
Meursault était coupable d'avoir jugé, mais il ne le sut jamais. Seul Clamence s'en rendit compte. On peut voir dans ces deux héros deux aspects d'un même personnage dont le destin décrit une ligne qui n'est pas sans rappeler celle des grands personnages de Dostoïevski."
René Girard - Critique dans un souterrain, Pour un nouveau procès de l'Etranger, p. 140-142.
Voir aussi son discours d'entrée à l'Académie française et la réponse de Michel Serres :
http://www.academie-francaise.fr/discours-de-reception-et-reponse-de-m-michel-serres
http://www.academie-francaise.fr/reponse-au-discours-de-reception-de-m-rene-girard
La Toussaint est, paraît-il, la fête de tous les saints. Moi, qui ignore tout de la sainteté, je ne sais plus à quel saint me vouer.
Je connais beaucoup de Noël, de Pascal et même des Ramdane, mais je connais peu de Toussaint.
Toussaint m’évoque des personnages célèbres Toussaint l’Ouverture, Toussaint Turelure ou encore Jean-Toussaint Désanti.
Toussaint l’Ouverture (1743-1803) est le libérateur de Haïti. Aimé Césaire lui a consacré un livre et lui rend hommage :
« Il y a un bon moyen d’apprécier son rôle, et sa valeur. C’est de lui appliquer le critère cher à Péguy : de mesurer de quel étiage il a fait monter le niveau de son pays, le niveau de conscience de son peuple. On lui avait légué des bandes. Il en avait fait une armée. On lui avait laissé une jacquerie. Il en avait fait une révolution ; une population, il en avait fait un peuple. Une colonie, il en avait fait un état ; mieux, une nation. Qu’on le veuille ou non : tout dans ce pays, converge vers Toussaint, et de nouveau irradie de lui. »
http://parolenarchipel.com/2015/04/07/ainsi-parlait-cesaire-de-toussaint-louverture-et-dhaiti/
http://www.herodote.net/Toussaint_Louverture_1743_1803_-synthese-403.php#
Toussaint Turelure est un personnage de la trilogie de Claudel (Un otage, le pain dur ou le père humilié. )
Quant à Jean-Toussaint Désanti (1914-2002), il fut philosophe, corse et communiste jusqu’à l’insurrection hongroise de 1956. On peut consulter de lui un texte
un texte intéressant : l’Obscène et les malices du signifiant
http://www.dado.fr/dado-peintre-desanti.php
Jean-Pierre Bénisti
L'actualité d'Emmanuel Berl (1) , m'incite à faire connaître cet article écrit par Berl en 1960 et publié dans la revue Évidences Janvier-Février 60
Voir Le monde des livres Emmanuel Berl et Lucien Rebatet : deux écrivains sous Vichy (Le Monde des livres 30.09. 2015)
http://www.lemonde.fr/livres/article/2015/09/30/emmanuel-berl-et-lucien-rebatet-deux-ecrivains-sous-vichy_4778439_3260.html#Ez5ZEKg4mm1giVSi.99