Voir
http://art-figuration.blogspot.fr/2013/12/albert-camus-ses-amis-peintres.html
Voir
http://art-figuration.blogspot.fr/2013/12/albert-camus-ses-amis-peintres.html
Les journaux d’Alger nous ont fait part de la visite de Madame Brigitte Ayrault à Tipaza en compagnie de Catherine Camus. Les journaux nous ont aussi dit que la presse n’était pas invitée à couvrir l’événement : il n’y eut point de reportage télévisé, pas même une photo. Aux dernières nouvelles, Catherine Camus n’était pas présente, ce qui laisserait supposer que l’entretien du Premier ministre Jean-Marc Ayrault avec le Président Bouteflika n’aurait pas eu lieu (heureusement qu’il y a eu une photo dans la presse algérienne qui apparemment ne semblait pas du même type que les photos des manuels d’histoire de la Russie stalinienne.
Je discutais la semaine passée avec un ami qui s’était rendu à Tipaza récemment. Il m’a dit que cette stèle avec la phrase de Camus gravée par mon père, Louis Bénisti, était un monument très important mais qu’il était agacé par ceux qui réduisaient l’œuvre de Bénisti à cette stèle. Je suis en accord avec ce que dit cet ami, tout en lui faisant remarquer que si dans l’œuvre de Bénisti, la stèle risquait de jouer le rôle de l’arbre qui cache la forêt, elle incitait les lecteurs de Camus à s’intéresser à l’œuvre de Bénisti et aux œuvres de ses amis peintres ou architectes.
Au cours d’un récent séjour à Alger, je me suis rendu à Tipaza et j’ai remarqué que la stèle était surveillée par les gardiens et que le scellement avait été renforcé par un liseré de plâtre.
Le parc des ruines de Tipasa est devenu le lieu de rendez-vous des jeunes amoureux qui circulent au milieu des sarcophages. Il y a même des sarcophages doubles destinés aux Abélard et Héloïse ou aux Tristan et Yseult de l’époque romaine.
S ‘il y a une rue Mozart à Salzbourg, et je crois même une avenue Kafka à Prague, il n’y a pas de rue Albert Camus à Tipaza, pas plus que de d’avenue Sigmund Freud à Vienne. Un restaurateur a réparé l’oubli des autorités administratives de Tipaza en ouvrant sur le port un restaurant Albert Camus. Ce restaurant se trouve en face de l’emplacement du restaurant Varin, où Camus avait l’habitude d’aller et qui n’existe plus.
Au MAMA (1) (Musée d’art Moderne d’Alger), j’ai vu une exposition du peintre Djamal Tatah un peintre franco-algérien qui expose actuellement chez Maeght à Saint-Paul de Vence, un lieu qui expose très rarement les artistes vivants. Ce peintre fait beaucoup de très grands portraits en pied avec des fonds monochromes. Cet artiste a fait un triptyque composé de trois panneaux : deux panneaux avec un autoportrait du peintre de chaque côté d’un panneau représentant la stèle de Tipasa. Voilà maintenant que la stèle a rejoint les divinités adorées par les anciens.
La stèle est toujours à l’honneur dans les livres et Dominique Fernandez vient de faire avec le photographe Ferrante Ferranti un livre d’images, pour les parents et les enfants sages, intitulé Voyage en Algérie antique. Le livre (2) commence par une image de la stèle avant celles de monuments plus anciens.
Jean-Pierre Bénisti
Voir :
Jean-Claude IZZO : Méditerranée des bonheurs possibles, in Le Point 15.08..1998
http://www.lepoint.fr/actualites-voyages/2007-01-23/mediterranee-des-bonheurs-possibles/1088/0/76997
Maïssa BEY Vous cherchez Camus ? Il est là-bas. Le Monde 04.05.06
http://www.limag.refer.org/Documents/LM20064maiCamusBey.pdf
Beaucoup de Lyonnais ignorent les relations de Camus avec Lyon. Elles sont assez nombreuses et elles ne se résument pas à une enfance passée à Alger dans un appartement d’une rue appelée rue de Lyon (aujourd’hui Mohamed Belouizdad), dans le quartier de Belcourt (qui ne s’écrit pas Bellecour). On raconte aussi qu’un libraire ou plutôt un marchand de livres avait apporté à son client qui lui demandait l’Homme révolté de Camus, un livre sur la Révolte des Canuts
Si à la lecture de l’œuvre de Camus, on perçoit son attachement à une mère très pauvre, on oublie qu’une autre personne eût une grande influence sur lui : son oncle par alliance, boucher de son état, venu dans sa famille au moment où il était adolescent qui l’aida à poursuivre ses études. Cet oncle s’appelait Gustave Acault. Il avait ouvert dans le centre d’ Alger, une boucherie qui vendait une viande d’excellente qualité. Cet homme distingué était originaire de Saint Genis-Laval et était fier de son origine lyonnaise.
Lyon n’était pas une ville étrangère pour le jeune algérois. Lorsque Camus fut obligé de quitter Alger en 1939, il partit pour Paris, puis il se rendit à Clermont-Ferrand et à Lyon, où, dans la mairie du IIIème arrondissement, il épousa Francine Faure avant de s’embarquer pour Oran, dont sa femme était originaire.
En 1942, Camus après une crise de tuberculose partit pour se soigner près du Chambon sur Lignon, village qui s’est particulièrement illustré pendant la dernière guerre. Depuis le Chambon, Camus allait chaque semaine à Saint-Étienne pour y recevoir des soins et il venait de temps en temps à Lyon pour rencontrer des intellectuels résistants.
Il ne faut pas oublier que Lyon était à cette époque, une ville refuge des intellectuels résistants. C’est ainsi qu’à Décines, Marc Barbezat, un pharmacien qui fabriquait de l’eau oxygénée, dirigeait une revue l’Arbalète qui publiait les œuvres de Jean Genet. René Tavernier dirigeait la revue Confluence et hébergeait dans sa villa de Montchat le couple Aragon-Elsa Triolet et c’est dans cette villa que le poète a écrit : Il n’y a pas d’amour heureux et la Rose et le réséda.
Pendant ce temps-là, Albert Camus rencontrait sur les pentes de la Croix-Rousse, rue Vieille Monnaie, un écrivain résistant René Leynaud qui fut fusillé. René Leynaud avait hébergé Camus dans cette rue Vieille Monnaie devenue depuis rue René Leynaud.
Camus note dans ses Carnets, après une promenade à Ternay, dans les environs de Lyon : « Ternay. Petit village désert et froid qui surplombe le Rhône. Ciel gris et vent glacé comme une robe souple. Les hautes terres en friches. Quelques sillons noirs et les vols de corbeaux. Petit cimetière ouvert en plein ciel ; ils ont tous été bon époux et bon père. Ils laissent tous des regrets éternels. » (Carnet 1935-1948. Cahier III avril 1939-février 1942.)
Enfin après la guerre 39-45, un écrivain médecin Jacques Chauviré établit une correspondance avec Camus. Jacques Chauviré était l’ami d’un autre écrivain Jean Reversy, médecin-écrivain très influencé par Camus
Avec Michel Wilson et les amis de l’Association Coup de soleil, nous avons pensé qu’il serait intéressant pour célébrer le centenaire de la naissance de l’écrivain, de faire une exposition consacrée aux peintres amis d’Albert Camus.
Cette exposition serait dans le même esprit que celle qui avait été organisée à Orléansville (aujourd’hui Chlef) pour l’inauguration du Centre Culturel Albert-Camus en avril 1961 et celle organisée en juillet 1994 à Lourmarin par l’association des Rencontres Méditerranéennes Albert Camus.
Si Camus n’a pas été critique d’art, il a toujours observé avec un sens artistique aigu, les œuvres de ses amis peintres.
Dans les années 30, après l’arrogante célébration du centenaire de la conquête de l’Algérie, Alger se trouvait être une capitale artistique et cela pour différentes raisons , l’Afrique du Nord a une position insulaire en raison de sa situation géographique : coincée entre les deux déserts du sable et de la mer. De ce fait, les artistes avaient tendance à exposer sur place, car il était difficile pour eux de « monter » à Paris.
La présence à Alger de jeunes professeurs éminents dont Jean Grenier, qui commençaient leur carrière loin de la capitale, a favorisé l’émergence de cercles intellectuels et artistiques. On a même pu parler d’École d’Alger au sens où Camus définissait une école : « Quand je dis école, je ne veux pas dire un groupe d’hommes obéissant à une doctrine, des règles, je veux dire simplement un groupe d’hommes exprimant une certaine terre, une certaine manière d’aborder les hommes. … » (AC, Conférence à l’Algérienne, novembre 1958)
Camus jeune étudiant dans les années 30, avait rencontré chez son ami Max-Pol Fouchet : Jean de Maisonseul, futur peintre et architecte, Louis Miquel, futur architecte et Louis Bénisti, futur sculpteur et peintre. Il commença sa carrière de journaliste en publiant dans un journal Alger-Ètudiant, un article sur Louis Bénisti.
Plus tard, lorsqu’il créa le Théâtre du travail et le théâtre de l’Équipe, il prit pour réaliser les costumes le peintre Marie Viton et pour réaliser les décors les architectes Louis Miquel et Pierre André Émery qui étaient aidés par le sculpteur Louis Bénisti.
Lorsque Edmond Charlot ouvrit sa librairie les Vraies richesses, il invita les artistes à exposer dans sa boutique. C’est ainsi que Camus rencontra le peintre Armand Assus, dont les enfants jouaient au théâtre de l’Équipe, René-Jean Clot, Henri Caillet et plus tard Sauveur Galliéro, ainsi que les pensionnaires de la villa Abdeltif : Caujan, Clairin, Damboise et Richard Maguet.
Lorsque Camus rejoignit sa femme à Oran, il rencontra le peintre Maurice Adrey. Il fit des articles sur la plupart de ses peintres amis.
Pendant la guerre, Camus rencontra Picasso et il monta « Le désir attrapé par la queue » en compagnie de Jean-Paul Sartre et de Jacques Lacan. Une célèbre photo de Brassaï illustre ce moment très important de la vie intellectuelle et artistique du vingtième siècle.
Après la guerre, il continua à fréquenter les peintres, surtout ceux qui faisaient les décors de ces pièces : Balthus, Mayo, Léonore Fini et d’autres comme Pelayo ou Prassinos.
En 1958, il préfaça l’exposition de Jean de Maisonseul où, selon l’expression de Jean Grenier « il reconnaissait dans la construction qui était celle d’un architecte, mais toute baignée d’une lumière méditerranéenne, une vision parente de la sienne. » (Jean Grenier, Albert Camus Souvenirs.)
Pour des raisons matérielles et techniques, l’exposition que nous proposons de présenter sera centrée sur les artistes connus pendant la période algérienne de Camus c’est-à-dire : Maurice Adrey, Armand Assus, Baya, Louis Bénisti, Henri Caillet, Marcel Damboise, Jean Degueurce, Suzanne Delbays, Raoul Deschamps, Sauveur Galliéro, Richard Maguet, Jean de Maisonseul, René Sintès, Orlando Pelayo, Mohamed Racim, Sauveur Terracianno et quelques autres...
Cette exposition insisterait sur les catalyseurs de la vie artistique à Alger, c’est-à-dire : Max-Pol Fouchet, Jean de Maisonseul et Edmond Charlot.
Jean-Pierre Bénisti
J'ai retrouvé dans ma bibliothèque un article de Pierre Gardère : l'esprit solaire, paru dans une revue dans Réalités latines en 1964.
Pierre Gardère a été mon professeur de philosophie en terminale au Lycée Jacques Decour à Paris. Il se disait personnaliste et disciple de Mounier.
Ce texte de 1964 a des résonances actuelles au moment où on célèbre le centenaire de Camus avec sa pensée de midi et ses pensées du midi
C’était à la fin du mois d’août 1973. Je séjournais avec mes parents à Tourettes sur Loup. Nous nous réunissions souvent avec des amis et nous discutions comme toujours des sujets d’actualité. Le journal, le Monde publiait une interview d’Andrei Sakharov, savant soviétique qui critiquait la politique de l’URSS et une autre d’Alexandre Soljenitsyne qui avait fait un réquisitoire sans appel du système soviétique. Charles P. qui était un ancien communiste que l’on pouvait qualifier de repenti nous faisait une analyse de la situation et il se trouvait renforcé dans sa position actuelle, ouvertement anticommuniste. Nous voyons que non seulement l’Union soviétique n’était pas du tout le paradis, mais qu’elle était proche de l’enfer, et le bilan des années de communisme n’était pas, comme dirait l’autre, globalement positif. Cependant Charles pensait qu’il devait avoir un relâchement du système soviétique, car sous Staline, Sakharov et Soljenitsyne n’auraient pas pu faire de telles interviews et que sous Brejnev, les intellectuels risquaient de perdre leurs libertés mais pas de perdre leurs vies comme sous Staline. Je me suis précipité sur une journée d’Ivan Denissovitch et je l’ai lu d’une traite. Nous nous interrogions sur le bien fondé du Programme commun de la gauche, car nous rejetions tous, le système communiste. Beaucoup d’entre nous ne cachaient pas que l’union de la Gauche était une union à visée exclusivement électorale et que nous manquions d’honnêteté intellectuelle. Nous verrons qu’aux prochaines élections présidentielles de 1974, Valéry Giscard d’Estaing a eu son élection grâce à Soljenitsyne, car il y a bien deux cent mille personnes qui, effrayées par le témoignage de l’écrivain, ont voté Giscard par peur du communisme.
Un fait divers attira notre attention. Un traminot marseillais venait d’être tué d’un coup de couteau par une personne d’origine nord-africaine. Des réactions racistes suivirent ce meurtre et les relations algéro-françaises traversèrent une période de turbulence. En fait, après enquête médico-légale, on a su que le meurtrier présentait des signes d’épilepsie. Les épileptiques peuvent commettre des actes incontrôlés.
Par ailleurs, des rumeurs concernant la santé du président Pompidou circulaient. Des indiscrétions, émanant de médecins hospitaliers qui laissaient de côté leurs devoirs de réserves, nous apprenaient que le président souffrait d’un myélome, c'est-à-dire une affection cancéreuse de la moelle osseuse. Il subissait un traitement intensif à la cortisone. Son état physique en était transformé.
L’été n’en finissait plus. Mon père était assez excité et discutait vivement avec les copains. Au cours d’une soirée nous nous sommes amusés à dire chacun son tour et de façons différentes, le vers de Victor Hugo :
- Va les chercher, dit-il ;
-Tiens, dit-elle en écartant les rideaux, les voilà.
Nous sommes rentrés à Aix fin août et nous avons repris nos activités.
Un matin, j’achetai le Monde et je fus surpris d’apprendre la mort de Jean Sénac13 et j’en informai mes parents. Nous n’arrivions pas à dissimuler nos larmes. Mon père se résigna à accomplir la lourde tâche de téléphoner à Jean de Maisonseul pour lui annoncer la terrible nouvelle. Il n’avait pas encore lu le journal et apprit la nouvelle par ce coup de téléphone. Il finissait son séjour en Provence et regagnait Alger le lendemain.
Nous nous interrogions sur les mobiles de cet assassinat, qui rappelait celui qui avait eu lieu à Grenade en 1936 contre Federico Garcia Lorca. Je recherchais dans les journaux les hommages à Sénac. Le Monde et le Nouvel Observateur rendirent compte de l’évènement. L’extrême discrétion du journal El Moudjahid qui accorda à la mort du plus grand poète algérien un article d’un trente-deuxième de page nous déçut. Il est vrai que la presse d’Alger était submergée par le sommet des non-alignés qui se tenait dans la capitale algérienne.
Jean de Maisonseul nous informa des conditions dans lesquelles se sont déroulées les obsèques de Sénac. Les officiels algériens brillaient par leur absence. Cela nous a interpellé Pourquoi les officiels algériens s’évertuaient à tuer une seconde fois l’un de leurs plus grands poètes ? Aucun journaliste ne leur ont posé la question. Ahmed Taleb-Ibrahimi, qui avait été ami de. Sénac et qui était ministre, n’a fait aucune déclaration. Mostefa Lacheraf, qui avait préfacé Sénac, n’a pas été à son enterrement. À Aix, mes parents reçurent la visite de Nathalie Garrigue-Jossé qui leur raconta les derniers jours de la vie de notre ami à tous. Sénac était-il la dernière victime de la guerre d’Algérie ou la première du fanatisme islamique. Peut-être ni l’une ni l’autre, mais la question est toujours posée.
Le 11 septembre, nous apprenions qu’à Santiago du Chili un coup d’état avait renversé le gouvernement d’unité populaire de Salvador Allende. Le Général Pinochet avait pris le pouvoir et Salvador Allende s’était suicidé. Nous étions tous bouleversés et nous pensions à la similitude entre le coup d’état de Pinochet et le pronunciamiento du Général Franco en 1936. Comme les nazis au Vel d ‘hiv avaient parqué les juifs en 1942, Papon les Algériens en 1961, Pinochet parqua ses opposants dans les stades de Santiago.
Quelques jours après le coup d’état, le poète Pablo Neruda devait périr. En cette année 1973. Il ne fallait pas s’appeler Pablo, les deux autres grands Pablo : Picasso et Casals sont morts cette même année 73. La guerre d’Espagne était présente dans nos esprits. Pablo Neruda14 avait écrit au sujet de cette guerre :
¡ Venid a ver la sangre por las calles !
(Venez voir le sang dans la rue !)
Mon ami Antoine Blanca, que j’avais perdu de vue, fut chargé par l’Internationale socialiste de faire une enquête sur la situation. Dans son rapport, il compara la situation à Santiago à celle de la Casbah pendant la bataille d’Alger. Il sera par la suite ambassadeur de France en Amérique du Sud et il publiera par la suite un livre sur ce coup d’état intitulé : Salvador Allende, l’autre 11 septembre, en référence à ce qui s’est passé à New York le 11 septembre 2001.
Un autre évènement important avait lieu à Alger quelques jours avant ce coup d’état :c’était le sommet des pays non-alignés. Salvador Allende n’avait pu y participer et avait envoyé un message écrit. On pouvait s’interroger sur le non-alignement de Fidel Castro ou d’autres, mais ce mouvement aurait pu être intéressant si les pays présents à cette conférence étaient réellement non-alignés. Je suivais les informations à la radio et je reconnus la voix de Ralph Pinto, un ancien camarade de l’école de la rue Franklin de Bab el Oued, qui était devenu journaliste de politique étrangère à France-inter et qui couvrait le sommet d’Alger.
Un mois plus tard, la guerre reprenait au Proche-Orient et l’année 1974 fut aussi riche en évènements.
Jean-Pierre Bénisti
Faits divers
Tous les étés, les accidents graves prennent le devant de l’actualité. Je me souviens du naufrage de l’Andrea Doria, il y a quelques années c’était le Concorde qui sombrait tandis qu’en 1982, un autobus, rempli d’enfants, brûlait. Aujourd’hui deux accidents de train occupent le devant de la scène : un dans la banlieue parisienne, l’autre près de Saint Jacques de Compostelle.
La naissance d’un bébé royal est vraiment un non-événement. Il est vrai que dans notre paranoïa généralisée, tous les jeunes amoureux se prennent pour Chopin et Georges Sand, et tous les nouveau-nés sont des bébés royaux.
À Trappes, des jeunes se sont livrés à des actes de délinquance pour protester contre l’attitude de policiers qui auraient agressé une femme voilée. Bien qu’une loi interdisant le port du voile intégral masquant le visage dans l’espace public ait été promulgué et que les représentants de l’ordre public ont le devoir de faire appliquer les lois, je ne pense pas qu’il ait été utile de contrôler cette dame dans un quartier sensible et en plein ramadhan. Sans doute, ces policiers ne devaient pas avoir d’autres chats à fouetter. Je ne pense pas non plus qu’il était utile de voter une telle loi. Les femmes voilées doivent tout simplement savoir qu’il est aussi indécent de circuler en ville toute voilée que de circuler en tenue de plage sur les Champs Elysée. Elles ont autant le droit de cacher leur visage que les Femmes doivent avoir le droit de manifester seins nus et même à Tunis ! Les psychanalystes nous disent que tout cacher équivaut à tout montrer.
Mort d’Henri Alleg
Tout en ne partageant pas toutes les positions politiques de ce journaliste, nous avons une profonde gratitude envers l’auteur de la Question. La publication de ce livre a marqué un tournant dans l’évolution de la guerre d’Algérie. Ce livre nous a révélé que les actes terroristes commis durant cette guerre n’étaient pas les seules exactions qu’il fallait condamner.
Je me suis déjà exprimé sur ce sujet (1) Bien que le livre ait été interdit, il a été très largement lu. Je me souviens de cet été 1958, j’étais encore jeune et je passais des vacances au Chambon-sur-Lignon. La guerre d’Algérie animait les discussions. Mes parents faisaient lire à leurs connaissances Actuelles III (2) de Camus, livre paru peu de temps après que son auteur ait reçu le Nobel et que la presse a complètement ignoré alors qu’un autre faisait lire la Question et qu’une autre lisait l’Algérie 1957 de Germaine Tillion. Bien que Camus n’ait pas signé l’appel que Malraux, Martin du Gard, Mauriac et Sartre adressèrent au Président Coty à propos du livre d’Alleg, il a condamné nettement l’usage de la torture dans la préface de son livre.
L’année suivante, l’annonce de la disparition de Maurice Audin nous interpellait : je me souviens de l’article de Servan-Schreiber dans l’Express, où sous les portraits de Maurice Audin et du Capitaine Dreyfus mis côte à côte, l’auteur disait : l’affaire Audin est l’affaire Dreyfus d’aujourd’hui.
Plus tard, à Alger, au début de l’Indépendance, je croisais souvent Henri Alleg et il me saluait amicalement.
Je l’ai revu, il y a quelques années à Lyon, lors de la projection du film de Jean-Pierre Lledo : Un rêve algérien. Henri Alleg avait toujours gardé la langue de bois des communistes et justifia son départ d’Alger, par la disparition de son journal, alors que ses collaborateurs qui après le coup d’état de Boumediene, n’ont pas eu le temps de quitter l’Algérie, ont fait un séjour en prison.
(1)http://www.aurelia-myrtho.com/article-djamila-boupacha-102014153.html
(2) Albert Camus :Actuelles III, Chroniques Algériennes, Gallimard 1958
(3) Germaine Tillion L’Algérie 1957, Éditions de Minuit, 1958
(4) Voir Jean-Pierre Lledo http://www.huffingtonpost.fr/jean-pierre-lledo/henri-alleg-ou-lespiegle-harry-salem_b_3623929.html
Voir aussi : Roland Rapaport
Jean Foscoso
En ouvrant le Monde, je regarde toujours la rubrique nécrologique. Dimanche matin, j’apprends la disparition de Jean Foscoso, le gendre de l’architecte Pierre-André Émery, ami intime de mes parents
Depuis sa jeunessechez les scouts en Algérie, il avait toujours milité pour une Algérie libre et plurielle. Il avait été très lié à l’historien Mahmoud Khaddache responsable des SMA (Scouts musulmans algériens) et au groupe dit des trois Pierre (Pierre Colonna, Pierre Roche et Pierre Chaulet, responsables des scouts catholiques et futurs médecins). Il avait, durant la guerre d’Algérie, assuré le lien entre les libéraux (d’obédience laïque) et les progressistes chrétiens et c’est à ce titre qu’il a dirigé le journal des libéraux d’Algérie : l’Espoir Algérie. Il continuait à militer au sein de l’Association France –Algérie.
Je salue cet ami qui a toujours mis en application aussi bien dans sa vie que dans son travail, son idéal de justice sociale. Il m’avait répété ce que son père lui disait : « N’oublie pas que nous sommes tous des enfants de Dieu. »
Voir : Alger-Paris : les scouts de France et la guerre d’Algérie.
http://www.scoutunjour.org/spip.php?article224
Jean Lacouture : De 1954 à 1962 : Le combat des Européens « libéraux ». Le Monde 9 juin 1972
http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article5382
Valérie Lang
En plein festival d’Avignon, une actrice quitte la scène de la vie. Nous garderons d’elle l’image d’une belle et jeune comédienne. Je l’avais vu l’an dernier au Théâtre ouvert de Lucien Attoun où elle jouait seule en scène dans une pièce de Laurent Gaudé Sodome ma douce, mise en scène par Stanislas Nordey : C’est plus q’un texte récité. Valérie Lang joue le rôle de la femme rescapée de la destruction de Sodome. Elle est entièrement nue, mais les éclairages insistent surtout sur la silhouette, montrant surtout le visage de Valérie et discrètement ses seins. Et il est important que l’actrice soit nue même si l’ensemble du corps n’est pas montré. Le visage d’une femme nue est tout à fait différent de celui d’une femme habillée. Michel Tournier l’a très bien dit dans le Portrait nu (1) Il s’agit d’une performance et beaucoup plus qu’un texte en mouvement. L’actrice donne un corps au texte qu’elle dit et elle sait jouer avec son corps. Valérie reste les bras en l’air immobile « en amphore autour de sa tête ’ » (le Monde) presque une demi-heure et vient saluer le public en peignoir (2)
(1) Voir Michel Tournier : Des Clés et des serrures.éditions du chêne, Paris 1983
http://oceania55.canalblog.com/archives/2007/03/17/4338981.html
(2)Voir :Articles
Jean-Pierre Bénisti
La Mémoire et la mer
La marée je l'ai dans le coeur
Qui me remonte comme un signe
Je meurs de ma petite soeur
De mon enfant et de mon cygne
Un bateau ça dépend comment
On l'arrime au port de justesse
Il pleure de mon firmament
Des années-lumière et j'en laisse
Je suis le fantôme Jersey
Celui qui vient les soirs de frime
Te lancer la brume en baisers
Et te ramasser dans ses rimes
Comme le trémail de juillet
Où luisait le loup solitaire
Celui que je voyais briller
Aux doigts du sable de la terre
Rappelle-toi ce chien de mer
Que nous libérions sur parole
Et qui gueule dans le désert
Des goémons de nécropole
Je suis sûr que la vie est là
Avec ses poumons de flanelle
Quand il pleure de ces temps-là
Le froid tout gris qui nous appelle
Je me souviens des soirs là-bas
Et des sprints gagnés sur l'écume
Cette bave des chevaux ras
Au ras des rocs qui se consument
Ô l'ange des plaisirs perdus
Ô rumeurs d'une autre habitude
Mes désirs dès lors ne sont plus
Qu'un chagrin de ma solitude
Et le diable des soirs conquis
Avec ses pâleurs de rescousse
Et le squale des paradis
Dans le milieu mouillé de mousse
Reviens fille verte des fjords
Reviens violon des violonades
Dans le port fanfarent les cors
Pour le retour des camarades
Ô parfum rare des salants
Dans le poivre feu des gerçures
Quand j'allais géométrisant
Mon âme au creux de ta blessure
Dans le désordre de ton cul
Poissé dans les draps d'aube fine
Je voyais un vitrail de plus
Et toi fille verte mon spleen
Les coquillages figurants
Sous les sunlights cassés liquides
Jouent de la castagnette tant
Qu'on dirait l'Espagne livide
Dieu des granits ayez pitié
De leur vocation de parure
Quand le couteau vient s'immiscer
Dans leur castagnette figure
Et je voyais ce qu'on pressent
Quand on pressent l'entrevoyure
Entre les persiennes du sang
Et que les globules figurent
Une mathématique bleue
Dans cette mer jamais étale
D'où nous remonte peu à peu
Cette mémoire des étoiles
Cette rumeur qui vient de là
Sous l'arc copain où je m'aveugle
Ces mains qui me font du flafla
Ces mains ruminantes qui meuglent
Cette rumeur me suit longtemps
Comme un mendiant sous l'anathème
Comme l'ombre qui perd son temps
À dessiner mon théorème
Et sur mon maquillage roux
S'en vient battre comme une porte
Cette rumeur qui va debout
Dans la rue aux musiques mortes
C'est fini la mer c'est fini
Sur la plage le sable bêle
Comme des moutons d'infini
Quand la mer bergère m'appelle
Léo Ferré
http://memoirechante.wordpress.com/2011/12/27/leo-ferre-la-memoire-et-la-mer/
Le musée du quai Branly consacre une exposition aux cheveux. Nombre d’ouvrages sur la barbe ou les poils paraissent. Cela témoigne de l’intérêt des humains pour un système pileux proprement humain, les autres mammifères ont un pelage permanent tout à fait différent du système pileux humain.
Les religions se sont emparées du problème : les juifs et les musulmans portent souvent la barbe. Les sikhs ne se coupent jamais les cheveux. Dans les trois religions monothéistes, les femmes traditionnellement ne doivent pas se présenter devant d’autres en cheveux. Si cette tradition s’est perdue chez les Chrétiens où les femmes se couvraient encore lorsqu’elles pénétraient à l’intérieur d’une église jusqu’à une époque pas si lointaine, elle perdure chez les juifs et les musulmans. Chez les juifs, les femmes très religieuses auraient la tête rasée recouverte d’un foulard ou d’une perruque. Chez les musulmans, les femmes manifestent leur identité en se couvrant la tête d’un voile. Ce fameux voile a alimenté des polémiques sur le port de signes religieux ostensibles, sur les traditions ancestrales et sur les prescriptions religieuses.
Le port de la barbe ou de la moustache chez les hommes varie selon les modes. Il s’agit souvent de manifestation de virilité. En Afrique du Nord, il n’était pas convenable qu’un homme ne laisse pas subsister une moustache plus ou moins grosse. Je connais des barbus qui masquent une déformation de leur menton (retrognatisme) par une barbe. Brassens fait allusion dans une de ses chansons à une moustache pouvant dissimuler un bec de lièvre (la fessée). Souvent le port de la barbe traduit souvent une forte timidité ou une affirmation d’une autorité qui pourrait être défaillante. Pourquoi vouloir circonscrire son visage ? Si le barbu est con, sa connerie en sera aggravée.
Les femmes à barbe ont toujours intrigué. Un tableau du peintre espagnol Ribera intitulé la mujer barbuda montre une femme barbue allaitant son bébé. Ce tableau est exposé à l’hôpital Tavera de Tolède. Il s’agit d’une femme atteinte d’un désordre endocrinien. Lorsque, enfant, je passais mes vacances en Auvergne, j’étais effrayé de voir des vieilles paysannes avec des barbes grises. Ces visions de femme à barbe étaient pour moi surréalistes.
Dire que c’est barbant ou c’est la barbe signifient c’est ennuyeux et c’est ennuyeux de se raser, c’est la raison pour laquelle les hommes politiques méditent sur leur avenir en se rasant.
Une expression comme à poil signifiant tout nu est une expression empruntée au vocabulaire des cavaliers. Monter à cheval à poil signifie monter un cheval sans selle ou encore à cru.
Les anthropologues étudiant les différences anatomiques des différentes populations ont pu faire des classifications des individus selon leurs systèmes pileux selon la couleur des poils ou selon leur implantation. Les hommes d’origine asiatiques ont peu de poils sur les jambes et le torse. Aussi bien les hommes que les femmes asiatiques ont les aisselles et le pubis très fournis. Ce sont presque des cheveux.
Cela rejoint cette chanson enfantine que nous chantions sur un air de tango, la dénégation était évidente :
Je ne suis pas curieux,
Mais je voudrais savoir,
Pourquoi les femmes blondes
Ont les poils du cul noirs
Je ne chanterais pas la suite. Il y a cependant quelques blondes qui le sont entièrement
Jusqu’au dix-neuvième siècle, les artistes ne figuraient pas dans leurs peintures les poils de leur modèle. Les femmes à poil étaient sans poils. Même Rembrandt dans sa gravure de « la Femme qui pisse » ne figure pas les poils C’est Courbet qui fut un des premiers artistes à figurer la pilosité de son modèle dans un tableau appelé l’Origine du mondequi à l’époque fit scandale. Ce qui est surprenant dans ce tableau, ce n’est pas pour ce qu’il représente mais le fait que ce n’est pas seulement l’observateur qui regarde le tableau mais c’est le sexe velu de la femme représentée sur le tableau qui regarde son public. Ce regard est accentué par l’absence de visage du modèle peint. Depuis Courbet, d’autres artistes n’ont pas censuré les poils de leur modèle, notamment Picasso, Manguin ou Marquet…
Lucien Clergue a su tirer parti de l’esthétique du système pileux dans ses admirables photos de nus en contre-jour, photos qu’il fit pour illustrer le poème d’Eluard : Corps mémorable
Baudelaire dans un poème des Fleurs du mal rend hommage à ces toisons :
« Et sous un ventre uni, doux comme du velours,
Bistré comme la peau d'un bonze,
Une riche toison qui, vraiment, est la sœur
De cette énorme chevelure,
Souple et frisée, et qui t'égale en épaisseur,
Nuit sans étoiles, Nuit obscure ! »
(Les promesses d’un visage in les Fleurs du mal)
Jules Verne n’a pas écrit que le Tour du monde en quatre-vingts jours, il a aussi écrit un poème intitulé : Lamentation d’un poil de cul de femme. (1)
Au cinéma, la première actrice qui ait montré sa pilosité dans un film d’auteur est Jane Birkin dans Blow up d’Antonioni. Dans le Dernier tango à Paris, un film qui fit scandale, Maria Schneider soulève sa robe et exhibe une gigantesque touffe qui apparaît en gros plan sur l’écran et qui regarde les spectateurs comme dans l’Origine du monde de Courbet.
Près du Pont de la Concorde, la Piscine Déligny était dans les années 70 un lieu très fréquenté. Sur la terrasse de cette défunte piscine, les femmes retiraient le haut de leurs maillots et exhibaient leurs seins. Une dame tricotait au crochet des petits triangles en coton. Ces triangles pouvaient être portés comme cache-sexe. Un cordon noué au haut des fesses permettait d’accrocher le triangle. La tricoteuse vendait ces vêtements minimums pas trop chers. Des baigneurs et surtout des baigneuses les essayaient. Ainsi, non seulement les seins étaient à l’air, mais aussi les fesses. À cette époque, les femmes ne se rasaient pas et laissaient voir leurs poils plus ou moins abondants dépasser les contours de ces triangles : il y en avait de toutes les couleurs : des poils bruns, des poils roux, des blonds… Aujourd’hui les femmes se rasent comme pour se libérer des dernières contraintes et l’on a plus l’occasion de voir le moindre poil. Tout le mystère qui se cache derrière ces toisons disparaît. Il y eut aussi la mode du rasage sélectif laissant sous le maillot un simple ticket de métro. Je préfère que les poils restent apparents et je regrette aussi les aisselles non épilées. Catherine Millet, l’écrivaine célèbre pour avoir raconté en détail ses exploits sexuels, avouait ne pas avoir cédé à la mode du rasage. Peut-être qu ‘en s’épilant, les femmes veulent retrouver un sexe de petite fille. Il ne faut pas oublier que l’étymologie du mot puberté signifie apparition de la pilosité pubienne et cette apparition marque souvent le commencement de la fin de l’enfance.
Jean-Pierre Bénisti
http://sexes.blogs.liberation.fr/agnes_giard/2012/09/epilation-cest-une-mode-ou-une-dictature-.html
http://sexes.blogs.liberation.fr/agnes_giard/2013/06/larachnophobie-et-les-poils-de-pubis.html
Voir aussi:
Sylvie Kerviel et Macha Séry : La tyrannie de l'épilation.Le Monde 07.03.10
Visite au Château des affamés en compagnie de François Léonardon , neveu de Jean Degueurce.le 30 mai 2013
En 1937, Albert Camus fit un séjour à Lucinges, en Haute-Savoie. Son ami Jean Degueurce lui avait prêté un chalet nommé : le Château des affamés. En raison de l'inconfort de ce chalet (sans eau courante, sans chauffage et sans électricité), Camus quitta le Château des affamés pour le chalet des Sans Soucis, chalet appartenant à Morella (Marguerite Cviklinski).
Morella avait été actrice dans le Temps du mépris, de Malraux, spectacle du Théâtre du travail, où elle jouait le rôle d'Anna. Elle était l'épouse du Dr Stanislas Cviklinski, ami de Albert Camus, ret la mére de deux jumelles.
AC fait allusion à ce séjour dans une lettre à Lucien Bénisti (frère de Louis) le 4 août 1937 : "Mais, je suis arrivé à Lyon dans l'état du voyageur traqué. J'ai choisi le plus facile. Le plus facile était le plus près : Lucinges. On m'y avait offert un chalet (Château des Affamés) (…) le chalet est proprement inhabitable. C'était une farce. Par bonheur, Mme Cviklinski (l' « Anna » du Temps du Mépris) m'a accueilli dans son chalet. »
Jean-Pierre Bénisti
Le Château des affamés en 1934-36 par Jean Degueurce.
Le Château des affamés en 2013
La villa Sans-soucis en 2013