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22 avril 2021 4 22 /04 /avril /2021 07:40

Un samedi d’Avril 1961 à Alger. Yamina, notre femme de ménage, qui avait l’habitude de venir faire le ménage chez nous le matin de bonne heure, en nous apportant le quotidien du matin arriva en nous disant : « Macache Journal, aujourd’hui. » L’absence du quotidien était inquiétante. Mon père mit la radio que nous n’écoutions que dans les grandes occasions et l’on entendit un communiqué nous apprenant que les généraux Challe, Jouhaud, Zeller et Salan avaient pris le pouvoir en Algérie en vue de continuer le combat pour éviter l’abandon du pays. L’Algérie venait de faire sécession selon un scénario proche de celui du 13 mai 1958.  Nous étions très anxieux et nous nous demandions comment les choses allaient tourner. L’Algérie devenait un canon braqué sur la France. Une prise de pouvoir par les militaires semblait possible en France, si l’armée devait basculer entièrement du côté des auteurs de ce pronunciamiento et le spectre de la guerre civile type guerre d’Espagne revenait. Dans la matinée de ce 22 avril, à la sortie du lycée je rencontrais mon camarade Charles Sfar qui me dit : « Fais attention Jean-Pierre ! Si j’ai un conseil à te donner, il est bref : tu la fermes ! Et dis-toi bien qu’aujourd’hui, il n’y a qu’une chose qui doit compter pour toi, c’est d’obtenir ton bac et dans cette période troublée c’est important de l’obtenir. » Je voudrais le remercier de ce conseil qui m’a rendu service... Je continuais à aller au lycée comme d’habitude, j’entendais les élèves satisfaits du putsch, ironiser sur le discours de De Gaulle se terminant par « Françaises, français, aidez-moi ! » et sur celui de Debré appelant à se rendre à pied et en voiture, mais pas à cheval !)  aux aéroports dès que les sirènes retentiraient.

Le mardi 25 avril, mon père revint du lycée très affecté : des parachutistes en armes étaient rentrés dans le lycée et avaient arrêté trois collègues : Bonici, professeur d’histoire, Burel, professeur de dessin et Claude Oliviéri, professeur de lettres. Ils avaient dû être incarcérés. Mon père nous dit qu’il s’était plaint auprès du proviseur de l’entrée de parachutistes dans l’enceinte du lycée sans l’autorisation du recteur. Le proviseur lui ayant répondu : « Qu’est-ce que vous voulez que je fasse, devant des mitraillettes1. » Par ailleurs on a appris qu’alors que des professeurs étaient incarcérés pour leurs idées, les tueurs à gage, assassins de Maître Popie, étaient libérés.

Alors que je travaillais assez tard dans la nuit, mes parents ne s’étaient pas couchés et étaient pendus aux nouvelles à la radio. Ils écoutaient un très vieux poste de TSF (comme on disait à l’époque) qui captait des émissions émises depuis le continent européen. Ils apprirent que l’armée régulière avait repris le contrôle de l’Algérie, grâce à l’action des militaires du contingent. Il devait être minuit et nous ne dissimulions pas notre satisfaction. Dans la rue on entendait des hommes et des femmes en larmes qui avaient cru à la réussite du putsch. Malgré notre satisfaction, nous comprenions le désespoir exprimé par nos compatriotes.

Le lendemain, alors que j’étais dans la classe de Monsieur Weiss qui nous parlait de Pascal, des élèves se regroupaient et manifestaient dans la cour du lycée au cri de : Algérie Française ! De Gaulle salaud ! Debré culo2 ! Puis ils entonnèrent la Marseillaise. Le professeur dut interrompre son cours. Peu rassuré, je sortis dans la cour et voyant Monsieur Chambon, mon professeur d’éducation physique, je lui demandais de me faire sortir du lycée. Grâce à ce professeur, je pus m’échapper du lycée par une porte dérobée

Nous avons su que des soldats du contingent démobilisés qui s’étaient embarqués sur un bateau, avaient quitté Alger en chantant la chanson d’Édith Piaf : Non, je ne regrette rien.  Le refrain de cette chanson est, selon les freudiens, une dénégation. Autant dire que les regrets se ramassaient à la pelle !

Le lycée devait fermer huit jours en raison de l’agitation des élèves.

Pierre Grou et Denis Thomas vinrent me rendre visite et m’apprirent que nous l’avions échappé belles : L’OAS avait l’intention de mobiliser tous les jeunes de plus de dix-huit ans. J’ai bien retenu cela et j’en ai plus tard tenu compte. Quand en septembre 1962, je lus dans le Monde un communiqué de l’ex-général Salan, chef de l’OAS, qui les jeunes français d’Algérie de plus de dix-huit ans devaient se considérer, comme des soldats mobilisés sur place, je pris la décision de quitter l’Algérie, ne voulant pas avoir à obéir à des généraux félons.

Le samedi 29 avril, devait être organisé l’inauguration de la stèle de Tipasa, qui venait d’être scellée.  Ce monument a été érigé sur le promontoire qui correspond à la nécropole de l'Évêque Alexandre, dans le parc des ruines de Tipasa.

Courant mai, nous avons été invités à une   projection privée du film de Jean-Marie Drot consacré à Camus, qui avait lieu dans les nouveaux locaux de la RTF sur les hauteurs d’Alger. Il y avait Charles Poncet, Jean de Maisonseul, Louis et Jeanne Miquel, Jean-Pierre et Jeanne Faure, Edmond Charlot et des personnes qui devaient disparaître bientôt : Sauveur Galliero nous confia qu’il se sentait très fatigué. On ne savait pas encore qu’il était atteint d’une leucémie et qu’il devait s’éteindre au printemps 1963. René Sintès3, peintre de talent de père français et de mère algérienne devait disparaître en avril 1962, on ne sut jamais dans quelle condition. Mouloud Feraoun fut assassiné par l’OAS le 15 mars 1962.

J’avais montré aux amis les photos que j’avais faites à Tipasa et celles du graphito de l’OAS qui avaient d’ailleurs particulièrement amusé notre ami Feraoun.

Le film de Jean-Marie Drot était très réussi et il est dommage qu’il n’ait pas été archivé.  Il y avait des entretiens avec Roger Grenier, Brice Parain, Manes Sperber, Suzanne Agnelli qui était la secrétaire de Camus, mais aussi le Pasteur de Lourmarin Philippe Jecquier et le forgeron de Lourmarin Reynaud qui nous dit : « Quel homme sympathique, ce Monsieur Camus et vous voulez que je vous dise franchement, je crois qu’il aimait beaucoup le théâtre. » Lorsque je vins à Lourmarin en août 1961, j’appris que ce forgeron venait de succomber à une crise cardiaque. Mouloud Feraoun4 parla de Camus avec beaucoup de sincérité de celui qui disait « qu’il a mal à l’Algérie comme d’autres ont mal aux poumons. » 

Après quelques pourparlers secrets, le FLN acceptait de dialoguer avec le gouvernement français dans le but d’aboutir à un cessez-le-feu. Le ministre des Affaires algériennes Louis Joxe devait organiser une conférence à Évian. Cette ville avait été choisie en raison de ses capacités hôtelières et de sa proximité avec la Suisse. Roland Bacri dans le Canard enchaîné fit son calembour sur Évian : Évian bonne eau, besef   Avant l’ouverture de la conférence, le maire d’Évian Camille Blanc devait être assassiné. L’OAS frappait en France de façon particulièrement imbécile. Le maire d’Évian était une personne tout à fait respectable. Dix ans plus tard, fin 1970 je devais travailler comme stagiaire interné à l’hôpital d’Évian portant  le nom de Camille Blanc. La conférence fut interrompue très vite, officiellement à cause du Sahara, en fait il s’agissait sans doute de désaccord interne entre dirigeants du FLN. Et quelques mois après, le GPRA devait changer de président : le pharmacien Ferhat Abbas sera remplacé par un autre pharmacien Ben Youcef Ben Khedda.

(…)

Après le 22 avril 1961, l’histoire s’accéléra et l’Algérie devint indépendante en juillet 1962.  Beaucoup d’eau a coulé sous le pont Mirabeau et aussi beaucoup de larmes et de sang.

Un samedi de juin 1965 à Alger. Yamina, qui avait l’habitude de venir faire le ménage chez nous le matin de bonne heure, en nous apportant le quotidien du matin arriva en nous disant : « Macache Journal, aujourd’hui. »  L’absence du quotidien était inquiétante. Mon père mit la radio que nous n’écoutions que dans les grandes occasions et l’on entendit un communiqué laconique nous informant que l’armée avait pris le pouvoir à Alger. Le putsch, cette fois-ci avait réussi, ce n’était pas un quarteron de généraux, ce n’était qu’un colonel !

 

                                                           Jean-Pierre Bénisti

 

Notes :

 

1. Voir : Claude OLIVIÉRI : Je me souviens…In Jean SPRECHER À contre-courant, éditions Bouchène., 2001, page 173.

2. culo : mot espagnol signifiant cul. En Algérie, insulte désignant un pédéraste.

3. René Sintès. Peintre franco-algérien, ami de Maisonseul, Edmond Charlot et JAR Durand, disparu en mai 1962.

        4.. Mouloud FERAOUN : Albert Camus, Les Lettres Françaises, n° 922, 22 mars 1962.on pourra voir la séquence du film de J.-M. Drot sur :

http://www.dailymotion.com/video/x2jnsy_mouloud-feraoun-a-propos-du-silence_news

Voir blog : à propos de Mouloud Féraoun, 24 mars 2011

http://www.aurelia-myrtho.com/article-a-propos-de-mouloud-feraoun-70123941.html

 

 

 

 

 

 

Mur Alger 1961 Photo JPB

Mur Alger 1961 Photo JPB

Mur Alger  2013 Photo JPB

Mur Alger 2013 Photo JPB

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18 avril 2021 7 18 /04 /avril /2021 17:11

 

       La cour de cassation a confirmé l’irresponsabilité de l’assassin de Madame Sarah Halimi. Je sais bien qu’il n’est pas d’usage de commenter les décisions de justice. Il n’empêche que les jugements scandaleux existent. Tout le monde se souvient de l’acquittement de l’assassin de Jean Jaurès ou des procès de Riom, où les juges faisaient allégeance à un honteux Maréchal

Je me suis déjà exprimé sur ce sujet dans ce même blog  (1)

 

Des journalistes ont fait part de l’émotion de la communauté juive. Je crains que ces s journalistes ne se sont même pas rendu compte qu’ils ont dit que les personnes ne faisant pas partie de le communauté juive n’ont pas été émus.

 

Je tiens à faire part de mes interrogations, car je ne suis pas du tout satisfait de l’explications donnés par les médias de ce jugement.

 

1° L’auteur du meurtre est-il actuellement dans un état délirant et dans ce cas, il n’est pas en état de comparaître en cours d’assise et on peut le déclarer irresponsable. Mais je pense que ce n’est pas le cas.

2° Si le meurtrier est actuellement sain d’esprit et qu’il était lors du meurtre atteint d’une bouffée délirante, plus ou moins induite par l’absorption de substances illicites. Cela est possible, vu les qualités des experts en matière de diagnostic rétrospectif.  Dans ce cas, je ne comprends pas pourquoi le tribunal n’autorise pas un procès.

Cet individu manquerait de discernement. Mais alors, le mobile antisémite, ayant été retenu. Je constate que ce monsieur sait très bien distinguer les juives des non-juives. Il y a beaucoup de personnes tout à fait normales qui ont beaucoup de difficulté à faire cette distinction.

Crier que Dieu est grand, après avoir effectué un crime est tout à fait responsable.
D’ailleurs l’un des experts auraient admis que la capacité de discernement de l’individu avait sa capacité de discernement altérée, mais non abolie.

 

Enfin ce procès avait une nécessité sociale. Des personnalités prestigieuses comme Élisabeth Badinter ou Alain Finkielkraut ont réclamé la tenue d’un procès. Le Président de la République s’est d’ailleurs exprimé, à titre personnel, sur ce sujet. J’espère que ces Messieurs de la Cour de Cassation, n’ont pas agi pour manifester leur indépendance par rapport au pouvoir exécutif.

Un procès aurait eu un rôle  pédagogique. Il aurait permis au public de comprendre les désastres du racisme et de l'antisémitisme. Il aurait eu aussi un rôle thérapeutique, non seulement pour les victimes, mais aussi pour le meurtrier, car si ce monsieur souffre de troubles psychologiques, un procès aurait eu pour lui une action thérapeutique, nettement plus adéquate q'un internement.

 

La tenue d’un procès aurait permis de comprendre ce qui s’est réellement passé. Et comme disait Paul Ricœur : « Il y a peut-être des victimes dont la souffrance crie moins vengeance que récit. »

 

                                                           Jean-Pierre Bénisti

 

  1. https://www.aurelia-myrtho.com/2019/12/de-l-usage-pervers-de-la-psychiatrie.html
PhotoJPB

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10 avril 2021 6 10 /04 /avril /2021 07:18

Le débarquement allié en Afrique du Nord le 8 novembre 1942 (opération Torch), qui réussit grâce à la neutralisation des forces de Vichy par l’action de la Résistance française en Afrique du Nord, représente un tournant majeur de la Seconde Guerre mondiale, avec la bataille de ­Guadalcanal dans le Pacifique et celle de Stalingrad. Près de quatre-vingts ans après, il paraît important de revenir sur cet événement qui reste peu étudié en France. Comme la France métropolitaine, l’Afrique du Nord est prise en tenaille entre collaboration et vichysme d’un côté, et Résistance de l’autre. Le contexte est essentiel pour les orientations que prendra plus tard le mouvement national algérien.

Le but de cet ouvrage est d’éclairer le déroulement du 8 novembre 1942, afin de mieux en comprendre les développements historiques et politiques ainsi que les représentations socio-culturelles et artistiques du moment.

Sous la direction de Nicole Cohen-Addad, Aïssa Kadri et Tramor Quemeneur

 

 

 

 

Table des matières

Remerciements 

Présentation du colloque et de ses actes, Tramor Quemeneur

Avant-propos, Nicole Cohen-Addad

Introduction. Du débarquement aux prodromes de la décolonisation, Tramor Quemeneur

PREMIÈRE PARTIE. Le contexte maghrébin dans la Seconde Guerre mondiale

L’ Afrique du Nord dans la guerre 1939-1945, Christine Levisse-Touzé

Le décret Crémieux et son abrogation : Implications pour les participants au 8 Novembre 1942, Ethan Katz

Les chemins variés de la Résistance vers le 8 Novembre 1942 : Juifs et Musulmans, Ethan Katz

DEUXIÈME PARTIE. L’organisation de la Résistance

Analyse sociohistorique des acteurs du 8 novembre 1942, Nicole Cohen-Addad et Tramor Quemeneur

La police à Alger, 8 novembre 1942 : Les oubliés de la « victoire oubliée », Luc Rudolph

Les services polonais de renseignements en Afrique du Nord, Jean Medrala

Les acteurs du débarquement de 1942 en Afrique du Nord dans les archives orales du Service historique de la Défense, Romain Choron

TROISIÈME PARTIE. Les camps d’internement et de travaux forcés

Les camps d’internement en Afrique du Nord et au Sahara (1941-1944), Jacob Oliel

Panorama de l’internement des communistes en Afrique du Nord pendant la Seconde Guerre mondiale, Tramor Quemeneur

L’internement en Algérie (1939-1943) : témoignages de républicains espagnols, Bernard Sicot

Les « Pionniers Israélites », tout un programme,  Nicole Cohen-Addad

QUATRIÈME PARTIE. Le débarquement et ses répercussions

« Le plus dangereux des intangibles » : Le point de vue américain sur l’ Afrique du Nord française novembre 1942, Douglas Porch

Les Britanniques entre Washington, Vichy et de Gaulle, Robert Gildea

Le débarquement allié en Algérie Perspectives algériennes, les années 1940, Aïssa Kadri

La France combattante au cœur du maelström, Guillaume Piketty

Le débarquement allié du 8 novembre 1942 dans la presse clandestine de la Résistance française en métropole, Guy Krivopissko

CINQUIÈME PARTIE. La vie intellectuelle et le 8 Novembre 1942

La vie culturelle en Algérie dans les années 1940, Yahia Belaskri

La guerre, moment fort des éditions Charlot, Guy Basset

Albert Camus et ses camarades militants du PCA : d’un Front-populisme de combat au pacifisme et à la Résistance, Christian Phéline 241

Fontaine en 1942, François Vignale

Les artistes à Alger durant la Seconde Guerre mondiale, Jean-Pierre Bénisti

L’École d’ Alger, Françoise Assus Juttner

Marguerite Caminat en son temps ou la « découverte » de Baya, Anissa Bouayed, 

Conclusions

Écrivains et artistes dans la vie culturelle en Algérie autour de la Seconde Guerre mondiale, Anissa Bouayed

Lectures d’hier, chantiers de demain, Robert Gildea

Postface, Aïssa Kadri

Cahier-couleurs

Liste des contributeurs

Le débarquement allié en Afrique du Nord le 8 novembre 1942 (­opération Torch), qui réussit grâce à la neutralisation des forces de Vichy par l’action de la Résistance française en Afrique du Nord, représente un tournant majeur de la Seconde Guerre mondiale, avec la bataille de ­Guadalcanal dans le Pacifique et celle de Stalingrad. Près de quatre-vingts ans après, il paraît important de revenir sur cet événement qui reste peu étudié en France. Le débarquement se déroule sur un territoire qui est alors français : l’Algérie est constituée de départements, le Maroc et la Tunisie sont des protectorats. Comme la France métropolitaine, l’Afrique du Nord est prise en tenaille entre collaboration et vichysme d’un côté, et Résistance de l’autre. Des singularités marquent les modes et les formes de résistance en Afrique du Nord, entre autres la diversité politique des acteurs du débarquement du 8 novembre 1942. Si la Résistance et la collaboration ont leurs formes propres sous les colonies, les mémoires sont aussi différentes. Le contexte est essentiel pour les orientations que prendra plus tard le mouvement national algérien.

Le but de ces contributions est d’éclairer le déroulement des événe- ments autour du débarquement allié du 8 novembre 1942, afin de mieux en comprendre les développements historiques et politiques ainsi que les représentations socio-culturelles et artistiques du moment.

C’est ainsi que des chercheurs français, anglais, américains et algériens se sont retrouvés aux Invalides à Paris autour de cet événement majeur de la Seconde Guerre mondiale.

Sous la direction de :

Nicole Cohen-Addad : réalisatrice d’archives orales, présidente de l’association Les Compagnons du 8 Novembre 1942 - Actes de Résistance - Mémoire et Recherche

Aïssa Kadri : professeur émérite des universités à l’université Paris 8, associé au CNAM - Centre National des Arts et Métiers

Tramor Quemeneur : docteur en histoire. Enseignant à l’université Paris 8 et à CY Cergy Paris Université, membre du Musée national de l’histoire de l’immigration.

 

 

https://editions-croquant.org/hors-collection/724-8-novembre-1942-resistance-et-debarquement-allie-en-afrique-du-nord.html?fbclid=IwAR275FHPvmqBi33imN5pKBbEqEsVGuzvc5q6_rkpyW6ZXvP8AVsaMylC_eU

 

8 novembre 1942. Résistance et débarquement allié en Afrique du Nord
Port d'Alger !Rampe Tafourah) 1940-50

Port d'Alger !Rampe Tafourah) 1940-50

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3 avril 2021 6 03 /04 /avril /2021 15:18

Il y a soixante ans, le 4 avril 1961, était inauguré à Orléansville (aujourd’hui Chlef), le Centre Culturel Albert Camus. Ce centre avait été conçu dans le cadre du plan de reconstruction d’Orléansville après le séisme de 1954. Camus qui s’était rendu à Orléansville avait fait part à Miquel et Simounet de ses observations sur un projet de théâtre au sein de ce centre1...À l’occasion de l’ouverture de ce centre, il y, eut quelques manifestations artistiques. Mon père, le peintre Louis Bénisti, qui avait travaillé avec Miquel et Emery au théâtre de l’Equipe d’Albert Camus dans les années 30, avait de nouveau aider Miquel en organisant une exposition de peintres amis de Camus. Parmi les artistes qui exposaient, il y avait Galliero, De Maisonseul, Assus, Caillet, Clot, Degueurce, Suzanne Delbays, Thomas-Rouault, Marie Viton, Étienne Chevallier, Maurice Girard, Nicole Algan, Bénisti….

Le centre n’était pas un théâtre traditionnel, mais un lieu de théâtre, ressemblant aux Maisons de la Culture, que Malraux devait promouvoir dans les années 60 à Chalons sur Saône, Bourges, Thonon, ou Grenoble. Louis Bénisti nous dit dans un entretien de 1990 :: « il est à noter que Miquel et Simounet se sont  mis d’accord pour mettre sur pied toutes les initiatives théâtrales que Camus, Miquel et Simounet, Émery avaient réunis en étudiant non seulement le théâtre à l’Italienne, le cirque romain, le théâtre japonais, le théâtre oriental et ils avaient essayé de réunir tous ces éléments pour faire ce qu’on pourrait appeler un lieu culturel et c’était véritablement un lieu culturel dans lequel il y avait différentes possibilités de manifestations théâtrales. Il est à noter toutefois que je ne sais pour quelles raisons, à cause peut-être du caractère de Simounet et de Miquel et d’Émery aussi, qui certainement avait participé à la réflexion de ce théâtre, ce théâtre  a été bâti avec un certain rigorisme, un certain puritanisme, on pourrait dire que par exemple il y avait une scène qui se déployait devant un amphithéâtre un peu à la romaine, mais un amphithéâtre de béton avec une circulation, mais point de velours et point de fauteuils et point de coussins, chacun  devant apporter les commodités de son siège. »  Il y avait aussi un théâtre de plein air devant la piscine « sur un théâtre extérieur qui était organisé toujours avec des gradins surplombant un théâtre aquatique constituant une piscine d’un très beau dessin et sur laquelle on pouvait organiser des représentations nautiques. Et ça c’était très beau. »2 La cérémonie d’inauguration commençait à onze heures par un discours de Poncet prononcé dans le théâtre de plein air devant la piscine. Poncet retraça le passé algérien d’Albert Camus et insista sur son intérêt pour la reconstruction d’Orléansville et que « depuis le 4 janvier 1960, son souvenir nous accompagne chaque jour », il cita Morvan Lebesque qui considérait Camus comme « le dernier des Justes. ». L’après-midi nous avions assisté à une série de spectacles de théâtre des pièces qui venaient d’être mis en scène avec des jeunes stagiaires du Centre. Il y avait d’abord Meurtre dans la Cathédrale de TS Eliot, mis en scène par Jean Rodien dans le théâtre couvert, puis un spectacle en langue arabe de Ould Abderramane Kaki, avec beaucoup d’intermèdes musicaux et chorégraphiques, puis nous sommes sortis du théâtre couvert pour assister à la représentation de la Mégère apprivoisée de Shakespeare en langue arabe, mise en scène par Kamel Babadoun, dans le théâtre de plein air devant la piscine. Le spectacle  se terminera par une plongée des acteurs dans la piscine... Nous sommes de nouveau retournés dans le théâtre couvert où la troupe des Capucines présentait un spectacle pantomime : un conte bulgare, un ballet sur une musique de Duke Ellington. Cette troupe des Capucines était dirigée par Françoise Becht, qui devait devenir la première femme de Simounet. Il y avait dans cette troupe Boudjemaa Bouhada, qui, peu après, devait rejoindre la troupe parisienne de Jean-Marie Serreau et jouer dans les pièces de Kateb Yacine. Il t mourut prématurément en juin 1990. Après un entracte pour nous permettre de nous restaurer, nous devions voir le soir une représentation de Prométhée enchaîné, dans une mise en scène d’Henri Cordreaux.

Au cours de cette journée nous avons beaucoup échangé. Nous avons vu notamment les Perrin, qui avait été le condisciple de Camus et Fréminville dans la classe d’hypokhâgne du Lycée d’Alger3.). Nous ne nous doutions pas que trois mois plus tard Maurice Perrin devait être assassiné par un commando de l’OAS. 

Peu de temps, après l’inauguration du ce centre culturel, sera inauguré à Tipasa, le 29 avril, la stèle à la mémoire de Camus gravé par Louis Bénisti. Sur cette pierre romaine était gravée une phrase de Camus : Je comprends ici ce qu’on appelle gloire, le droit d’aimer sans mesure.4 »

Je suis retourné en 1965 à Orléansville devenue El Asnam après l’Indépendance. Le centre était ouvert et il semblait avoir quelques modestes activités. J’en informais Miquel au cours d’un passage à Paris qui semblait rassuré de l’utilisation de son théâtre. 

Monsieur Maurice Besset, spécialiste de l’architecture moderne et ancien conservateur du musée de Grenoble fit une visite en Algérie indépendante uniquement pour voir les œuvres de Miquel et de Simounet 5

En 1980 un nouveau séisme atteignit la plaine du Chélif et devait atteindre Orléansville devenue depuis l'Indépendance, El Asnam. Et comme pour essayer d’oublier cette catastrophe El Asnam devint alors Chlef. Beaucoup de bâtiments furent détruits, le Centre résista. Louis Miquel aurait voulu revoir l’état de son œuvre, mais il ne put réaliser ce voyage. 

J’ai appris que le Centre Camus était devenu le Centre Larbi Tebessi, du nom du fondateur avec le Cheikh Ben Badis, de la société des Oulémas. Je voudrais signaler à ces honorables fonctionnaires qui ont pris la responsabilité de débaptiser le bâtiment, que Albert Camus fut un jour le défenseur d’un ouléma le Cheikh El Okbi, lorsqu’il avait été incarcéré par l’administration coloniale. Ce changement de nom est un acte tout à fait imbécile et inamical, car Camus avait contribué à la conception de ce centre et les architectes Miquel et Simounet ont été des amis de Camus. Et pourquoi mettre en conflit posthume Camus avec Larbi Tebessi ?

            Nous avions perçu au cours de cette réunion d’inauguration à Orléansville qu’une Algérie ouverte et fraternelle était encore possible. Les jours suivants cette journée devaient être de plus en plus noirs.  

  

Jean-Pierre Bénisti

  

NOTES : 

  

  1. Voir Roland SIMOUNET : Traces écrites. Pézénas, éditions Domens, 1996 
  2. Voir Entretien de Louis Bénisti avec Jean-Pierre Bénisti (inédit) 
  3. Voir ; JPB La Khâgne du lycée d’Alger (article du mars 2011 sur ce Blog) et in Louis Bénisti : On choisit pas sa mère p.169-170. L'Harmattan. Paris 2016
  4. Voir Jean-Pierre Bénisti :  Bénisti, Camus et Tipasa : Actes du colloque de Tipasa, d’Avril 2006  organisé sous la direction d’Afifa Bererhi; Albert Camus et les lettres algériennes, l’espace de l’interdiscours  p. 493-503. Blida, éditions du Tell, 2007
  5. Maurice Besset (1921-2008) historien d’art proche de Le Corbusier auteur de Nouvelles architectures françaises, Ed ; Niggle et Teufeu, Suisse1968. Voir André Fermigier : Les bâtisseurs clandestins Le Nouvel Observateur, 17 avril 1968. « Les réalisations les plus brillantes de l’architecture française contemporaine  se situent peut-être hors de France, en Afrique du Nord, par exemple (…) où Jean Bossu, Louis Miquel et Roland Simounet, l’Atelier d’Urbanisme et d’architecture, ont construit des édifices sociaux ou culturels tout à fait remarquables. »

VOIR AUSSI :  

1.Çeux qui dérangent leurs contemporains ; L'Architecte Louis MIquel. Revue CRÉÉ : n°25 juin-juillet 1975.p.37-45

2. Louis Miquel : Centre Albert Camus. El Asnam. Revue Tecniques et Architectures. Février -Mars 1980.p.62-63

3. Roland Simounet . Monographie d'architecture . La Moniteur 1985. Réédition 1997.

4. Jean-Pierre Bénisti :  Camus et les architectes d'Alger. Présence d'Albert Camus. n°6 2014 p;82-92

5. Jean-Pierre Bénisti :; Souvenirs sur Louis Miquel  in Maîtres carrés. Catalogue de l'exposition Miquel -Marmotte du Musée de Besançon en novembre 2018. p.150-163

5. Albert Camus : Correspondance avec ses amis Bénisti. Bleu Autour; Saint Pourçain 2019

6. Soraya Bertaud de Chazeaud : Aujourd’hui à Chlef le centre Larbi Tebessi, hier à Orléansville le centre Albert-Camus (1955-1961), Livraisons d’histoire et d’architecture.39,2015   https://doi.org/10.4000/lha.560

7.Louis Miquel  Cité de l’architecture Notice Biographique https://archiwebture.citedelarchitecture.fr/pdf/asso/FRAPN02_MIQLO_BIO.pdf

Le Centre Culturel Albert-Camus d'Orléansville (aujourd'hui Chlef) ( 60 ans déjà)  Nouvelle édition.
Le Centre Culturel Albert-Camus d'Orléansville (aujourd'hui Chlef) ( 60 ans déjà)  Nouvelle édition.
La piscine du Centre Camus . On reconnaît le metteur en scène Henri Cordreaux. Photo JPB

La piscine du Centre Camus . On reconnaît le metteur en scène Henri Cordreaux. Photo JPB

Le jour de l'inauguration : Louis Bénisti avec Louis et Jeanne Miquel. Photo Jean Degueurce.

Le jour de l'inauguration : Louis Bénisti avec Louis et Jeanne Miquel. Photo Jean Degueurce.

Photo Jpb

Photo Jpb

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6 mars 2021 6 06 /03 /mars /2021 17:43

 

Beaucoup de parisiens et de visiteurs ignorent la statue phallique qui se trouve sur le Pont de la Tournelle et qui représente Sainte Geneviève. Cette statue est l'oeuvre de Paul Landowski, le sculpteur du Monument aux morts d'Alger et du Christ de Rio. 

L'efficacité de ce monument, qui était censé protéger Paris de futures invasions, comme la Sainte avait protégé la capitale lors de l'invasion des Huns, est très discuttable. 

Louis Bénisti, qui a peint beaucoup les ponts de Paris au cours de ses séjours à Paris, jugeait ce monument tout à fait  incongru. Il ne l'a pas représenté dans son tableau.  

  

Jean-Pierre Bénisti

Pont de la Tournelle
Pont de la Tournelle
Le Pont de la Tournelle par Louis Bénisti (1953)

Le Pont de la Tournelle par Louis Bénisti (1953)

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23 février 2021 2 23 /02 /février /2021 10:45

Toutes les grandes figures de la poésie et de la chanson qui ont bercés notre enfance fichent le camp.

Après Anne Sylvestre, c’est Hélène Martin qui s’en va.

Mes relations avec cette chanteuse remontent à très loin.

J’avais acquis vers 1960, alors que j’étais encore au lycée, un petit disque où sur une face Hélène chantait des poèmes d’Éluard qu’elle avait mis en musique, et sur l’autre face Serge Reggiani disait de façon magistrale et sans musique les poèmes du même poète.

 

 

Au théâtre d’Alger, en 1964, peu de temps après l’Indépendance, le cabaret de la Contrescarpe présentait un spectacle de chansons avec des chanteurs peu connus comme Paul Villaz qui chantait des chansons loufoques très amusantes.   Mais moi, le nénuphar de tout ça, je m’en fous, je suis un végétal, ça ne me fait rien du tout. Il y avait aussi Hélène Martin, qui avait chanté dans cette soirée un poème d’Aragon extrait des Poètes : Ainsi Prague. Peu après une inconnue, Francesca Solleville, nous séduisit avec Comme à Ostende de Ferré et Caussimon et Nuit et Brouillardde Ferrat

 

Durant l’été 67, lorsque j’étais au Festival d’Avignon, un des spectacles donnés l’après-midi au célèbre Verger d’Urbain V, était conçu par Hélène Martin. Il s’agissait d’un montage poétique de textes de René Char, pour protester contre l’implantation de missiles à tête nucléaire sur le plateau d’Albion. Outre le texte de René Char sur le sujet, les comédiens lurent des textes des Feuillets d’Hypnos et de chansons d’Aragon ou d’Éluard chantées par Hélène Martin et Francesca Solleville. Il est permis de s’étonner que René Char, très sévère sur Aragon, ait accepté que des chansons d’Aragon soient chantées à côté de ses poèmes. Cela reste une énigme. Hélène Martin avait réussi à concilier ces deux grands poètes fort différents.

Plus tard, j’ai suivi l’itinéraire de cette chanteuse et j’ai écouté ces disques avec les mises en musique de poètes aussi divers que Supervielle, Genet, Seghers ou Queneau.

 

En décembre 1985, alors que je me rendais à la Maison Jean Vilar à Avignon au vernissage de l’exposition des décors d’André Acquart, un grand ami de ma famille, j’ai rencontré Hélène Martin, qui préparait un spectacle à partir du Condamné à mort de Jean Genet dans des décors de Acquart.

 

Depuis, je ne l’ai plus entendu souvent.

Saluons cette grande dame de la poésie et de la chanson.

 

 

Jean-Pierre Bénisti

 

Le condamné à mort  Jean Genet

https://youtu.be/1CumaK6iQng

 

Hommage à la vie Jules Supervielle

https://youtu.be/4_GUqZgoIbk

 

Anthologie René-Guy Cadou

https://youtu.be/k2DgQxIEU4w

 

Tsiganes Pierre Seghers

https://youtu.be/4kY232vt9OU

 

Ainsi Prague Aragon

https://youtu.be/IK2Gl181ya4

https://youtu.be/udZpDogXqh4

 

Jean Giono

https://youtu.be/iyu6L7Szo8c?list=OLAK5uy_kGIuOJGEYsjmoUCbp7brqg52q_cRomyyA

 

Hommage à la vie Jules Supervielle

https://youtu.be/4_GUqZgoIbk

 

René Char

https://youtu.be/IdryPdxb60k

https://youtu.be/GL5ex7VwiPw

 

Paul Éluard

https://youtu.be/y7w-uqG79x8

https://youtu.be/uBDhj5yQaKc

 

Rue du château Luc Bérimont

https://youtu.be/c9sdVPpzV10

 

Tant de sueur humaine Raymond Queneau

https://music.youtube.com/watch?v=09vOhut2cPA&list=RDAMVM09vOhut2cPA

 

 

Salut à Hélène Martin
Salut à Hélène Martin
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30 janvier 2021 6 30 /01 /janvier /2021 07:43

Le rapport sur la Guerre d’Algérie remis par Benjamin Stora au Président Macron suscite un grand nombre de réactions. Paradoxalement le texte semble à la fois critiqué aussi bien par des algériens enfants de militant du FLN, que par des pieds-noirs ou par des enfants de harkis.

     Le fait que les critiques viennent de personnes d’horizons différents, nous incite à réfléchir et considérer que ce texte peut servir à accomplir un travail mémoriel de part et d’autre de la Méditerranée, en constatant que les mémoires sont forcément différentes selon les individus. De plus, nous savons tous que nos souvenirs sont reconstruits.

 

       Le Président de la République, qui est né longtemps après la fin de la guerre d’Algérie, essaie de faire un acte de réconciliation entre français et algériens ou plutôt une réconciliation des français et des algériens avec leur histoire.

 

       Il me semble que les préoccupations actuelles des français et des algériens ne permettent pas d’envisager un travail de mémoire de façon sereine. Nous sommes tous préoccupés par la crise du Corona virus. De plus le Président Tebboune est malade et sa légitimité est contestée par le Hirak. Le Président Macron est en fin de mandat. Il semble prématuré d’envisager tout acte solennel en ces temps troublés.

 

          Benjamin Stora n’a pas assez insisté sur les liens constitutifs liant la France et l‘Algérie.

1° L’Algérie a ses frontières héritées de la période coloniale. Si les frontières algéro-marocaines et algéro-tunisiennes ont été tracées à partir du terrain par des administrateurs français, les frontières du sud subsahariennes ont été tracées loin du terrain et ont été tracées à partir des cartes, sans tenir compte de la géographie. Ces frontières ne sont pas remises en cause  par les autorités algériennes et ont été validées au premier sommet de l’OUA à Addis-Abeba en 1963.

2° La France a actuellement une constitution élaborée par le Général de Gaulle et Michel Debré, élaborée après une crise franco-algérienne et faite pour permettre la stabilité gouvernementale, nécessaire pour résoudre le problème algérien.


        Il est vain de faire l’inventaire de toutes les exactions commises au cours de la colonisation ou au cours de la guerre d’Algérie. Ces derniers sont couverts par l’amnistie des accords d’Évian, dont il importe de saluer les négociateurs, français et algériens. Ils sont arrivés à un compromis très difficile. L’amnistie n’est pas l’amnésie. L’histoire demeure et il est important que les historiens travaillent, loin des polémiques stériles.

 

        Il ne faut pas oublier que la guerre d’Algérie n’est pas une guerre franco-algérienne mais la résultante de deux conflits : conflit franco-français entre les partisans de l’Algérie française et ceux qui étaient favorables à l’Indépendance, conflit algéro-algérien entre les algériens soutenant le FLN (majoritaire) et toutes les autres forces politiques : MNA, partisan du maintien de l’Algérie au sein de la France, comme les harkis ou autres.

 

          Nous assistons actuellement à divers psychodrames : les Algériens, sont amers, car, ils n’apprécient pas le régime autoritaire institué depuis l’Indépendance et rendent l’ancienne puissance coloniale responsable de leurs malheurs. Les pieds noirs ont un profond ressentiment, car ils se trouvent comme beaucoup de populations du XXème siècle (Arméniens, Juifs d’Europe Centrale, Palestiniens ou Kurdes …) réduits au rang des personnes déplacées qui non seulement sont exilées mais ne peuvent même en cas de retour retrouver leurs pays, à la différence de travailleurs africains exilés ou de réfugiés politiques russes ou espagnols.

 

Le grand problème de la mésentente entre algériens et français vient du fait qu’ils n’ont pas souvent couché ensemble et de ce fait les communautés vivaient séparés et se méprisaient. Des colonisations ont naguère réussi lorsque les envahisseurs et les envahis faisaient des enfants ensemble. C’est ce qui s’est passé dans l’Empire romain ou dans des pays comme le Brésil.  

 

 

            Jean-Pierre Bénisti

Tipasa Mai 2013 Photo JPB

Tipasa Mai 2013 Photo JPB

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10 décembre 2020 4 10 /12 /décembre /2020 19:49

 Souvenirs du 11 Décembre 1960   

 

    

                 La visite du Général en Algérie était annoncée pour le 9 décembre 1960. Les mouvements favorables au maintien de l’Algérie au sein de la République Française appelaient les Français d’Algérie à se mettre en grève et à manifester leurs hostilités à la politique de De Gaulle. Nous nous sommes réunis le 8 décembre au CEALD1  (Comité Étudiant d’Action Laïque et Démocratique), dont j’étais adhérant, pour définir notre position par rapport à cette grève. Devant le risque d’affrontements, il a été décidé de ne pas faire grève mais d’éviter tout affrontement avec les grévistes. Je me suis donc rendu au lycée le matin du vendredi 9 décembre. Il y avait peu de non-grévistes. Nous avions appris que des manifestations hostiles à la politique de De Gaulle avaient lieu et prenaient la forme d’une insurrection. Les forces de l’ordre encerclaient les bâtiments officiels. On craignait que l’armée, qui obéissait pour le moment au pouvoir légal, ne bascule du côté des insurgés. Il y eut quelques échauffourées et le Centre Culturel Américain a été mis à sac et transformé en « Centre Cul », le « turel Américain » étant ôté par les manifestants. J’ai appris que quelques jeunes dont H, un camarade de classe, qui avaient jeté des pavés dans la devanture du Centre culturel, avaient été arrêtés et incarcérés.  Dans la cour du lycée, j’ai rencontré Blanca2 et je lui ai fait allusion à la position du CEALD. Il me répondit de façon évasive et le lendemain je l’ai revu et il m’a dit : « Mais tu te rends compte, tu me parles librement devant tous mes collègues fascistes ! ». Inconsciemment, j’étais téméraire : l’être pour soi, c’est possible, mais il faut bien se garder de compromettre ses amis et son entourage et cela je ne l’ai compris que plus tard.

Cette insurrection des Français a tourné court, car de façon inattendue les Algériens se levèrent en masse et manifestèrent leur solidarité avec les combattants pour l’indépendance. Les manifestants ne pouvaient atteindre le centre-ville, car les forces de l’ordre en empêchaient l’accès. Les grandes manifestations se sont déroulées sur les hauteurs d’Alger, au Climat de France, près de la cité bâtie par Pouillon avec sa magnifique cour, (cité des colonnes), qui semblait avoir été conçue pour recevoir les manifestants - un autre forum, si l’on veut- à Dar el Maçoul, Birmandreis, le Ravin de la Femme sauvage, le Clos Salambier. Nous n’avions pas de télévision et nous nous sommes contentés d’entendre les reportages à la radio avec les commentaires d’un jeune reporter dénommé Jean-Pierre Elkabach. Nous entendions les slogans qui étaient scandés accompagnés par les youyous des femmes. Il y en avait d’acceptables : Algérie Indépendante ou Algérie Algérienne. D’autres étaient tout à fait inconvenants tel que : Algérie musulmane ou encore les pieds-noirs au crématoire. Et nous nous interrogions sur le désir réel de la population musulmane. Si les manifestants criaient Algérie musulmane, cela voulait dire que tous les chrétiens, les juifs, les athées et même les Algériens de parents musulmans mais ne voulant pas faire référence à leur religion d’origine, n’avaient pas de place dans ce pays et qu’il ne restait plus pour les non musulmans que de préparer les valises. Je minimisais ces inquiétudes en pensant que ces slogans étaient criés sans réflexion par une foule en colère. Tout cela nous interrogeait sur l’avenir du pays. De mon balcon, je vis passer des camions de parachutistes exhibant les drapeaux vert et blanc qu’ils avaient saisis chez les manifestants. Ces drapeaux avaient été confectionnés très vite et n’étaient pas frappés du croissant et de l’étoile rouge. Ils ressemblaient aux drapeaux vaudois des helvètes, mais ceux-ci n’étaient pas frappés de la devise : Liberté et Patrie. La tenue de ces manifestations nous interrogeait, il ne semble pas qu’il y eut beaucoup de Français d’Algérie égarés au milieu des manifestations pris à partie, blessés voire tués, il n’empêche que ceux qui ont traversé des cortèges, ont passé un fort mauvais quart d’heure. Un ami me racontait récemment qu’il s’était trouvé en voiture avec son père bloqué par les manifestants du côté du Ravin de la Femme sauvage et qu’ils n’étaient pas très rassurés. Il y eut aussi le saccage de la grande synagogue de la rue Randon : est-ce une opération voulue par le FLN, pour inciter les juifs à quitter le pays ou est-ce bien l’œuvre de jeunes voyous incontrôlés ? Mon père me disait qu’il ne fallait pas exagérer l’importance de cet acte, car une destruction de biens, furent-ils des édifices religieux, ne pèse pas lourd face aux destructions de vie.  Il y a des choses qui se sont déroulées au cours de ces journées dont on a peu parlé : les forces de l’ordre ont fait usage de leurs armes pour disperser les manifestants algériens, Ils ne l’ont pas fait vis-à-vis des manifestations Algérie Française et cela a été souligné par Jean-François Revel dans France Observateur, qui parlait de deux poids, deux mesures. On a vu avec émotion dans les journaux suivant ces manifestations, des photographies de manifestante brandissant le drapeau de l’indépendance à la manière de cette Liberté guidant les peuples de Delacroix. Mais cette jeune manifestante ne laissait pas son corsage tomber laissant apparaître un sein nu comme dans le tableau du Louvre.

Quelques jours après les manifestations, ma mère, qui était médecin, s’était rendue en visite auprès d’une jeune accouchée au Climat de France. La voiture qui la transportait en compagnie du mari de la cliente, a été agressée par des jeunes qui brandissaient des bâtons et des barres de fer. L’accompagnateur, qui était algérien, s’adressa en arabe aux jeunes et leur dit : « Visite Toubiba » Les jeunes se dispersèrent. Ma mère, qui avait un tempérament particulièrement anxieux, a été très affectée par la frayeur qu’elle a ressentie à la vue des manifestants.

Le conflit algérien venait de franchir un point de non-retour. Les Algériens avaient montré qu’ils étaient majoritairement pour leur souveraineté. Quelques jours après ces folles journées, nous avons été à la Galerie Comte-Tinchant où exposaient trois peintres qui travaillaient dans une démarche commune : JAR Durand, Jean de Maisonseul et René Sintès. Ce fut probablement la dernière expo que je vis dans cette galerie. Durand, qui ne dissimulait pas sa tristesse et nous dit : « C’est désespérant ! On ne sait plus où l’on va ! Je serais tenté de mettre la clé sous la porte et de foutre le camp. »

Notre tante Suzanne, sentant que l’Algérie allait devenir indépendante voulut se débarrasser des petits biens qu’elle possédait dans ce pays. Malgré les conseils de la famille lui demandant de reporter son voyage, elle vint à Alger pendant cette période troublée. Elle fut étonnée de voir les vitrines achalandées de produits de luxe pour Noël. Cela est normal, la vie continue. Les fêtes de Noël étaient particulièrement tristes cette année, d’autant plus que le couvre-feu n’avait pas été levé les soirs de réveillons.

À l’occasion du nouvel an, Sauveur, un ami de la famille, nous rendit la visite traditionnelle de bonne année qu’il avait l’habitude de rendre chaque année avec sa femme. On entendait les joueurs de boule qui jouaient dans le boulodrome situé sous notre fenêtre. Ils terminaient leur partie de pétanque en chantant sur un air connu (un ami vient de ma dire qu’il s’agit de sur les grands flots bleus :

Ah ! le bateau !

Le bateau, le bateau, le bateau !

Ah ! Qu’il était beau !

Le bateau, le bateau, le bateau !

Ce chant annonçait un prochain départ. Le bateau viendra un jour prochain, les prendre pour les emmener vers une autre rive, laissant à jamais leur terre natale.

Sauveur nous dit à propos de ces joueurs de boule : « Regarde-moi ces mecs  qui jouent à la pétanque ! Nous avons tendance à les considérer comme des abrutis. Mais c’est eux qui ont compris la vie, ils ont compris que la vie est un jeu de cons, alors ils essaient d’oublier cette évidence en tapant la boule. »

 

                                               Jean-Pierre Bénisti

 

  1. CEALD voir Jean SPRECHER : À contre-courant. Étudiants libéraux et progressistes à Alger 1954-1962 Bouchène. Paris, 2000
  2. Antoine BLANCA (1936-2016) étudiant en espagnol était en 1960 surveillant au lycée. II devint ambassadeur à Buenos Aires en 1984.
La Liberté guidant les peuples (Nouvelle édition)
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2 décembre 2020 3 02 /12 /décembre /2020 15:39

 

Il y a quarante ans le 2 décembre 1980, Romain Gary mettait fin à ses jours. Je republie à cet occasion ce qu'il avait écrit dans la Promesse de l'aube à propos de Camus. 

 

Dans la  Promesse de l'aube,  Romain Gary cite Camus :   

 Mon père avait quitté ma mère peu après ma naissance.

Parmi les lettres qui m'étaient parvenues à cette époque, il y en avait une qui me donnait les détails sur la mort de celui que j'avais si peu connu.

Dans sa lettre, sans doute pour me faire plaisir, il m'écrivait que mon père n'était pas arrivé jusqu'à la chambre à gaz qu'il était tombé raide mort de peur, avant d'entrer.

je suis resté longuement la lettre à la main; je suis ensuite sorti dans l'escalier de la N.R.F., je me suis appuyé à la rampe et je suis resté là, je ne sais combien de temps, avec mes vêtements coupés à Londres, mon titre de Chargé d'Affaires de France, ma croix de la Libération, ma rosette de la Légion d'honneur, et mon prix Goncourt.

j'ai eu de la chance : Albert Camus est passé a ce moment-là et, voyant bien que j'étais indisposé, il m'a emmené dans son bureau.

L' homme qui est mort ainsi était pour moi un étranger, mais ce jour-là, il devint mon père, à tout jamais."

 

Romain Gary : La promesse de l'aube, Chapitre XIV Gallimard 1960. Éditions Folio page 120

 

 

Le site Albert Camus de Facebook a publié aujourd'hui  un extrait d'une préface de ';édition américaine de la Peste par Romain Gary 

 

"Il est très difficile, curieusement, de se rappeler les paroles d’amis disparus ; c’est qu’on ne fait pas trop attention quand ils sont présents. Je me souviens du sourire de Camus et de la gravité de son visage – les deux expressions se succédaient parfois en quelques secondes – bien mieux que de sa conversation. Je n’ai jamais fait grand cas des paroles, de toute façon. Mais maintenant que sa voix s’est tue, les mots ne me font que mieux sentir à quel point elle me manque. Il me semble toutefois me rappeler qu’il disait… non en fait, rien de bien important. Juste qu’il est des vérités qui valent qu’on meure pour elles, mais aucune qui vaille qu’on tue en leur nom. C’est alors qu’il écrivit La Peste". ----

Romain Gary

Romain Gary fait un clin d'oeil à Camus (nouvelle édition)
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24 novembre 2020 2 24 /11 /novembre /2020 18:47

La douceur de l'anisette

 

 

La douceur de l'anisette

de Rosa CORTéS

C’est au temps de la Toussaint rouge et bien après la défaite des Républicains espagnols que se situe l’intrigue de ce livre. L’héroïne, une adolescente qui a suivi ses parents dans leur exil vers l’Algérie, raconte les péripéties qui ont jalonné sa vie, et celle de sa famille, durant les années cinquante. Voguant entre exaltations de la jeunesse et découvertes multiples, elle nous entraîne dans un Alger illuminé de mille soleils qui, pourtant, n’éteignent pas l’écho des drames à venir.

Cette tranche de vie et d’Histoire, qui va de 1956 à 1962, mêlée aux évènements décisifs et sanglants qui secouent le pays, nous est relatée par l’adolescente dans un récit drôle et poignant à la fois, servi par une écriture passionnée qui éclaire aussi bien la chute et la désespérance d’un peuple que l’émergence et les espoirs impatients de l’autre.

L’après-midi, je me réfugiais sous la tonnelle sur une chaise en fer ouvragé posée devant une table ronde aux pieds en esses. Tout était peint en vert et s’harmonisait étrangement avec la pâleur violacée des grappes de glycine qui croulaient de tous côtés quand elles fleurissaient. Ma mère s’inquiétait des abeilles par l’odeur alléchées mais mon père la rassurait. Et moi je m’immergeais sous la fraîcheur capiteuse de cet abri qui me paraissait idéal pour la lecture et la méditation. Je devenais une sève palpitante dans les lourdes senteurs vespérales.

 

17€

 

 

 

 

 

 

La couverture du livre reproduit un tableau de Louis Bénisti : le petit jardin vu d'en-haut. Ce tableau avait retenu l'attention de Jean Sénac qui disait dans un article d'Oran Républicain en juillet 1947 : " Dans le petit jardin vu d'en haut (...), le peintre crée avec des moyens très simples, très plastiques et des éléments lyriques familiers une harmonie subtile et vibrante d'ingénuité."  Voir Jean Sénac : Visages d'Algérie. Documents réunis par Hamid Nacer-Khodja.Paris-Méditerranée éditeur, 2002;

La couverture du livre reproduit un tableau de Louis Bénisti : le petit jardin vu d'en-haut. Ce tableau avait retenu l'attention de Jean Sénac qui disait dans un article d'Oran Républicain en juillet 1947 : " Dans le petit jardin vu d'en haut (...), le peintre crée avec des moyens très simples, très plastiques et des éléments lyriques familiers une harmonie subtile et vibrante d'ingénuité." Voir Jean Sénac : Visages d'Algérie. Documents réunis par Hamid Nacer-Khodja.Paris-Méditerranée éditeur, 2002;

Parution de deux livres ayant des peintures de Bénisti comme couverture

 

Pour commander notre dernière publication, "La douceur de l'anisette" de Rosa Cortés, 3 solutions :

1- Chez votre libraire préféré s'il pratique le "Clique et collecte" ou "Click and collect "

2- directement sur notre site et il arrivera en 48H en métropole et en une semaine environ à l'étranger. https://www.editionsfemmeschevrefeuille.fr/.../la.../

L'Algérie à cœur 

Récits croisés

Éditions de Anamnèse. Lyon 2020

12€

Parution de deux livres ayant des peintures de Bénisti comme couverture

Pour commander l'ouvrage voir:

coupdesoleilra@gmail.com

 

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