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16 décembre 2011 5 16 /12 /décembre /2011 16:18

 

              C’était à Grenoble, à la veille de Mai 68. Cette ville refusait l’apathie de la plupart des villes de provinces françaises, qui se complaisent à laisser à Paris, le monopole de toute création artistique. Lors des élections législatives de 1967, les grenoblois s’étaient honorés en élisant comme député Pierre Mendès-France et Grenoble avait accueilli en février 1968 les Jeux Olympiques d’hiver.

À cette occasion, il y avait eu de grands projets urbanistiques comme la construction de la Maison de la Culture. L’architecte choisi était André Wogenscki, un élève de Le Corbusier dont Louis Miquel m’avait souvent parlé. C’était un bâtiment en forme de bateau qui prit d’ailleurs le nom de Cargo.  Wogenscki avait   demandé à sa femme Marta Pan, sculptrice reconnue, de faire une sculpture monumentale constituée de deux pierres s’emboîtant.

            J’avais déjà vu des œuvres de cet artiste notamment en 1957, quand je vis les Ballets de l’étoile, dirigé par Maurice Béjart, encore inconnu. Béjart avait conçu un ballet autour d’une sculpture de Marta Pan (1). Il posait la question de la relation entre la danse et la sculpture. J’avais d’ailleurs discuté de ce ballet avec Béjart lorsque j’assistais à une de ses conférences au cours du festival d’Avignon de 1967. À ma grande surprise, Marta Pan était dans la salle et participa au débat.

         Par la suite, je vis au cours d’un voyage en Hollande, une sculpture animée et flottante au milieu d’un bassin de Marta Pan, dans les Jardins du Musée Kroller-Muller à Otterlo.

            Fin mars 1968, je devais aller la Maison de la culture voir le merveilleux Arlechino servitore di due padroni (Arlequin valet de deux maîtres) joué par la troupe du Piccolo Theatro de Milan dirigé par Giorgio Strehler. Je rencontrais  à ce spectacle Paule et Jean-Pierre Pagliano, qui voyant mon appareil photo m’invitèrent à venir avec eux rencontrer le cinéaste Georges Franju dans le but de faire quelques photos.

            Je ne connaissais pas très bien ce cinéaste. J’avais vu cependant le Sang des bêtes,documentaire sur les abattoirs et la Tête contre les murs, film adapté d’un roman d’Hervé Bazin, qui pose déjà en 1960 le problème de la psychiatrie asilaire.

            Au cours de notre entretien, Franju racontait beaucoup d’histoires et se mit à commenter la sculpture de Marta Pan, nous dit : « C’est l’art de faire d’une pierre deux couilles. »

            Cette phrase ne devait pas tomber dans des oreilles de sourds.

            Jean-Pierre Pagliano vient de publier un article relatant ses entretiens avec Franju dans un ouvrage collectif consacré à Franju : Le mystère Franju (2) Il raconta cette épisode.

 

                                                                        Jean-Pierre Bénisti

 

1.« C'est la découverte de la sculpture de Marta Pan "Le Teck" qui inspira ce pas de deux crée par Michèle Seigneuret et moi-même en 1956 au Festival d'Avant-garde à Marseille, sur le toit de l'immeuble de Le Corbusier. » Maurice Béjart  http://www.citypercussion.com/textes/teck/teck.htm

 

2. Voir : Jean-Pierre Pagliano : Entretiens avec Georges Franju. In Le Mystère Franju, ouvrage dirigé par Franck Lafond. Collection Cinémaction. Editions Charles Corlet, 14110 Condé-sur-Noireau, 2011

 

 

 

 

  1. .Grenoble-Franju023.jpg

 

Correction-Marta-Pan90635.jpg

 

Grenoble-Franju015.jpg

 

Photographies (Photos JPB)

  1. Grenoble  Sculpture de Marta Pan
  2. Otterlo, Sculpture de Marta Pan
  3. Georges Franju s’entretient avec Paule et Jean-Pierre Pagliano

 

 

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13 décembre 2011 2 13 /12 /décembre /2011 12:36

"À la Sainte Luce, les jours s'allongent d'un saut de puce." dit le proverbe

"Que les élèves qui ont vu le jour s'allonger  lèvent le doigt." dit l'instituteur à ses élèves.

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23 novembre 2011 3 23 /11 /novembre /2011 16:37

ACKagne Bugeaud 611

Le 23 novembre 1961, Maurice Perrin était assassiné à Alger par un commando de l’OAS. Dans ce climat de guerre civile qui régnait à Alger à la veille de l’indépendance, l’organisation terroriste entreprenait son vaste travail de suppression physique des personnes susceptibles de construire des ponts entre les diverses communautés. Et c’est ainsi que des avocats comme Maître Popie, des fonctionnaires comme Alfred Locussol, des militants socialistes comme William Lévy et plus tard les inspecteurs des Centres sociaux comme Salah Ould Aoudia, Max Marchand et le célèbre écrivain Mouloud Feraoun furent les innocentes victimes d’un terrorisme imbécile ;

Maurice Perrin avait été le condisciple d’Albert Camus au lycée d’Alger en hypokhâgne 

 

Sur la photo célèbre de la classe d’hypokhâgne du lycée Bugeaud, on reconnaît au centre Monsieur Paul  Mathieu, professeur de français, Monsieur Sauvage, proviseur, Monsieur Garoby, professeur d’histoire et géographie et Évelyne Izac (future Baylet) Au deuxième rang, à l’extrême droite, Jean Bogliolo, et de droite à gauche  André Bélamich, une étudiante inconnue et Claude de Fréminville, derrière le proviseur. Toujours au deuxième rang, mais à l'extrême gauche Marcel Chiapporé, puis Paul Boyer. Au dernier rang, de droite à gauche Maurice Perrin, puis Albert Camus sans calot.

Il fréquentait Camus à l’époque où il dirigeait le théâtre de l’Équipe et il le rencontrait souvent dans la Maison Fichu dite Maison devant le monde et dans l’atelier de Bénisti. En 1956, il devait participer aux côtés de Miquel, Simounet, Roblés, Maisonseul et Poncet, à l’organisation du mouvement de la Trêve Civile, faisant suite à l’appel d’Albert Camus. Peu après l’attribution du prix Nobel à Camus, il rédigea un portrait de Camus qui aurait du être publié dans le premier numéro de la revue Rivages, qui aurait dû reparaître. Le projet de reparution fut abandonné à la suite du plasticage de la librairie d’Edmond Charlot. Il disait dans cet article encore inédit : «  A travers toute son œuvre court une vibration secrète qui lui donne son timbre unique: l'ardente volonté de prendre pleinement possession de sa condition d'homme, non pas dans la solitude, mais fraternellement avec tous ceux qui l'assument souvent dans l'obscurité, le désarroi ou le désespoir, ne le rend pas  sourd au mystérieux appel d'une voix qui a nom Beauté, Innocence, Pureté... »

 

                                                                       Jean-Pierre Bénisti

 

Voir :

 

Album Camus, iconographie choisie et commentée par Roger Grenier. Gallimard,, Bibliothèque de la pléiade, 1982.

Paul Mathieu : Petite histoire de la Khâgne africaine (Avant-propos de Guy Basset) in Présence d’Albert Camus. Revue publiée par la  Sociétés des études Camusiennes, n°1, 2010

Jean-Pierre Bénisti : Camus au lycée d’Alger Blog http://www.aurelia-myrtho.com/article-albert-camus-au-lycee-d-alger-70645529.html

 

Jeanne Delais : l’Ami de chaque matin. Vie et luttes de Claude Terrien. Grasset, Paris, 1969

Page 114-115

 

Maison-devant-le-monde.jpg

 

La Maison devant le Monde : gouache de Louis Bénisti

éxécutée en 1989, d'après un dessin de l'époque.

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11 novembre 2011 5 11 /11 /novembre /2011 13:14

Je sais que les guerriers de Sparte
Plantaient pas leurs épées dans l'eau
Que les grognards de Bonaparte
Tiraient pas leur poudre aux moineaux
Leurs faits d'armes sont légendaires
Au garde-à-vous, je les félicite
Mais, mon colon, celle que j'préfère
C'est la guerr' de quatorz'-dix-huit

 

                Georges Brassens.



 

Aujourd’hui nous célébrons la fin de la Grande guerre. Pourquoi pas ? Cette  guerre eût une telle importance qu’elle mérite que l’on s’en souvienne. Mais faut-il  pour cela maintenir un jour de congé quand peu de personnes se rendent aux cérémonies de souvenir.

Dans mon enfance, je me souviens que les fenêtres des maisons de  la ville où j’habitais étaient,  ce jour-là,  recouvertes  de drapeaux et comme l’anniversaire de la naissance de ma mère est  le 12 novembre, je pensais que s’il y avait des drapeaux,  c’était en l’honneur de ma maman.

Et ceci me ramène à des histoires familiales : la naissance de Solange, ma mère en 1914 avait permis à mon grand-père, père d’un quatrième enfant d’être démobilisé et de ne pas partir aux Dardanelles, où périrent la plupart de ses camarades de régiment.

L’oncle de mon père, que l’on appelait Tonton Jules, fut blessé sur le front et sa blessure fut fêtée car elle lui permit de ne pas être tué. Ce tonton Jules, après sa démobilisation, ne cherchait pas à travailler beaucoup et vivait d’expédients. Il avait un caractère histrionique et faisait quelques poésies sentimentales ou quelques chansonnettes dans l’esprit des opérettes à la mode au début du vingtième siècle.  J’ai retrouvé un de ses petits écrits sentimentaux :

 

En 1915

 

Émotion ressentie par l’auteur

 

Il avait fait la Marne, il avait fait l’Yser

Pataugeant dans la boue, il avait, tout l’hiver,

Vécu dans les boyaux. Les balles, les obus,

L’avaient rendu malades. Il avait combattu,

Ne se plaignant jamais, l’âme pleine de rage,

Un puissant ennemi ne rêvant que pillage

Il s’était endurci aux horreurs de la guerre,

Insensible aux  grands maux, dont il était témoin,

Piétinant des cadavres maculés de terre,

Il allait, le cœur sec, ne s’émouvant de rien.

En changeant de secteur, un jour, son bataillon

Passa devant une humble et modeste maison

À moitié détruite, et dont les occupants

Étaient partis au loin, en des lieux plus cléments.

Il vit, gisant au sol, et d’un bras amputée,

La chevelure blonde, une pauvre poupée…

Devant cette maison, minuscule pourtant,

Mais qui lui fit penser qu’autrefois une enfant,

Rieuse et sans souci, avait joué par là.

Pour la première fois, notre poilu  pleura.

 

Jules Zermati

 

Cette guerre dans notre famille était considérée par mon entourage comme une énorme connerie, comme l’avait dit Prévert. Une étincelle à Sarajevo avait mis le feu aux poudres et les soldats dans les tranchées ne pensaient plus beaucoup à l’Archiduc. Elle eut une très grande répercussion sociale. Un jeune conscrit échappa au casse-pipe, il avait assassiné Jean Jaurès et put être protégé pendant  quatre ans en prison, pour ensuite être libéré.

 

Robert Namia, un ami de mes parents, nous disait : « Nous, enfants nés pendant la guerre 14, nous étions tous des orphelins ou des bâtards. »  Et en effet, beaucoup de mères de famille durent élever seules leurs enfants et furent obligées de travailler en dehors de leurs foyers. Vers 1960, dans un restaurant parisien , une vieille dame nous disait : «  Je me considère, comme une veuve de guerre  Je dis à tout le monde que je suis une veuve de guerre,  vous vous rendez compte, lors de la Grande Guerre, il y eut beaucoup de garçons d’un âge proche du mien, qui sont morts et les filles se sont retrouvées en surnombre par rapport aux garçons et comme on dit beaucoup de filles n’ont pas pu trouver chaussures à leurs pieds et sont restées célibataires. Nous sommes comme des veuves de guerre, mais nous n’avons pas eu de pensions et heureusement que nous avons trouvé du travail. »

 

Je me souviens d’un fait divers ayant défrayé la chronique : un anarchiste parisien vint faire cuire deux œufs au plat sur la flamme du soldat inconnu. La dérision est peut-être une forme d’hommage.

Benjamin Péret rendit hommage aux anciens combattants

 

Si la Marne se  jette dans la Seine

C’est parce que j’ai gagné la Marne

S’il y a du vin en Champagne,

C’est parce que j’y ai pissé

(…)

Je suis un ancien combattant

Regardez comme je suis beau

 

Le chansonnier Monthéus écrivit une chanson célèbre chantée par Yves Montand : La butte rouge :

 

Sur cette butte là y'avait pas d'gigolettes
Pas de marlous ni de beaux muscadins.
Ah c'était loin du Moulin d'la Galette,
Et de Paname qu'est le roi des patelins.
C'qu'elle en a bu du bon sang cette terre,
Sang d'ouvriers et sang de paysans,
Car les bandits qui sont cause des guerres
N'en meurent jamais, on n'tue qu'les innocents !

La butte rouge, c'est son nom, l'baptême s'fit un matin
Où tous ceux qui grimpaient roulaient dans le ravin.
Aujourd'hui y'a des vignes, il y pousse du raisin,
Qui boira d'ce vin là, boira l'sang des copains.

 

 

 

Cette chanson a été écrite pour célébrer la bataille de la Somme. On pensait qu’il s’agissait d’un hommage aux Communards de 1871. Il y avait déjà confusion de mémoire

 

Enfin le plus bel hommage fut rendu par Brassens dans sa célèbre chanson.

 

 

            Jean-Pierre Bénisti  

 

 

 

 

 

 

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9 novembre 2011 3 09 /11 /novembre /2011 19:49

             J’ai vu ces jours-ci Chronique d’un été, un film d’Edgar Morin et de Jean Rouch : des jeunes un peu plus âgés que je l’étais à l’époque du film,   s’expriment sur le sens de leurs vies de leurs engagements, en essayant de répondre à la question : « Êtes-vous heureux ? » pendant l'été 1960. Tous ces jeunes sont imprégnés par les ravages de la dernière guerre et d’un grand désir de révolution. La décolonisation devient un problème interne à la France, ce qui n’est pas le cas pour ceux qui vivent en Algérie. On aperçoit Régis Debray, tout jeune avant son aventure sud-américaine et Marcelline Loridan, une très belle jeune fille  qui deviendra cinéaste et qui porte  malheureusement tatoué sur son avant-bras le numéro matricule de déporté.

      Les différentes personnes qui parlent fument sans arrêt comme si la combustion des cigarettes rythmait le temps.  Et la cigarette brûle comme la vie se consume. L’acte de fumer en 1960 n’avait pas la même fonction qu’aujourd’hui où le fait de fumer devient presque honteux.

       Les conversations tournent autour des questions intéressant les jeunes de l’époque qui aboutiront à mai 68.

         Comment refuser la guerre d’Algérie et pourquoi se battre dans une guerre absurde ? C’était la veille de la publication du Manifeste des 121 appelant à la désertion.

        Les évènements sanglants secondaires à l’indépendance du Congo ex-belge freinent-ils le mouvement d’une nécessaire décolonisation ?

       Comment les étudiants et les ouvriers peuvent-ils lutter en commun pour satisfaire leurs revendications ?

         Toutes ces questions se posaient à ces jeunes, issus plutôt de la petite bourgeoisie, dont les parents étaient militants des partis de gauches ou avaient été résistants et qui étaient confrontés au combat anti-colonialiste et à la guerre d’Algérie.

          En 68, les étudiants plus jeunes que celles de la génération du film, se sont trouvés frustrés d’un combat : leurs parents étaient résistants et leurs frères ou sœurs militaient contre la guerre d’Algérie. Cette frustration a abouti à un mouvement de révolte sans idéologie première.

         Dans le film Edgar Morin et Jean Rouch, débattant après le visionnages des entretiens  remarquent que les jeunes parlent de généralités ou bien si ils parlent d’eux-mêmes, ils deviennent exhibitionnistes et cette question me renvoie à mes propres interrogations : souvent, mes parents me disaient au sujet de ma conversation : « Tu nous parles que de généralités. Parle-nous de toi  » Et, en effet, parler de généralités est une défense pour ne pas se dévoiler. Plus tard, en prenant de l’âge j’ai essayé de me libérer de mes défenses en essayant de me raconter et en utilisant le " Je".. Une amie me disait : « Toujours tu dis : Moi, je !  Quel égocentrisme ! »Je lui répondais que le fait de dire Je me permettait d’assumer mes responsabilités et que pour moi, le moi n’était pas haïssable.

 

                                                           Jean-Pierre Bénisti

 

Voir :

http://www.lemonde.fr/cinema/article/2011/10/18/chronique-d-un-ete-et-un-ete-50-la-jeunesse-des-trente-glorieuses-dans-l-objectif-de-jean-rouch-et-edgar-morin_1589783_3476.html

 

 

 

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8 novembre 2011 2 08 /11 /novembre /2011 12:18

            Une femme de ménage a détérioré, en voulant la nettoyer, une œuvre d’art constituée par l’installation d’une cuvette souillée. Il me semble que cette dame a commis, elle aussi, une œuvre d’art dans sa réaction par rapport à l’objet exposé. Une œuvre d’art n’existe que par la réaction qu’elle suscite.

            Jean Dubuffet disait,  en substance à un de ses interlocuteurs que la culture était peut-être un bouton de la braguette de son pantalon perdu un matin en montant dans le train.

            Voilà une pensée à méditer pour les fonctionnaires du ministère de la culture.

 

                                               Jean-Pierre Bénisti

 

http://bigbrowser.blog.lemonde.fr/2011/11/04/sale-une-femme-de-menage-detruit-une-partie-dune-oeuvre-dart-dune-valeur-de-800-000-euros/

 

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21 octobre 2011 5 21 /10 /octobre /2011 16:04

Il y a quelques années, au cours d’un séjour à Mykonos, je rentrais dans une pâtisserie et j’essayais de déchiffrer le nom d’un  gâteau  qui était écrit en majuscule grecque : KATAIFI   ce qui devait se prononcer : Kataîfi. Je demandais à la vendeuse un Kadhafi : elle me tendit le gâteau en souriant. Depuis, j’ai toujours l’habitude de demander des Kadhafis lorsque je me rends dans les pâtisseries grecques (ou nord-africaine, car il s’agit d’un gâteau d’origine turque et on le trouve dans les pays de l’ancien empire ottoman) jusqu’au jour où dans un restaurant grec de la rue de la Huchette où je demandais pour dessert un Kadhafi, le garçon se mit en colère et me dit : « Kadhafi n’est pas ici ! Monsieur ! Il s’agit de Kadèf et non de Kadhafi ! » Ce garçon ne devait pas avoir le sens de l’humour.

Que savait-on de la Libye avant que ce personnage théâtreux rentre en scène : un territoire vaste entre la Tunisie et l’Égypte, La Libye était pour nous un pays peu connu. On savait qu’il était composé de trois régions : Cyrénaïque avec Benghazi, Tripolitaine avec Tripoli et le Fezzan. Ce pays  avait été colonisé par les Italiens et pendant la guerre, il fut le théâtre d’opérations militaires à El Alaman,  et à Bir Hakem. La France devait occuper après la guerre, le Fezzan, région saharienne de Libye, connu pour ses sites préhistoriques et administra ce territoire jusqu’en 1951. On savait aussi par Pierre Salama que la Libye avait de très belles ruines romaines, notamment à Leptis Magna. La Libye avait une importante communauté juive, autochtone ou italienne qui comptait des personnalités comme le pédiatre Aldo Naouri ou le chanteur Herbert Pagani, chanteur qui écrivit pour François Mitterrand, l’hymne du parti socialiste sur une musique de Theodorakis. Tripoli devait être,  pendant la guerre d’Algérie, le siège du CNRA, qui était le parlement du FLN.

Lorsque le Colonel Kadhafi renversa le roi Idriss, l’évènement passa presque inaperçu, tant la Libye intéressait peu l’opinion. L’actualité avait été riche cet été 1969, l’homme avait marché sur la Lune, un Festival des Arts Africains  avait eu lieu à Alger, qui reçut à cette occasion les leader noirs américains comme Eldridge Cleaver ou Angela Davies et la France était émue par le suicide de Gabrielle Russier. Ce genre de coup d’état était courant dans les pays arabes et semblait à l’époque plus ou moins téléguidé par Nasser, qui était un homme politique très apprécié des masses arabes.

Ce colonel nous était antipathique et l’on se plaisait à plaisanter en usant des allitérations telles que : Kadhafi, qu’as-tu- fait ?

Fin 1973, Kadhafi vint en France et fut reçu par le Président Pompidou, alors rongé par la maladie. Une rencontre fut organisée entre Kadhafi, Mendès-France, Sicco Mansholt  et autres personnalités. Pierre Gardère, mon professeur de philosophie, que j’avais rencontré à cette époque me fit part de son désaccord sur ce genre de rencontres avec un personnage de ce genre et me dit : « Il y a des plates bandes où il ne faut pas marcher ! »

Je m’aperçus de la dangerosité de ce personnage lorsque je le vis à la télévision revêtu de sa tenue militaire débarquer à Vienne. Cet homme ne regardait pas les personnes qui l’accueillaient et était donc dangereux.

Lors de sa dernière venue à Paris il réussit en dressant sa tente au centre de Paris à lancer un défi à Sarkozy. Tout le monde pensait qu’il lui disait : « Toi, l’occidental et moi, l’oriental. » Mais, en fait, il lui disait : « Toi, le sédentaire, et moi le nomade. » Et n’oublions pas que la crise libyenne est une   crise tribale.

Je n’ai apprécié ni le lynchage  de Mussolini, ni l’exécution des Ceucescu  ou celle de Saddam Hussein et je m’interroge sur la mort de Kadhafi Nous aurions préféré qu’il soit capturé vif, plutôt que mort. As-t-il succombé à des blessures pendant sa capture ou a-t-il été assassiné ? La question restera sans réponse.

 

                                                            Jean-Pierre Bénisti

 

 

Voir Article De Laurent Joffrin :

 http://tempsreel.nouvelobs.com/laurent-joffrin/20111021.OBS2994/l-amere-victoire-de-la-revolution-libyenne.html

 

 

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21 octobre 2011 5 21 /10 /octobre /2011 16:02

Aussi bien le Général de Gaulle, Georges Pompidou ou François Mitterrand ont eu recours pour leurs soins médicaux, les hôpitaux publics. Nicolas Sarkozy a rompu cette coutume en ne s’opposant pas à ce que son épouse accouche d’une petite fille dans une Maternité privée du XVI ème arrondissement. Ce qui est étonnant, c’est que ce fait n’ait pas été révélé par la presse

                                    Jean-Pierre Bénisti

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17 octobre 2011 1 17 /10 /octobre /2011 09:31

 

 

            Le 17 octobre 1961, j’étais à Paris chez ma tante Suzanne, qui m’avait accueilli après mon départ d’Alger. J’étais élève en classe terminale au lycée Jacques Decour, près de Montmartre. Alors que j’étais en train de finir mon travail scolaire, vers onze heures du soir, Suzanne, qui était en train d’écouter la radio, vint m’informer que les Algériens en masse manifestaient sur les boulevards. Je n’étais pas étonné, car j’avais su que le préfet de police Maurice Papon venait d’instaurer un couvre-feu, frappant les Algériens, en raison de fréquents attentats visant les policiers. Ce couvre-feu était tout à fait illégal, car il visait les seuls musulmans qui n’étaient reconnaissables que par leurs caractéristiques physiques. Les Algériens vivant en région parisienne avaient mal ressenti cette mesure discriminatoire et avait fait part de leurs mécontentements. Le lendemain, lorsque je lus les journaux, j’appris qu’il y eut  une terrible répression. Les services d’urgence des hôpitaux avaient reçu de nombreux blessés. La Seine charriait des cadavres de manifestants noyés. Enfin les militants des droits de l’homme s’indignaient que le préfet Papon ait donné l’ordre de parquer les manifestants au Palais des sports, de la même façon ,  la Gestapo parqua les juifs au Veld’Hiv. Triste retour des choses. On pourrait presque parler de retour du refoulé. Dans les années 80, on devait apprendre que Papon avait été un fonctionnaire du gouvernement pétainiste à Bordeaux et qu’il avait signé des ordres de déportation de juifs. Sinistre Papon ! Il devait encore s’illustrer en février 1962, lors de la manifestation qui devait aboutir aux morts du métro Charonne. Heureusement qu’il ne fut pas en service en mai 68, car il y aurait eu des victimes et il faut être reconnaissant envers le préfet Maurice Grimaud, qui devait succéder à Papon. Il faudrait un jour étudier l’utilisation des stades pour parquer les prisonniers. Au Chili, Pinochet parqua ses opposants au stade de Santiago.

 

                                                                                                              Jean-Pierre Bénisti

 

 

             

Voir le court métrage d'Ali Akika:

http://www.liberte-algerie.com/contributions/paris-17-octobre-61-les-algeriens-sont-jetes-dans-la-seine-commemoration-du-50e-anniversaire

 

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27 septembre 2011 2 27 /09 /septembre /2011 16:59

 

Il s’en fallait de peu, mon cher,

Que cette putain ne fût ta mère.

 

Georges Brassens

 

Actuellement passe sur les écrans l’Apollonide.de Bertrand Bonello Ce film se passe entièrement dans une maison close située à Paris entre la fin du XIX ème siècle et le début du XX ème.  Ce film est inspiré du livre de Laure Adler sur la vie quotidienne dans les maisons closes (1)    Toutes les scènes  se passent à l’intérieur du bordel et l’on ne sort de ce huis clos que lors d’une sortie des pensionnaires au bord de la  rivière où les filles se baignent nues. C’est un clin d’œil à cette époque impressionniste des déjeuners sur l’herbe de Manet  ou de Monet et des baigneuses de Renoir.

Dans la littérature de cette époque d’avant la guerre 14  dont nos grands-parents en gardaient une nostalgie, le bordel faisait partie de la cité comme l’église ou le café. Les écrivains comme Maupassant, Flaubert, Charles-Louis Phillipe, Proust, Carco, Mac Orlan  en ont largement parlé.  Les cinéastes se sont emparés du thème et l’on pense au Bonheur de Max Ophuls inspiré de la Maison Tellier de Maupassant, Belle de Jour de Buñuel ou les films de Fellini où il nous transporte dans les bordels de la Rome fasciste avec un défilé de putains déshabillées précèdent un défilé de mode ecclésiastique avec des cardinaux à bicyclette.

 

C’est peut-être en peinture que le thème du bordel s’est le mieux exprimé et l’on pourrait parler d’une véritable école bordèlique.

Van Gogh à Arles se tranche l’oreille en décembre 1888 et offre  le lobe de son oreille à une prostituée de la maison de tolérance n°1. Les maisons que Paul Claudel  appelait de tolérance étaient à Arles désignées par des numéros. Cette automutilation correspond d’après les psychanalystes à un fantasme de castration. C’est  à ce moment-là que le peintre réalise son autoportrait avec son bandeau, sa pipe et sa toque de fourrure. Ce tableau dont je voyais la reproduction qui ornait le salon d’un ami de mes parents m’a suivi pendant toute mon enfance. J’étais fasciné par l’harmonie des couleurs : la veste verte et le mur rouge et orange et les yeux de l’artiste qui nous regardent encore et toujours.

Pendant ce temps-là à Paris, Toulouse-Lautrec passe sa vie dans les bordels parisiens et il n’e cesse pas de peindre les pensionnaires et les salons de ces maisons. Toutes ces peintures de Toulouse-Lautrec sont une véritable chronique de cette société fin de siècle.

Degas lui aussi, délaissant les cavaliers et les danseuses, va croquer dans les bordels des créatures felliniennes avant la lettre. Picasso fit l'acquisition  une de ses oeuvres  représentant trois dames de bordel Cette peinture se trouve actuellement au Musée Picasso. C’est dans un bordel de Barcelone, qui se trouvait Carrer de Avignon (ou Calle de Avignon) que Picasso devait peindre les Demoiselles d’Avignon, qui marque la transition de l’époque dite nègre de Picasso à l’époque cubiste.

 

Les peintres ne fréquentaient pas uniquement  les salons parisiens. En Afrique du Nord, il existait une prostitution coloniale où cohabitaient  européennes et nord-africaines. Albert Marquet et surtout Jean Launois et Charles Brouty ont fréquenté la Casbah d’Alger. Launois a travaillé longtemps dans ces salons d’Alger comme Toulouse-Lautrec ou Pascin travaillaient dans les salons parisiens.

Le Corbusier se rend  à Alger en 1931 et Jean de Maisonseul  qui lui fit visiter la Casbah et ses bordels . nous raconte  qu’il fut frappé par la beauté  d’une fille espagnole et d’une très jeune Algérienne, qu’ils nous firent monter par un étroit escalier jusqu’à leur chambre et les dessina nues sur un cahier d’écolier. »(2)

Louis Bénisti qui s’était longtemps promené dans la Casbah nous racontait ses souvenirs : « Nous nous trouvions devant des portes aux peintures criardes l'une arborait une enseigne qui s'appelait : le Soleil,   l’autre arborait un chiffre énorme: le chiffre  12  et s’appelait les Andalouses, les douze andalouses. Les andalouses étaient des filles venues de leur pays : l'Andalousie qui, après avoir gagné leur dot  s'en retournait dans leur pays acheter une maison. C’était une coutume assez curieuse. C'est là qu'on trouvait des petites Espagnoles âgées de seize à vingt ans. Cette rue Kataroudjil  se prolongeait en descendant         vers l'intérieur de la ville,   ce prolongement était constitué par une succession   de maisons closes et de maisons  qui arboraient une pancarte :": maison honnête". Alors on descendait toujours avec  ce cœur angoissé, cette même peur que  nous avions d'aborder  l'inconnu. La rue descendait nous arrivions à la maison des   prostituées kabyles  et  puis cette rue arrivait à croiser la   rue de la Casbah. »  Vers 1989, il devait reprendre les croquis qu’il avait rapportés  d’Alger et il nous reconstitua ces petits salons de l’Algérie des années 30 et  40

 

 

Jean-Pierre Bénisti

 

 

 

(1)    Laure ADLER : La vie quotidienne dans les maisons closes 1830-1930, Hachette, Paris1990

(2)    Stanislas VON MOOS Le Corbusier, l’architecte et son mythe. Horizons de France, Paris 1970

(3)    Louis BÈNISTI ; Promenades dans la Casbah. Entretien avec Jean-Pierre Bénisti in Louis Bénisti, peintre, sculpteur et écrivain. Algérie Littérature Action n°67-68, 2003, Alger, éditions Marsa.


 

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Louis Bénisti : Le  salon des Andalouses , Gouache 1989.

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