Autour de l'arbre immobile
l'ombre qui tourne
dessine sur le sol
le mouvement du jour.
C'est l'amorce
d'un cercle parfait
et tous les cercles se ressemblent
mais toutes les feuilles
sont différentes
Jean Tardieu
L'accent grave et l'accent aigu
Gallimard, 1986
Louis Bénisti : Vingt cinq ans déjà…
Le 1er mai 1995, à Evian, Louis Bénisti nous quittait dans le grand âge. (1) Malade depuis quelques mois, il m’avait demandé de le conduire à Evian, lieu qu’il affectionnait car il avait retrouvé dans la vision du lac Léman au nord avec au loin la rive helvète, un paysage analogue à celui qu’il voyait à Alger avec la mer devant et au loin la côte du cap Matifou. De plus, il avait retrouvé près d’Evian, son ami architecte Pierre-André Emery, qui originaire du canton de Vaud, avait longtemps vécu à Alger et avait aussi remarqué la parenté des paysages.
Né à El Biar, près d’Alger, le 15 mai 1903, avant la guerre 14. Le vingtième siècle n’avait pas encore commencé et lorsqu’il partit toujours en ce mois de mai, ce mois si riche en événements, le siècle était bien fini.
Louis, aimait se promener sur les hauteurs pour admirer le paysage et se reposer sur un banc de la plage d’Amphion, à l’ombre des pommiers d’où il voyait les estivants se livrer aux plaisirs de la baignade. Il était souvent accompagné de Solange, son épouse qui devait partir en octobre 1990 et qui appréciait aussi la région. De ce banc, il faisait souvent des croquis lui permettant ensuite de réaliser des peintures dans son atelier. Et les baigneuses du Léman ont rejoint les petites filles jouant à la marelle dans les ruelles d’Aix-en-Provence, les bateaux du port d’Alger et les femmes assises sur les canapés des bordels de la Casbah. .
Evian lui avait rendu un hommage en organisant en été 1990, une exposition de ses dernières œuvres. Jean de Maisonseul avait préfacé cette exposition et avait terminé sa préface par ce verset de Saint John Perse :
« Grand âge, vous mentiez : route de braise et non de cendre…la face ardente à l’âme haute, à quelle outrance courons-nous là ? Le Temps que l’on mesure n’est point mesure de nos jours. »
Cet anniversaire est particulièrement triste, cette année, où nous sommes tous confinés et dans l’impossibilité de nous réunir. Jacques Fribourg, neveu de Louis, vient de nous quitter, Encore enfant, Jacques admirait déjà l’œuvre de son oncle. (2) Cette admiration ne s’est jamais démentie Il m’avait aidé à organiser l’exposition consacrée à Louis Bénisti au Centre Culturel Algérien de Paris en février 2019(2). Il aimait particulièrement un bouquet de fleurs blanches (3), une peinture de 1942 que Max-Pol Fouchet avait remarqué lors d’une exposition à Alger en décembre 1942.
Jean-Pierre Bénisti.
http://www.aurelia-myrtho.com/2015/05/louis-benisti-vingt-ans-deja.html
http://www.aurelia-myrtho.com/2020/05/adieu-jacques.html
Adieu Jacques.
Mon cousin Jacques Fribourg vient de nous quitter. Médecin urgentiste dans une clinique de Trappes (Yvelines) il a succombé à des complications secondaires à une infection au Coronavirus, attrapée au cours de son travail.
Plus jeune que moi, je me souviens d’un petit garçon, qui avait déjà un sens de l’humour affirmé suscitant l’admiration de tout l’entourage.
Il n’était pas seulement le médecin admiré de tous ses collègues soignants, il était aussi un excellent musicien, passionné de musiques espagnoles ou latino-américaines. Il connaissait aussi très bien d’autres musiques populaires : arabo-andalouses, yiddish ou russes.
Je l’ai rencontré fréquemment ces derniers temps. Il m’avait aidé à l’accrochage de l’exposition de Louis Bénisti au Centre Culturel Algérien car il appréciait beaucoup l’œuvre de son oncle et avait dit à une de ses amies, qui travaillait sur Matisse : « Bon, j’admets que ce n’est pas Matisse, mais c’est un vrai artiste, (…), et il mérite d’être mieux connu. »
Jl voulait venir me rejoindre à Barcelone en mars, où j’ai présenté la correspondance ce Camus avec la famille Bénisti (1), à la librairie Jaimès. Il n’a pu venir et a été aidé ses camarades auprès des malades et il a rencontré ce fâcheux virus.
Sa famille, ses amis, tous ceux qui l’ont connu, éprouvent beaucoup de tristesse après sa disparition. Compte tenu de son parcours personnel et professionnel, sa mort dans l’exercice de sa fonction, donne un sens à sa vie.
Jean-Pierre Bénisti
Voir :
Covid-19 dans les Yvelines : immense émotion après la mort de l’urgentiste de Trappes - Le Parisien : 26 avril 2020
HOMMAGE. Covid-19 : ces soignants morts sur le front de l’épidémie - Le Parisien 27 avril 2020
Journal d'épidémie : «L'urgentiste Jacques Fribourg est mort, c'était mon ami» -par Christian Lehman Libération 27 avril 2020
(1) Albert Camus : Correspondance avec ses amis Bénisti 1934-1958. Éditions Bleu Autour, 03500 Saint Pourçain-sur-Sioule, 2019.
Mais le feu n’est-il point la fin même de l’arbre ? Quand son être devient tout atroce douleur, il se tord ; mais il se fait lumière et cendre pure, plutôt que de pourrir, miné par l’eau croupie, rongé par la vermine…
Paul Valery : Dialogue de l’arbre in Eupalinos. Gallimard
L’ ARBRE
C’est l’Arbre. Il est opaque, immobile, et vivant.
Il baigne dans le ciel, il trempe dans le vent.
Une nuit verte inonde en plein jour ses ramures.
La moindre brise en tire un millier de murmures
Et toujours quelque oiseau qui plonge dans l’air bleu ;
Puis, quand le crépuscule épaissit peu à peu,
Tel qu’une eau sous-marine et glauque, le silence,
Lentement il le boit comme une éponge immense.
Son front semble, le soir, se perdre au plus profond
De l’ombre, et par les nuits où les étoiles font
Luire au travers et scintiller leurs clartés blanches,
Il a l’air de porter tout le ciel dans ses branches.
Il se dresse touffu, secret, vertigineux :
Son tronc énorme est bossué d’énormes nœuds ;
De vifs surgeons verdoient à son pied centenaire ;
Chacun de ses rameaux semble un arbre ordinaire…
Quelle pensée auguste et douce habite en lui ?
Que rêves-tu, grande Ame encor jeune aujourd’hui
Qui l’occupes du fond des temples, et t’y recueilles ?
On le sent respirer, lent, de toutes ses feuilles…
Fernand Gregh : L’Arbre (Couleur de la vie)
L’ARBRE DE NUIT.
Feuille de platane
La nuit se souvient d’être un arbre
Fleur de tilleul
Un arbre en deuil
Fille d’automne
L’enfant se souvient d’être un arbre
Fils de printemps
Un homme passe-temps
Et l’arbre de la nuit cache lentement
Ses feuilles aux yeux des parents
Ses fleurs au creux des enfants.
Alain de Mazery : S’il vous plait. Éditions Seghers. Collection P.S. n°192
Aucun serpentement de lianes ou de cordes qui gêne le promeneur parmi la profusion de s-ces grands mâts nêgres ou créoles, du pied jusqu'à mi-hauteur encore lichhéneux.
*
Halle aux aiguilles odoriférantes, aux épingles à cheveux végétales, auditorium de myriades d'insectes, ô temple de la caducité (caducité des branches et des poils) dont les cintres, auditorium- solarium de myriades d'insectes - sont supportés par une forêt de mâts séniles tout frisés, licheneux comme des vieillards créoles...
Lente fabrique de bois, de mâts, de poteaux, de perches, de poutres.
Forêt sans feuilles, odoriférante comme le peigne d'une rousse.
*
Si les feuilles ressemblent à des plumes, les aiguilles de pins ressemblent à des poils;
*
Le pin n'est-il pas l'arbre qui fournit le plus de bois mort ?
Francis Ponge : Le carnet du bois de pins. Mermod, Lausanne, 1947
Celui qui entre par hasard dans la demeure du poète
Celui qui entre par hasard dans la demeure d'un poète
Ne sait pas que les meubles ont pouvoir sur lui
Que chaque nœud du bois renferme davantage
De cris d'oiseaux que tout le cœur de la forêt
Il suffit qu'une lampe pose son cou de femme
À la tombée du soir contre un angle verni
Pour délivrer soudain mille peuples d'abeilles
Et l'odeur de pain frais des cerisiers fleuris
Car tel est le bonheur de cette solitude
Qu'une caresse toute plate de la main
Redonne à ces grands meubles noirs et taciturnes
La légèreté d'un arbre dans le matin.
René Guy Cadou
Hélène ou le Règne Végétal
Seghers, 1981