Il existe des jours porteurs de plusieurs anniversaires d'évènements personnels ou historiques. Le 11 septembre s'est illustré du coup d'état au Chili en 1973 et de l'attentat de New York en 2001. Pour moi, le 17 octobre a une importance particulière.
17 Octobre 1957
Le 17 octobre 1957, le journal d’Alger annonçait le possible prix Nobel de littérature à Camus avec un point d’interrogation. Le soir, ma mère apprit la nouvelle en allant faire une visite chez une cliente qui avait la télévision. En rentrant, mes parents étaient réjouis et téléphonèrent aux amis pour se féliciter mutuellement d’avoir un si illustre ami. Mon père eut Roblès au téléphone et n’arrêtait pas de plaisanter. J’ai eu récemment sous les yeux la lettre que Roblès écrivit à Camus, où il fait allusion à cette conversation téléphonique.
La semaine suivante, à la sortie du lycée, je surveillais les journaux. Je rapportais à la maison le journal Demain. Il y avait une interview de Camus où il faisait l’éloge de ses amis d’Algérie comme Dib, Feraoun ou Mammeri, qui ont pris place parmi les écrivains européens. Il disait aussi : « L’Europe a vécu de ses contradictions, s’est enrichie de ses différences et, par le dépassement continuel qu’elle en a fait, elle a créé une civilisation dont le monde entier dépend, même quand il la rejette. » Les dirigeants politiques d’Europe et d’ailleurs feraient bien de relire cet entretien qui n’a pas pris une ride. Il y avait aussi un numéro spécial du Figaro littéraire avec des textes de René Char, de Jean Grenier et deux prix Nobel français qui avaient précédé Camus : Roger Martin du Gard et François Mauriac. Le journal Arts publiait un portrait charge photographique de Camus déguisé en homme révolté. L’Express laissait entendre que Camus succédait à Sully Prud’homme, qui avait été en son temps préféré à Verlaine l’Académie suédoise ayant préféré Camus à Malraux.
Jean-Pierre Bénisti
Voir : https://www.aurelia-myrtho.com/article-albert-camus-au-lycee-d-alger-70645529.html
17 octobre 1961
Le 17 octobre 1961, j’étais à Paris chez une tante Suzanne, qui m’avait accueilli après mon départ d’Alger. J’étais élève en classe terminale au lycée Jacques Decour, près de Montmartre. Alors que j’étais en train de finir mon travail scolaire, vers onze heures du soir, Suzanne, qui était en train d’écouter la radio, vint m’informer que les Algériens en masse manifestaient sur les boulevards. Je n’étais pas étonné, car j’avais su que le préfet de police Maurice Papon venait d’instaurer un couvre-feu, frappant les Algériens, en raison de fréquents attentats visant les policiers. Ce couvre-feu était tout à fait illégal, car il visait les seuls musulmans qui n’étaient reconnaissables que par leurs caractéristiques physiques. Les Algériens vivant en région parisienne avaient mal ressenti cette mesure discriminatoire et avait fait part de leurs mécontentements. Le lendemain, lorsque je lus les journaux, j’appris qu’il y eut une terrible répression. Les services d’urgence des hôpitaux avaient reçu de nombreux blessés. La Seine charriait des cadavres de manifestants noyés. Enfin les militants des droits de l’homme s’indignaient que le préfet Papon ait donné l’ordre de parquer les manifestants au Palais des sports, de la même façon , la Gestapo parqua les juifs au Vel d ’Hiv. Triste retour des choses. On pourrait presque parler de retour du refoulé. Dans les années 80, on apprendra que Papon avait été un fonctionnaire du gouvernement pétainiste à Bordeaux et qu’il avait signé des ordres de déportation de juifs. Sinistre Papon ! Il devait encore s’illustrer en février 1962, lors de la manifestation qui devait aboutir aux morts du métro Charonne. Heureusement qu’il ne fut pas en service en mai 68, car il y aurait eu des victimes et il faut être reconnaissant envers le préfet Maurice Grimaud, qui devait succéder à Papon. Il faudrait un jour étudier l’utilisation des stades pour parquer les prisonniers. Au Chili, Pinochet parqua ses opposants au stade de Santiago.
Jean-Pierre Bénisti
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17 octobre 1990
Le 17 octobre 1990, c’est le jour de la mort de ma mère. En guise de faire-part, mon père et moi avons rédigé un court texte que nous avons envoyé aux amis :
Solange nous a quitté le Mercredi 17 octobre 1990 au petit matin. Elle a été inhumée le Vendredi 19 octobre à 15 heures au cimetière d’Aix-les-Milles. Elle appartient maintenant à l’éternité de l’univers et ce repos vient atténuer la douleur que nous avons ressentie lors de son trépas.
Elle était entrée en médecine comme on entre dans une carrière dont on a la vocation dès son enfance. Elle eut la joie d’accomplir jusqu’au bout sa profession dans la dignité, l’honnêteté et la charité.
Avec vous, nous nous recueillons dans le souvenir d’un être dont l’apparence quotidienne cachait une grande noblesse de cœur et d’esprit.
Nous vous remercions de vous recueillir dans le souvenir de :
Solange Bénisti-Sarfati
Docteur en médecine
Alger : 12 novembre 1914-Aix en Provence : 17 octobre 1990
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17 octobre 2019
Le 17 octobre 2019 paraissait le livre de la Correspondance d’Albert Camus avec la famille Bénisti
Édition dirigée par Jean-Pierre Bénisti et Martine Mathieu-Job et présentée par Virginie Lupo et Guy basset Voici une cinquantaine de lettres d’Albert Camus à des proches d’Alger rencontrés quand il avait vingt ans : le sculpteur et peintre Louis Bénisti (1903- 1995), son frère Lucien et leurs épouses respectives. Aux lettres et fac-similés sont associées, comme autant de traces d’un univers sensible et partagé, des reproductions d’oeuvres de Louis Bénisti, de photographies et d’autres documents.
À la faveur de ce dialogue amical, intellectuel et artistique, Camus exprime son idée et sa pédagogie de la philosophie ou ses exigences et scrupules d’éditeur. Surtout, il se livre en toute confiance et simplicité. Confronté à la maladie et aux difficultés de sa vie affective, il aborde la carrière littéraire à la fois inquiet et empli d’espoir, jusqu’à l’arrivée du tourbillon de la célébrité.
Exceptionnelle par la précocité et la longévité des amitiés qui la fondent, cette correspondance inédite affine notre vision de l’écrivain. Elle éclaire aussi l’effervescence créatrice d’une jeune génération dans l’Algérie des années 1930.
ÉDITIONS BLEU AUTOUR 38 avenue Pasteur 03500 Saint-Pourçain-sur-Sioule
Alain Tanner, William Klein, Jean-Luc Godard, bien que ces grans artistes aient atteint la nonantaine, en deux jours cela fait un peu trop !
J'ai toujours eu beaucoup d'admiration pour le cinéaste Godard, mais je trouve le personnage antipathique. Un cinéaste est avant tout un regardeur, mais est-ce utile de dissimuler son regard par d'énormes lunettes noires. Est-il utile de comparer les camps du Club Méditerranée avec les camps de concentration ?
Je n'ai pu voir À bout de souffle à sa sortie car il était interdit au moins de 18 ans. Les censeurs devaient être atteints de myopie intellectuelle.
Le premier film de JLG que j'ai vu a été Alphaville dont j'avais surtout apprécié les citations de Capitale de la Douleur d'Éluard. Puis il y eut Pierrot le fou l'un des plus grands films du XX ème siècle. En lisant Elie Faure , Belmondo pointe une pub de la gaine scandale et dit : "Il y a eu la civilisation égyptienne, il a eu la Renaissance et maintenant, nous entrons dans la civilisation du cul." Je me souviens d'Anna Karina chantant des chansons de Rezvani : la ligne de chance.
J'ai beaucoup aimé une Femme mariée et Vivre sa vie avec le fameux dialogue avec Brice Parrain.
Je me souviens de la première de La Chinoise dans la Cour d'honneur d'Avignon.
J'ai moins aimé les films post-soixante huit-art. Toutefois Passion est un très beau film.
Pour moi, Godard est avant tiout un cinéaste qui sait voir et il a considérablement marqué le cinéma du XX ème siècle. Il y a un cinéma avant Godard et un cinéma d'après.
Jean-Pierre Bénisti
Voir :
Une femme est une femme
Vivre sa vie
Femme mariée
Pierrot le fou
https://youtu.be/ul5beWXDa7c?t=10
Anna Karina
Anne Wiazemski
Extraits de Souvenir d’enfance
Au cours de l’été 1953, Lucien et Mireille, mon oncle et ma tante, nous ont emmenés à Chantilly, ce château où je comptais voir les manuscrits des Très riches heures du Duc de Berry, dont j’avais vu les enluminures qui ornaient les publicités médicales que recevait ma maman. Ces manuscrits n’étaient pas exposés, il n’y avait que les enluminures reproduites. Par contre, Mireille m’a montré les dessins coloriés de Clouet et les miniatures de Fouquet qui m’ont émerveillé. Mon père a fait part de ses critiques de ce musée : il renfermait des chefs-d’œuvre qui étaient très mal présentés : c’était un fatras. Dans le parc du château, des carpes apparaissaient dans la rivière qui alimentait la pièce d’eau entourant le château. C’était, paraît-il, des carpes baguées et certaines, dit-on auraient été placées sous François 1er.. Cette légende est peu vraisemblable. Les carpes vivent longtemps, mais sont au plus centenaires.
Carpes que vous vivez longtemps
Est-ce que la mort vous oublie
Poissons de la mélancolie !
Disait Apollinaire.
Ah ! ces carpes, comme on voudrait les farcir à la juive !
Au bar près du château, il n’y avait point de crème Chantilly.
Avec ma grand-mère, j’ai eu l’occasion de visiter le Panthéon, ce monument où reposent des hommes illustres comme Voltaire, Victor Hugo ou autres.
L’oncle Henri m’avait parlé du musée de l’Homme et manifestant le désir de visiter ce musée, Mireille me proposa une visite guidée avec Paul Monié, une personne connaissant bien l’Afrique. Paul m’avait été présenté comme étant un ami de Lucien et Mireille et bien plus tard, j’ai compris que Paul était l’amant de Mireille. Paul me fit une visite très instructive et me dit que ce musée était fait pour étudier comment vivent les hommes dans les différents continents. Il me dit que si on devait étudier notre peuple, il y aurait en vitrine une chaise comme nous en avons chez nous, les vêtements que nous pourrions portés et les ustensiles qui sont dans nos cuisines. Il me présenta les salles consacrées à l’Afrique. Nous sommes passées devant la statue d’une dame aux grosses fesses : c’était la Vénus Hottentote. Les théories anthropologiques tournant autour de cette dame callipyge ne semblaient pas intéresser notre guide qui s’évertua plutôt à me commenter les masques africains. J’ai été étonné d’apprendre que ces masques étaient utilisés pour des cérémonies qui n’étaient pas forcément des réjouissances et que certaines tribus dansent avec ces masques pour des mariages, mais aussi des obsèques. Je pensais que, né en Algérie, j’appartenais au continent africain, mais que ce monde des Africains des colonies nous paraissait lointain car le Sahara est bien plus difficile à traverser que la Méditerranée.
Après l’Afrique avec Paul, Mireille essaya de me mener en Asie en me faisant visiter le musée où elle travaillait le Musée Guimet. Elle me montra quelques sculptures khmères. Elle avait particulièrement étudié les sculptures qu’elle me montrait, pour sa thèse sur le Médaillon Lotiforme dans la sculpture indienne, qu ‘elle venait de soutenir.
Le mardi, jour de fermeture des musées, Mireille m’invita au cinéma pour voir « Une reine est couronnée » film documentaire sur le couronnement de la reine Élisabeth II. Il était étrange de voir le couronnement d’une Reine qui se faisait en 1952 de la même façon qu’il se serait fait au Moyen-âge, seul le cinéma qui filmait l’événement était nouveau. Cet intérêt des Français pour la Reine d’Angleterre traduisait peut-être une certaine nostalgie de nos monarchies de jadis. Nous remarquions qu’en Angleterre une Reine n’est pas forcément l’épouse du Roi. L’épouse du Roi devrait être dans ce cas une Princesse Consort. Je pensais à la chanson d’enfants que nous chantions en Algérie :
C’est la Reine d’Angleterre
Terre terre
Qui s’est fichue par terre
Terre terre terre
Avec Abdel Kader
Der der der
Sur une toile d’emballage
Jean-Pierre Bénisti.
(écrit à Lyon en 2012)
En juin 1962, je me trouvais à Paris. J’avais dû quitter Alger en septembre 1961 et une tante m’avait hébergé. Le 25 juin, je devais passer le bac au lycée Honoré de Balzac à Clichy. Je n’avais pas été satisfait de mon examen, mais après une telle impréparation, je ne pouvais qu’attendre un miracle.
À la fin de la semaine, alors que les habitants de l’Algérie s’apprêtaient à voter au referendum d’autodétermination, je reçus un appel d’un ami qui m’invitait à venir passer un week-end à Trouville, dans une maison appartenant à sa famille. J’ai été ravi de pouvoir me promener en Normandie. Cette région dont les maîtres d’école d’Algérie nous avaient vanter le charme en nous faisant apprendre par cœur une chanson en l’honneur d’un pays qui ne nous avait pas donné le jour. J’ai pu apprécier ces coins de Normandie que beaucoup de peintres avaient p représenté,notamment Boudin ou Marquet... Nous avons été à Honfleur et à Deauville. Je n’étais pas encore familiarisé au flux et au reflux, étant avant tout méditerranéens.
Alors que la France organisait le rapatriement des pieds-noirs qui affluaient dans les ports et les aéroports, l’Algérie votait et déjà des dissensions apparaissaient au sein de la direction du FLN. Mohamed Khidder démissionnait du GPRA, puis Ben Bella démissionnait à son tour. On apprenait qu’ils partaient à la frontière algéro-marocaine rejoindre l’armée algérienne des frontières dirigée par le Colonel Boumediene., qui s’opposait à l’armée des maquis des différentes wilayas. Le "bordel" commençait et cette situation chaotique était naturellement exploitée par les nostalgiques du temps de la colonisation. .
Après ce séjour en Normandie, je rentrais à Paris et je trouvais des cousins qui revenaient d’Alger dans une immense tristesse apprenant que l’Algérie passait le cap de l’indépendance. Cette tristesse contrastait avec mon enthousiasme. Je venais de me procurer le numéro spécial de l’Espoir Algérie, journal des libéraux d’Algérie, qui reparut pour saluer l'Algérie indépendante et encourager les libéraux à travailler dans la nouvelle Algérie. Ce numéro de l’Espoir devait être le dernier. Il y avait en première page une citation d’Emmanuel Robles :
- Quelle peut bien être ta patrie ?
- Là, où tu veux vivre sans subir l’humiliation.
Je passais au quartier latin et je rencontrais Pierre Salama, qui arrivait d’Alger et me dit qu’il voudrait voir mes parents en compagnie de sa sœur Myriam et son beau-frère : Maître Yves Dechézelles. Au bar le Soufflot, qui était paraît-il un café de gauche, je rencontrais l’acteur Boudjemaa Bouhada, qui me présenta son ami le peintre Denis Martinez. Ce dernier parcoura la revue Partisan, que je venais d’acheter chez Maspéro et apprécia un poème de Nordine Tidafi intitulé Paix. Il y avait aussi dans cette revue un poème trouvé chez un soldat de l’ALN tué au maquis. Je m’aperçus que j’avais déjà lu ce poème et qu’il était de Malek Haddad.
Et la colombe, la paix revenue dira :
Qu’on me fiche la paix,
Je redeviens oiseau
Je me suis précipité à la librairie la Joie de lire pour signaler l'erreur à Marie-Thérèse Maugis, l’épouse de Maspéro à l’époque qui me dit que l’erreur avait été signalée et qu’il était émouvant d’apprendre que des maquisards algériens aimaient la poésie.
Le 5 juillet, Mouloud B., militant trotskyste et vraisemblablement membre de la fédération de France du FLN m’avait invité à venir fêter l’Indépendance autour d’un couscous, il m’avait donné rendez-vous au métro Bonne Nouvelle. J’hésitais à aller fêter cet événement, vis-à-vis de ma famille qui si elle devait apprendre que je partage le couscous avec les indépendantistes, en aurait été blessée. Malgré tout, je décidais de me rendre au lieu de rendez-vous, mais j’y arrivais trop tard et ne je ne pouvais rencontrer mes camarades. C’était sans doute un acte manqué. J’allais donc au quartier latin et je faisais le tour des restaurants algériens de la rue de la Huchette. Ils avaient tous pavoisé avec des drapeaux verts et blancs et l’on entendait des chants patriotiques algériens dont Min Djibellina, ce fameux chant qui commence par l’air de Sambre et Meuse. Un Algérien m’offrit le numéro spécial de l’Ouvrier algérien, journal de l’UGTA, qui avait revêtu les couleurs du drapeau algérien. Je rentrais à midi au 64 où je retrouvais mes cousins, qui manifestaient leur tristesse. L’après-midi, je fis le tour des boulevards extérieurs et j’ai pu apprécier l’ambiance festive créée par les Algériens, boulevard de la Chapelle, Boulevard de la Villette, Belleville et Ménilmontant.
Bien plus tard, Jean Pélégri me racontant cette fameuse journée du 5 juillet 1962 me dit que ce jour-là, il était à la fois heureux de voir la fin de la guerre et les Algériens retrouvant leurs dignités, mais aussi triste de voir ses compatriotes français devant quitter l’Algérie ou y rester mais dans un pays devenu étranger. Il me dit avoir eu la visite de deux amis algériens : Mourad Bourboune et Abdallah Benanteur qui lui dirent : « Jean, nous savons qu’aujourd’hui, c’est pour toi un jour difficile et nous ne voulions pas te laisser seul ce jour. » Les trois amis firent un tour le soir sur les quais de Seine qui en ce temps du mois de juillet étaient très animés. Vers dix heure du soir, ils entendirent une voix crier : « Mourad ! Mourad ! » Mourad Bourboune se retourna et vit un de ses anciens camarades pied-noir qui venait de quitter l’Algérie. « Tu te souviens Mourad du professeur de latin qui nous faisait apprendre des tirades de l’Enéïde ! » Et voilà que le jour de l’Indépendance de l’Algérie un Algérien et un Français se mettent à déclamer des vers de Virgile :
Arma virumque cano, trojae qui primus ab oris, italiam fato profugus Laviniaque venit..
Voir algériens et français se retrouver le jour de l’indépendance de l ‘Algérie sur les bords de la Seine pour réciter l’Enéide paraît surréaliste... Nous comprenons aisément que le colonialisme n ‘a pas été entièrement négatif.
Le soir de ce 5 juillet, j’ai écouté les informations à la radio, pour savoir comment les manifestations s’étaient déroulées en Algérie. Les algérois ont manifesté leurs joies avec beaucoup de dignité. À Oran, par contre, il y eut des morts. On aurait tiré sur des manifestants, et des Européens furent massacrés. Ces troubles à Oran sont encore aujourd’hui encore inexpliqués.
J’ai rejoint mes parents en Algérie, seulement en septembre 62 le jour où le peuple d’Alger manifestait aux cris de « Sebbaa snin Baraket ! » (Sept ans, c’est assez !).
Jean-Pierre Bénisti
Louise Bosserdet, une figure du milieu intellectuel et artistique d’Alger, était dans les années 30 une militante communiste.
Elle fit en 1935 un voyage en URSS et rapporta un reportage sur l’Ukraine pour le journal Alger-Étudiant1, n°20, 30 novembre 1935, journal qui publia les premiers articles d’Albert Camus, notamment sur les peintres.
Son récit de voyage en URSS a été le premier livre publié par Edmond Charlot2 en 1937, sous le titre : Une Française en URSS.
Devant les images d’enfer de l’Ukraine actuel, il est difficile de penser qu’il y eut dans ce pays des personnes qui croyaient encore au paradis.
Par la suite Louise Bosserdet devint peintre et habita une villa mauresque située sur les hauteurs d’Alger, qui était voisine de la villa Marquet. Dans cette villa, se réunissaient souvent les peintres algérois comme Bernasconi, Tona, Bénisti, Galliero, Benaboura, Degueurce, Claro et bien d’autres…
Jean-Pierre Bénisti
Samedi 21 mai je terminais un séjour à Venise avec ma compagne et je m’apprêtais à prendre l’avion pour Paris. Au moment de l’enregistrement, deux hôtesses de la compagnie Easy jet nous réclamèrent des passes sanitaires. Je leurs ai expliqué à ce moment que les passes sanitaires n’étaient plus exigés en France depuis début avril et qu’il n’avait pas à exiger ce document. Si j’avais toujours mon passe sur mon téléphone, ma compagne ne l’avais plus et elle fut obligé d’aller faire un test nasal pour la modique somme de 35€ à l’autre bout de l’aéroport.
Nous n’avons donc pu embarquer avec l’avion prévu et nous avons perdu les billets de retour qui n’étaient pas remboursables.
Nous sommes retournés à notre hôtel, qui heureusement avaient encore une chambre disponible. Il a fallu que je réserve par Internet des billets d’avion pour le lendemain. J’ai réservé deus billets sur Air France, un peu plus chers que les billets perdus.
Le lendemain les hôtesses d’Air France ne nous ont pas demandé des passes sanitaires et nous ont confirmé que ces documents n’étaient plus exigés.
J’en ai donc déduit que les hôtesses de la compagnie Easy jet étaient employées pour emmerder les voyageurs et j’ai inscrit cette compagnie aérienne sur la liste des compagnies à ne pas recommander.
Jean-Pierre Bénisti
Il y a vingt ans, le 22 avril 2002, nous avons vécu un cauchemar. Aujourd’hui nous risquons de vivre bien plus qu’un cauchemar.
La personne qui risque de devenir présidente de la république est dangereuse. Elle est certes différente de son père, avec lequel elle s’est fâchée, mais elle n’en a pas refusé l’héritage. Elle est plus présentable, car son discours n ’est pas antisémite et il est plus xénophobe que raciste. Son concurrent du premier tour, atteint d’une haine de soi pathologique, l’a déchargé de tous les délires pétainistes, racistes et antisémites, qu’affectionnait le père.
Son programme qui semble favorable à une défense du pouvoir d’achat ne tient pas la route et masque une idéologie réactionnaire, identitaire et anti-européenne.
De plus, elle ne pourra jamais avoir de majorité parlementaire et faute de cohabitation, naguère possible sous Mitterand et Chirac, elle ne pourra se faire. Elle sera donc obligée d’agir par coups d’état.
J’ai beaucoup d’amis, de gauche comme de droite qui critiquent le précédent quinquennat. D’autres le défendent. Toutes ses critiques sont forcément fondées, mais elles ne justifient pas que l’on s’abstienne, ou que l’on vote blanc.
Il est donc urgent de voter Macron. !
Voter Macron le 22 avril, ne signifie pas pour autant que l'on vote pour les législatives pour les candidats macronistes. Il est important que chacun vote selon ses convictions. Il serait dommage que les anciennes familles socialistes ou gaullistes disparaissent du paysage politique.
Jean-Pierre Bénisti
Entretien avec Jean-Pierre Bénisti ( (13 janvier 1990)
Louis Bénisti :J’étais là et je regardais le ciel d’hiver. Il me vint à l’idée qu’ici à Paris, où j’allais mener une existence pour ainsi dire frileuse, j’avais quitté un atelier magnifique, j’avais quitté une situation et j’avais quitté une gentille maîtresse avec laquelle je m’entendais, j’avais quitté tout ça, pour une aventure qui aurait pu bien tourné si Paris et la France étaient restés dans un climat de paix, mais je veux dire aussi que quand j’ai pensé à cette petite maîtresse que j’avais laissée à Alger., j’ai eu tout de même un serrement de cœur parce que j’avais fait véritablement beaucoup de peine à une fille qui, sans doute venait me voir parce qu’elle avait pour moi ce qu’on peut appeler de l’amour. Voilà, j’étais complètement démuni et je ne savais comment j’allais pouvoir orienter mon existence parisienne. Au café de la Rotonde, je rencontrais des gens qui devinrent mes amis, mes amis peintres, sculpteurs que je commençais à fréquenter. Les noms de tous ces gens-là ont disparu de ma mémoire sauf l’un qui s’appelait Schroeter qui m’accueillit même chez lui et me donna le conseil d’aller voir mon député pour demander une subvention d’installation. Ça, c’était une idée épatante et alors sur les conseils de Schroeter, j’ai été voir mon député et j’ai obtenu une petite subvention en attendant qu’un inspecteur des beaux-arts viennent me voir pour regarder mes œuvres et me fournir une commande. Le temps a passé, j’attendais et les menaces de guerre ont mis fin à ces démarches. J’abordais donc à nouveau les académies et je travaillais pour le dessin à la Grande Chaumière et pour la sculpture je travaillais à l’Académie Rançon où Madame Cérésole m’avait fait un très bon accueil et m’avait fait une place et une faveur en me fournissant un certain outillage dans cette académie parce que quand je fus un habitué à l’Académie, des sculpteurs qui avaient appartenu à l’Académie Rançon, venaient rendre visite à Madame Cérésole presque quotidiennement et c’est ainsi que Madame Cérésole me présenta à Auricoste, Couturier, Ozouf et à un autre dont j’ai oublié le nom.
Dans un autre entretien, Louis Bénisti m’avait raconté que dans l’atelier de Maillol, il y avait au milieu des sculptures, ce que l’on appelle des creux, c'est-à-dire des moulages prenant les empreintes du corps, permettant ensuite d’avoir un moulage complet du corps. Pour faire un creux, il faut enduire de savon le corps du sujet à mouler, afin de l’isoler du plâtre. Un des creux avaient gardé au milieu du plâtre quelques poils qui avaient été arrachés à la touffe de la femme insuffisamment savonnée.
Lorsque, alors que j’étais enfant, j’accompagnais mon père à Paris pendant les vacances d’été, nous faisions souvent la tournée des galeries du Quartier-latin. Nous rentrions souvent dans la galerie Dina Vierny, rue Jacob, où nous étions reçus par une dame un peu forte, fumant des petits cigarillos. Sur les cimaises, étaient exposées des peintures naîves de Beauchant, de Bombois ou d’autres…Dans les vitrines, il y avait des petites sculptures de Maillol. Mon père discutait souvent avec cette dame. Ils parlaient de Maillol ou de peinture naïve. Le nom de Bénaboura avait d’ailleurs été cité. Je ne savais pas encore que cette galeriste avait été le modèle de Maillol.
Dans des notes de février 1995, Louis Bénisti , sur son lit d’hôpital, sentant son départ proche, essaya de réécrire ses souvenirs et dit à propos de sa visite à Maillol : « Maillol roulant les r et les talons dans des tartines provinciales roulant sur une bicyclette rouillée : « - Que venez-vous faire ici ? Ne seriez-vous pas un de ces malhonnêtes qui entrent sans frapper. - Je fais un peu de sculpture et je viens de la part de Monsieur Ozouf. - Ah ! Bon ! »
.(Notes de JP Bénisti)
Texte écriit en 2012 pour le cinquantenaire des accords d'Évian
Au moment où le cinquantenaire des accords d’Evian fait l'objet d'une timide célébration , l’Algérie reste présente dans nos esprits. La multiplication des émissions, consacrées à cette guerre ,en témoigne.
Benjamin Stora nous a démontré qu’il ne fallait pas confondre mémoire et histoire et que si l’histoire est une, les mémoires sont multiples et peuvent se contredire. Peut-être qu’il n’y a pas encore d’histoire de la guerre d’Algérie avec une grande Hache (1), mais l’histoire des historiens n’est pas celle vécue par les habitants de l’Algérie.
Un jour, un pied noir qui avait édité à compte d’auteurs son journal des dernières années de sa vie algéroise m’offrit son ouvrage et à la lecture, je remarquais que les évènements dont il faisait état ne correspondaient pas du tout à ceux que j’avais retenus. Son histoire m’était presque étrangère.
Des malentendus subsistent encore. Il ne faut pas oublier que l’affaire algérienne n’a pas été un drame, mais une tragédie. Dans un drame, tout le monde a tort. Dans une tragédie, tout le monde a raison.
Il est courant de rejeter la responsabilité de la guerre d’Algérie a une minorité de Français d’Algérie exploiteurs et faisant « suer le burnous » Cela n’est pas exact. La plupart des Européens d’Algérie avaient des revenus inférieurs aux revenus de leurs collègues métropolitains et n’exploitaient personne. Cependant un pied-noir, même pauvre, avait toujours un plus pauvre que lui qui était musulman. D’autre part le colonialisme est un système et les pieds-noirs, tout en n’étant pas de ce système, se sont retrouvés responsables de ce système par délégation et de fait, les victimes expiatoires.
À la lecture des témoignages sur la guerre d’Algérie apparaissent une succession de faits qui semblent isolés les uns des autres et qui ne peuvent se comprendre que si on en perçoit les liens.
Des aspects des évènements survenus durant la fin de la guerre d’Algérie ne semblent pas avoir attiré l’attention des journalistes :
1° S’il existait une guerre franco-algérienne ou plutôt une guerre entre l’armée française et le FLN, il existait de part et d’autre deux autres conflits ; un conflit franco-français entre les français favorables à l’OAS et tous les autres qui étaient légalistes et un conflit interne à l’intérieur du FLN, qui a éclaté peu de temps après les premiers entretiens d’Évian. Jean-Jacques Servan Schreiber disait dans l’Express :"Nous devons choisir entre le FLN à Alger ou l’OAS à Paris. "Le choix était clair. Cela explique certaines positions extrêmes comme celle de Sartre qui dans sa préface aux Damnés de la terre de Frantz Fanon lançait un véritable appel au meurtre. (2). La guerre d’Algérie devenait un problème politique intérieur à la France.
2° L’action de l’OAS en Algérie après l’échec du pronunciamento d’avril 1961 a entraîné un pourrissement de la situation, exigeant de la part des autorités françaises une solution de type chirurgical entraînant naturellement des victimes collatérales. Les pieds-noirs et les harkis en ont fait les frais.
3° Un livre récent sur les pieds-noirs restés en Algérie (3) laisse supposer que l’OAS est seule responsable du départ massif de la majorité des pieds-noirs et que leur maintien dans l’Algérie indépendante demeurait possible.
Cela n’est pas tout à fait exact. Tous les pieds-noirs ont dû quitter leur maison durant les années 1961 et 1962. Tout d’abord les pieds-noirs libéraux, menacés par l’OAS ont quitté le pays pour des raisons évidentes. Après le terrorisme exercé par l’OAS sur la population musulmane, les pieds-noirs se sont dit que lorsque l’Algérie sera indépendante,, les Algériens seront prêts à les étriper. Saisis par la peur, ils se sont précipités sur les bateaux et les avions.
Beaucoup de pieds-noirs songeant à rentrer en Algérie après leurs départ précipité y ont renoncé du fait de l’insécurité régnant en Algérie pendant l’été 62 et de la guerre entre willayas. Un certain nombre de pieds-noirs décidèrent cependant de rentrer
Il y avait effectivement au moment de la rentrée scolaire de 1962-63 environ deux cent mille pieds-noirs, quelques années après ils devaient peut-être en rester dix mille et les Algériens n’ont pas réussi à les maintenir.
Jean-Pierre Bénisti